Bart Maddens : « La lune de miel d’Alexander De Croo durera relativement longtemps »
Proche du Mouvement flamand, le politologue Bart Maddens (KULeuven) décèle quelques opportunités pour le gouvernement De Croo, mais certainement aussi des pièges. « Au moins un parti sera le dindon de la farce », déclare-t-il à notre confrère de Knack.
Il y a plus d’un an, le politologue Bart Maddens (KULeuven) estimait qu’il y avait « une logique de fer dans le sens de l’Arc-en-ciel ». Il n’y a pas d’Arc-en-ciel, mais une coalition Vivaldi composée de socialistes (PS et sp.a), d’écologistes (Ecolo et Groen), de libéraux (MR et Open VLD) et de chrétiens-démocrates flamands (CD&V). La coalition est dirigée par Alexander De Croo (Open VLD). « La vraie surprise », déclare Maddens, « c’est qu’il a fallu si longtemps, 493 jours, pour que cette logique de fer aboutisse et que la N-VA soit mise de côté. En 2011, on pouvait encore dire avec une certaine crédibilité que la N-VA s’était exclue elle-même en mettant la barre trop haut lors des négociations. À présent, ce n’est plus possible, car le parti a adopté une attitude extrêmement constructive et flexible. »
Certains critiques, y compris à la N-VA, affirment que le président de la N-VA, a rendu impossible la Bourguignonne en insultant ses collègues Egbert Lachaert en Georges-Louis Bouchez.
Bart Maddens: C’est plutôt anecdotique. J’ai un point de vue plutôt systémique. Quand je parle de « logique de fer », je veux dire que le système belge est organisé de manière à ce que les nationalistes flamands ne gouvernent pas. À moins qu’ils ne laissent tomber leur agenda communautaire, et s’accommodent docilement du système belge. Après les élections du 26 mai 2016, la tentation était grande de les exclure. L’Arc-en-ciel était une possibilité, mais aussi une coalition Vivaldi où le cdH remplace le MR. C’était un coup de maître d’intégrer la N-VA en 2014. Le parti a perdu énormément de plumes : il est passé de 33% à 25%. Cela a permis au système d’exclure les nationalistes flamands du système de peur de la fin de la Belgique. D’un point de vue belgiciste, ce n’est évidemment pas illogique.
Le vieux routier du sp.a Johan Vande Lanotte déclare à Knack que ce gouvernement pourrait bien être un bon gouvernement. Quel est votre point de vue ?
C’est difficile de faire des prédictions. Regardez les gouvernements d’Elio Di Rupo (2011-2014) et celui de Charles Michel (2014-2018). Le premier était une tripartite classique commencée sous de mauvais auspices, après la formation la plus longue de l’histoire, 541 jours. En 2014, elle a été légèrement récompensée par l’électeur et elle a gagné un siège. En revanche, la coalition suédoise, considérée comme « idéologiquement cohérente », allait se distinguer. Cela n’a pas été le cas. Le gouvernement violet, formé par les socialistes et les libéraux qui avaient largement remporté les élections en 2003, n’ont pas non plus satisfait les attentes élevées. Il faut donc faire preuve de modestie dans les prédictions. Cependant, il y a un certain nombre de paramètres objectifs qui indiquent que le gouvernement De Croo porte en lui une certaine instabilité.
Lesquels ?
Il y en a trois. Premièrement, il y a le nombre de partis. Généralement, plus il y en a, plus une coalition est instable, parce qu’il y a alors plus de vétos. Ce gouvernement compte sept partis, c’est un de plus que Di Rupo, et trois de plus que le gouvernement Michel. Il en va de même pour le spectre idéologique qui est très large dans la Vivaldi : il va d’assez à gauche, avec Ecolo, au centre droit, avec l’Open VLD et le MR. Dans cette constellation, le côté francophone sera lourdement sous pression à gauche, et le côté flamand à droite.
