« Allonger la période de chasse, ce n’est pas pour faire plaisir aux chasseurs »
Faut-il allonger la période de chasse du grand gibier, comme le souhaite la Wallonie ? Pour Michel Villers, responsable de la Direction de la chasse et de la pêche de l’administration wallonne, la mesure est nécessaire pour lutter contre une prolifération jugée néfaste par tous.
Le 14 février, dans La Libre, la plateforme Stop aux dérives de la chasse dénonçait le projet d’arrêté wallon visant à étendre la période de chasse pour les cinq prochaines années. Une annonce selon vous prématurée.
Oui, car on en est encore pratiquement nulle part. Le ministre (NDLR : Willy Borsus, MR) a soumis au gouvernement un avant-projet sur la base d’une proposition de l’administration. Une fois le projet approuvé en première lecture par le gouvernement, ce texte devra encore être présenté au Pôle ruralité, un organe de consultation encore plus équilibré et diversifié que ne l’était déjà le Conseil supérieur wallon de la chasse, même s’il est vrai que les chasseurs y sont nombreux. La loi impose aussi une consultation au niveau du Benelux et des deux autres Régions. Nous sommes toutefois engagés dans une course contre la montre, puisque le texte doit être prêt au plus tard un mois avant l’ouverture de la période de chasse, fixée au 1er juillet. Le débat sur la période de chasse a toujours été sensible. Or, l’annonce relayée dans la presse est fausse : il est question d’étendre la période de chasse jusqu’en janvier ou février, et non jusqu’en mai.
Il est question d’étendre la période de chasse jusqu’en janvier ou février, et non jusqu’en mai.
Quels sont les raisons invoquées ?
Beaucoup de milieux se plaignent des dommages divers causés par la prolifération du grand gibier. Pour réduire les populations surabondantes de sangliers et de cerfs, il est difficile d’en prélever plus sur un laps de temps identique, car il faut laisser reposer le territoire. En réalité, la proposition de l’administration vise simplement à pérenniser quelque chose que l’on a déjà fait par le passé. En principe, la période des battues se termine le 31 décembre de chaque année. Toutefois, la Wallonie a très souvent autorisé à chasser le sanglier et le cerf au-delà de cette période. C’est ainsi que, comme la loi le permet, les précédents arrêtés quinquennaux ont été modifiés pour les saisons 2014, 2015, 2018 et 2019.
Certains estiment qu’une telle mesure profite avant tout aux chasseurs. Quelle est votre analyse ?
Je n’ai pas le sentiment que les chasseurs aient autant envie que cela de pouvoir chasser en janvier ou en février. C’est bien la Wallonie qui considère que les populations de grand gibier sont trop importantes. Si elle ne leur demandait pas d’appuyer sur le champignon, beaucoup de chasseurs seraient contents de raccrocher la carabine à Noël. L’année dernière, les autorités ont non seulement allongé la période de chasse en janvier et en février, mais elles les ont même obligés à organiser au moins deux journées de chasse. C’est dire à quel point nous avons conscience que la démarche ne va pas de soi pour les chasseurs et qu’elle n’est pas conçue pour leur faire plaisir.
De leur côté, les associations de la plateforme pointent les dérives du nourrissage artificiel du grand gibier par les chasseurs, qui contribue à sa prolifération et sert les intérêts de la chasse…
Je pense qu’il est faux de dire que seuls les chasseurs ont provoqué la surpopulation. Le grand gibier se porte bien partout en Europe occidentale et pose donc aussi problème chez tous nos voisins. Les circonstances climatiques plus douces induisent moins de mortalité naturelle et les ressources naturelles sont devenues plus abondantes, ce qui favorise grandement les populations de grand gibier. La fin du nourrissage artificiel ne mettra pas fin à leur prolifération. Le Luxembourg, qui l’interdit, fait par exemple face aux mêmes problèmes que nous. Il y a par ailleurs toujours cette crainte que l’arrêt du nourrissage aggrave les dégâts dans l’agriculture. S’il est bien mené à certains moments de l’année, il peut sans doute contribuer à maintenir les sangliers dans les bois et éviter les dégâts. Mais rappelons que le projet d’arrêté qui doit être pris prochainement n’a pas d’autre portée que de définir des périodes d’ouverture de chasse. Ce n’est pas dans ce cadre-ci que l’on réglera la problématique du nourrissage.
