Valérie Piette
#Balancetonporc: dire, c’est déjà agir
En 1978, le mot sexisme fait son apparition dans nos dictionnaires. C’était hier. Simone de Beauvoir écrivait alors : « On pensera peut-être que cette conquête est mineure : on aura tort. Car nommer c’est dévoiler. Et dévoiler c’est déjà agir »
Depuis plusieurs jours le dire résonne en chacun·e de nous. Les réseaux sociaux, caisses de résonnance de notre société, amplifient cette parole libérée. Il y aura sans conteste un avant et un après Harvey Weinstein.
Il y a encore deux semaines ce producteur hollywoodien était encensé par toute la critique, les honneurs se succédaient les uns aux autres. Légion d’honneur, ordre de l’Empire britannique, l’homme force le respect. Oh on savait bien « qu’il aimait les femmes », on se doutait de certaines « promotions canapés » comme on les appelle pudiquement. L’homme était pourtant surnommé « the Pig » par son entourage. Il y a quelques jours, Harvey Weinstein s’est rendu dans un centre spécialisé afin de traiter son addiction au sexe et réclamer une thérapie. Classique. Facile. Une pulsion irrépressible. Quelle excuse bien aisée. Pathologiser le désir de contrôler le corps des femmes, pathologiser le viol. Permettre ainsi de se disculper, de ne pas être maître de ses actes. Surtout ne pas s’attarder sur la culture du viol qui envahit nos sociétés.
Aujourd’hui, même à Deauville on efface le nom d’Harvey Weinstein des cabines de plage. Le silence a enfin été brisé par une actrice suivie depuis par des dizaines d’autres. Le monde entier découvre l’ampleur des violences exercées par des hommes sur des femmes. L’omerta est rompue. Les digues ont cédé. Enfin. Et la parole coule, comme un torrent. Délivrée enfin. Elle s’affiche sur les réseaux sociaux sans discontinuer et sa puissance libératrice impressionne. Parler, nous le savons, est une étape essentielle. Mettre des mots sur des maux. Chaque histoire individuelle répond à une autre. Elles se ressemblent tant et forment une chaîne solidaire, bien au-delà des classes sociales, bien au-delà des nationalités. Le phénomène est devenu international en quelques heures. Une déferlante nécessaire voire salutaire. Harvey Weinstein n’est pas un prédateur isolé. Il était surnommé « the Pig », qu’à cela ne tienne, nombreuses sont les femmes à avoir croisé le chemin d’un « Pig ».
Le hasthag #Balancetonporc dénonce les violences faites aux femmes, dénonce les peurs, les hontes longtemps enfouies. Avec ce hasthag ou plus encore avec #Metoo, des femmes réclament le droit de parler et de révéler le sexisme et le harcèlement sexuel dont elles sont quotidiennement l’objet. L’universalité des témoignages sonne la fin du temps de l’ignorance complaisante ou du silence entretenu. La peur et la honte pourraient/devraient ainsi pouvoir changer de camp. La force de ce lien entre ces millions de femmes, entre ces millions d’histoires ne laisse personne indifférent. Une sororité prend corps. L’ampleur de cette libération émeut. Il ne s’agit certes pas d’une découverte. Les statistiques parlent d’elles-mêmes. Aujourd’hui en Wallonie 18 viols sont commis chaque jour. Aujourd’hui en Belgique 130 plaintes pour violences conjugales sont enregistrées quotidiennement. Aujourd’hui en Belgique, une femme sur cinq se dit victime de harcèlement sexuel. Aujourd’hui en Belgique, on estime qu’une femme sur trois a subi ou subira des violences physiques et/ou sexuelles. La froideur de ces chiffres ne peut occulter le vécu des corps, les pressions subies, les peurs intériorisées. Notre société serait-elle à ce point hypocrite qu’elle fait semblant de découvrir aujourd’hui, à Hollywood, la culture du viol ? Non, sans doute que non. Mais aujourd’hui, des femmes parlent et n’ont pas peur de parler. Alors oui, les réseaux sociaux facilitent et exacerbent cette libération de la parole et oui il y aura peut-être quelques dérives, quelques délations, quelques noms dévoilés. Mais ne nous en faisons pas trop ; les femmes ont depuis longtemps très bien intériorisé le fait que leur parole n’est jamais prise au sérieux et que si elles ont été violées c’est que quand même elles l’ont bien cherché. Non cette libération n’est pas de la délation, même pas une chasse aux sorciers. Ces femmes savent ce qu’il en coûte de dire et c’est bien à la société dans son ensemble qu’il revient de dire et de répéter que l’unique problème dans un viol c’est le violeur et non pas une jupe trop courte, ou encore un décolleté trop séduisant, qu’une femme ne se fait pas violer mais qu’elle est violée. Les mots ici encore ont leur importance.
Dans quelques jours, l’engouement médiatique pour l’affaire Weinstein s’atténuera certainement. Mais elle fera date sans conteste. L’onde de choc marque les esprits, elle est devenue mouvement, un mouvement social porté par des millions de femmes. Un seuil de tolérance a été franchi. Nous venons d’assister à un formidable moment d’accélération dans une prise de conscience collective. Une société ne peut plus laisser faire, accepter, taire les souffrances des femmes. Ce qui était tu, muselé ne l’est plus et toute la force du mouvement réside bien dans cette force de ralliement, dans ce sentiment d’appartenance. Dans plusieurs jours la question sera de savoir où porter cette formidable vague d’indignation ? Comment empêcher la prolifération des agissements de tant de Harvey Weinstein ? Comment inculquer à nos fils la notion du consentement, essentielle, à tout rapport affectif ou sexuel ? Comment construire une EVRAS (Education à la vie relationnelle, affective et sexuelle) citoyenne et égalitaire ?
Le 25 novembre prochain, comme chaque année, nous célèbrerons la journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes. Un fil rouge constitué de tissus, parcourra toute la manifestation, symbole des violences quotidiennes vécues par les femmes. Des tissus pour mieux dévoiler et « dévoiler c’est déjà agir ». Les organisatrices espèrent y voir des hommes en nombre.
Valérie Piette
Professeure d’histoire contemporaine (ULB), co-auteure avec Fabienne Bloc de Jouissez sans entraves ? Sexualité, citoyenneté et liberté, Espace de libertés, 2016.
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