Avec la crise du coronavirus « certains revenus faibles ont progressé »
Le coronavirus a-t-il aggravé la pauvreté dans notre pays ? Les pauvres sont-ils plus touchés par le coronavirus ? L’économiste Ive Marx répond à ces questions : « Il se pourrait que la pauvreté ait un peu diminué cette année. »
« La pauvreté dans notre pays a-t-elle augmenté en conséquence du coronavirus ? » Le professeur Ive Marx, spécialiste en inégalités à l’Université d’Anvers, réfléchit à la question. « Probablement pas. Je dis ‘probablement’ parce que ce n’est que dans quelques années que nous aurons tous les chiffres qui montreront l’évolution au cours de l’année écoulée. Il se pourrait qu’on puisse même conclure que la pauvreté relative a diminué. Cela ne m’étonnerait pas. »
Ive Marx: Tous les revenus d’intégration, indemnités, pensions, etc. sont restés au même niveau durant la crise. Pour les revenus les plus faibles, l’état a immédiatement instauré une série de mesures pour faire en sorte qu’il ne souffrent pas trop de pertes financières, ce qui a particulièrement bien fonctionné. Des études du Bureau du Plan révèlent même que dans certains cas les revenus les plus faibles ont progressé. Et elles ne tiennent compte que des mesures fédérales. Au fond, ce sont surtout les revenus des personnes qui travaillent qui ont été touchés par la crise du coronavirus.
Contrairement aux allocations, les revenus des employés ont baissé ?
(hoche la tête) Le revenu médian, c’est-à-dire le montant où la moitié des personnes perçoivent plus et l’autre moitié moins, baissera peut-être cette année, pour cette raison. Il est possible que la pauvreté relative dans notre pays diminue suite au coronavirus, car la définition classique fixe le seuil de la pauvreté à 60% du revenu médian, donc s’il baisse et si les allocations restent intactes, la pauvreté relative diminue. À cela s’ajoute que dans notre pays les salaires sont relativement gravés dans le marbre, et qu’il y avait beaucoup de mesures de compensation pour les employés et les indépendants. Cependant, ces indemnités étaient toutes limitées, et souvent, il n’y avait pas de compensations pour les bénéfices supplémentaires.
Les salaires ne baissent pas autant que la crise ne pourrait le laisser supposer ?
Les salaires sont fixes dans les conventions collectives de travail, et même si l’économie traverse une crise profonde, les salaires sont relativement maintenus. Y compris pendant la crise du coronavirus. Beaucoup de gens qui ont télétravaillé pendant le confinement ont continué à percevoir leur salaire alors qu’ils pouvaient à peine le dépenser, car les cafés et les restaurants étaient fermés, les voyages étaient limités, etc. Du coup, les montants sur les comptes à vue et les comptes épargne ont explosé.
Mais pour les gens qui se sont retrouvés sans travail…
Pour eux, il y avait le chômage temporaire, un système que nous connaissons depuis longtemps et qui a immédiatement été activé. Grâce au chômage temporaire, on perçoit encore 70% de son salaire, jusqu’à un certain plafond, ce qui atténue énormément les conséquences financières de la crise du coronavirus. Au plus bas de la crise, plus de 1,2 million de personnes ont pu en bénéficier. Et certains employés versent un supplément. À cela s’ajoutent que 400 000 indépendants ont joui d’un droit-passerelle. Et il y a eu des primes de nuisance et de compensation assez généreuses. Certaines personnes ont eu des revenus plus élevés qu’avant la crise.
Somme toute, tous nos gouvernements ont rapidement et convenablement aidé financièrement ces gens. Rien que pour la période entre mars et fin mai, le système de chômage temporaire a coûté près de 2,7 milliards d’euros à notre pays, pour le crédit passerelle les autorités prévoient 2 milliards d’euros. Ce sont de gros montants. Et pourtant, certains sont restés sur la touche.
Quelles personnes?
Les jeunes qui avaient un contrat d’essai, ou les gens qui avaient un contrat temporaire. Ou les gens du secteur culturel qui travaillaient avec des contrats journaliers. Il y a donc certainement des gens qui ont des difficultés financières à cause de la crise. Et bien sûr les gens qui vivaient déjà dans la pauvreté ou qui avaient des fins de mois difficiles ont eu encore plus de mal. Pas parce que leur revenu a baissé, car celui-ci est resté intact, mais parce que la vie était plus chère.
C’est surtout la hausse des prix qui a mis plus de gens en difficultés ?
En effet: le coût de produits de première nécessité a augmenté pendant la crise du coronavirus. Ainsi, les réductions ont été un temps interdites. Cette mesure a mis beaucoup de gens en difficulté, car les revenus d’intégration, et les allocations d’invalidité et de chômage les plus bas étaient déjà trop faibles avant la crise pour s’en sortir. Du coup, plus de gens ont dû s’adresser au CPAS ou se rendre aux banques alimentaires.
Outre l’aspect financier, il y a aussi le bien-être des gens.
Le coronavirus a lourdement pesé sur un certain nombre de groupes vulnérables et surtout sur les enfants au niveau physique, psychologique et social. Beaucoup de ménages ont connu plus de stress, par exemple suite au chômage ou à la perte de revenus. Ou parce que des enfants en situation difficile vivant dans une petite habitation devaient suivre leurs cours sur leur ordinateur – si celui-ci était disponible. Nous savons par exemple qu’il y a eu plus de violences conjugales et de maltraitance d’enfants durant la première vague du coronavirus. C’est très problématique. C’est dommage que nous n’ayons pas pu étudier le problème plus systématiquement parce que nous n’avons pas assez de chiffres.
Que pourraient nous rapporter ces chiffres ?
Si nous disposons plus rapidement de meilleurs chiffres, nous pourrions mener une politique beaucoup plus ciblée. Aujourd’hui, nos gouvernements ont dépensé des milliards d’euros, sans savoir précisément quels étaient les besoins les plus pressants, quels étaient les résultats, ou comment éventuellement adapter la politique. C’est comme si l’on envoyait une flottille d’aide à la mer sans GPS.
Entre-temps, nous sommes dans une deuxième vague de coronavirus.
On verra son ampleur. Mais il est probable qu’on ne paralyse plus totalement l’économie. Un nouveau confinement devra être plus diversifié et plus ciblé, et donc les conséquences seront moins drastiques. Entre-temps, je ne vois pas beaucoup de changements structurels.
Et que pouvons-nous attendre du gouvernement De Croo ?
Oui, que pouvons-nous attendre? L’accord gouvernemental est très flou, il n’y a pas beaucoup d’indications que le gouvernement fédéral prendra beaucoup de mesures structurelles pour améliorer le sort des plus vulnérables après la crise. Je crains que nous ne devions pas en attendre grand-chose.
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