La coalition suédoise n’a-t-elle pas enseigné que la congruence idéologique peut également se révéler problématique ? Tous les partis pêchent alors dans le même étang électoral.
Ce risque est présent ici aussi, et surtout à gauche: les socialistes et les verts ciblent les mêmes électeurs. Le cadre électoral est un troisième paramètre objectif. Le gouvernement De Croo compte beaucoup de petits partis, qui oscillent autour des 10 à 11%. Pour ces partis, le seuil électoral n’est pas très loin. Ils n’ont donc pas beaucoup de marge. La N-VA, qui avait obtenu 33%, en avait, lorsqu’elle est entrée au gouvernement Michel en abandonnant son agenda communautaire. Leur perte importante en 2019 était donc un gros coup dur, mais pas une menace existentielle. Le parti est toujours de loin le plus grand du pays. S’il s’avère que le CD&V, par exemple, tombe à 7%, il y aurait un gros problème. Il y a peu de chances qu’ils progressent tous en 2024. Au moins un parti sera le dindon de la farce. C’est un facteur structurel d’instabilité.
Quelles sont les opportunités de ce gouvernement ?
Tout comme pour l’Arc-en-ciel, on sent que les médias sont plutôt favorables. En 1999, (NDLT : date de l’avènement du gouvernement Verhofstadt), l’ambiance euphorique a duré assez longtemps, et a été avivée dans la presse. Aujourd’hui on sent, même parmi ceux que le contenu ne satisfait pas vraiment, un soulagement qu’il y ait enfin un gouvernement. La lune de miel d’Alexander De Croo et son équipe durera assez longtemps. Et puis il y a la personne d’Alexander De Croo, nous a enseigné la conférence de presse. Il a du flair, c’est incontestable, il apporte un vent de fraîcheur, il est parfait bilingue et charismatique. Cependant, cette médaille a un revers. De Croo qui porte une cravate violette, incarne le projet violet. Du coup, je trouve que c’est davantage un Arc-en-ciel plus CD&V qu’un « projet Vivaldi » cohérent. C’est l’image qui dominera. La meilleure façon de contrer cette image aurait été de nommer un Premier ministre CD&V. Hilde Crevits Première ministre aurait donné une image complètement différente. C’est pourquoi j’ai trouvé bizarre que le CD&V ait à peine revendiqué le poste de Premier ministre.
Alexander De Croo a promis une autre politique, il veut plus de respect. Estimez-vous que ce soit nécessaire ?
Vous devez comprendre que ce genre de phrase passe mal auprès des nationalistes flamands. La N-VA est exclue, comme plus grand parti de la plus grande famille politique du pays, la famille nationaliste flamande. Ceci dit, on pourrait qualifier la résolution de De Croo de mensonge. Le respect c’est aussi, par exemple, ne pas refuser de serrer la main d’un membre du Vlaams Belang, ou de ne pas rester assis quand le parlement rend hommage à un député décédé du parti. Ou prenez le terme de cordon sanitaire : comme si on parlait de porcs malades. Ce sont aussi des limites.
Peu importe qui polarise, non? Ne faut-il pas simplement moins polariser ?
Je ne sais pas s’il faut vraiment une autre politique. La polarisation, la collision de convictions politiques, est une bonne chose pour la démocratie. Elle y est même inhérente. Cependant, il faut rester courtois, on n’utilise certainement pas de violence, on se serre la main, on ne se voit pas comme adversaires, mais comme concurrents… C’est là qu’il faut délimiter, eh oui, on peut dire qu’il y a des politiciens, qui flirtent avec les limites. Mais soyons francs, la politique est un métier impitoyable. L’intérêt général n’existe pas. Il y a de nombreux intérêts qui se heurtent. Il ne faut pas l’enjoliver, il faut dire clairement aux gens ce qui est en jeu. Ce consensus artificiel trouvé entre de bons amis qui veulent le meilleur pour le pays : cela a également quelque chose de totalitaire.
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