On ne peut pas considérer que ces prolongations ont jusqu’ici causé de gros problèmes au grand public.
L’allongement de la période de chasse ne risque-t-elle pas de menacer d’autres espèces, dont la présence n’est pas jugée problématique ?
Non, parce que les périodes de chasse sont fixées par espèce. Dans le cas du petit gibier, qui se porte moins bien, il est évident que nous ne les allongerons pas.
Au-delà des espèces animales, la cohabitation entre les chasseurs et les promeneurs reste compliquée. Comment y remédier ?
Quelle que soit la période de chasse, il y a toujours de nombreux endroits où l’on peut se balader en forêt. Que ça ne plaise pas à tout le monde, je le conçois. Mais on ne peut pas non plus considérer que ces prolongations ont jusqu’ici causé de gros problèmes au grand public. Tout est une question d’information. Localement, il y a parfois de bonnes initiatives : certaines communes ont mis en place une cartographie des territoires de chasse en lien avec un agenda des battues. L’idéal serait de centraliser ce type de démarche et de l’étendre à une échelle plus large, du moins au sud du sillon Sambre-et-Meuse. A cet égard, le ministre vient de charger l’administration de mettre en oeuvre une plateforme Webgis. Elle vise à informer les usagers de la forêt du calendrier des battues sur l’ensemble du territoire wallon. Et devrait contribuer, à l’avenir, à une meilleure acceptation et compréhension des uns et des autres.
Pour la plateforme Stop aux dérives de la chasse, regroupant 60 associations (internationales, nationales ou francophones), les véritables enjeux dépassent les questions de durée de la période de chasse, comme l’explique Harry Mardulyn, de Natagora, qui a pour but de protéger la nature en Wallonie et à Bruxelles.
L’allongement de la période de chasse est en réalité une officialisation d’un état de fait. Depuis des années, l’administration octroie aux chasseurs des dérogations pour organiser des battues au-delà des dates de fermeture. Il s’agit en réalité d’allonger la période de chasse » loisir « , avec comme conséquence un prolongement de la restriction d’accès à la forêt aux autres utilisateurs que sont les promeneurs, les naturalistes, les photographes, les amoureux de la nature, etc.
La raison invoquée par le ministre Borsus est de réduire la surabondance des populations de grands ongulés (sangliers et cervidés). Or, malgré des mesures prises depuis des décennies, leurs populations ont littéralement explosé : en trente ans, la population des cervidés a triplé et celle des sangliers a été multipliée par six ! Avec des conséquences affligeantes pour la biodiversité de nos forêts, des dégâts importants à l’agriculture et des crises sanitaires comme celle de la peste porcine africaine.
En fait, 40 % de nos forêts sont en mauvais état de conservation. Disparition de la régénérescence naturelle, destruction systématique de l’avifaune nichant au sol (pipit, gélinotte aujourd’hui éteinte, perdrix grise, tétra lyre…), destruction des amphibiens et des reptiles (vipère péliade en danger d’extinction), destruction massive des larves d’insectes vivant dans le sol, raréfaction de plantes indigènes rares comme les orchidées sauvages, etc.
Certaines communes (Nassogne, Libin) risquent même de perdre leur certification PEFC (NDLR : certification forestière privée qui promeut la gestion durable des forêts) en raison du mauvais équilibre » forêt-gibiers » de leurs bois, ce qui impacterait fortement leurs revenus d’exploitation forestière. Wellin l’a déjà perdue pour la deuxième fois et les bois de la Donation royale de Ciergnon sont également menacés.
N’écoutant que le monde de la chasse, les ministres wallons successifs et leurs administrations n’ont fait que perpétuer une situation qui échappe aujourd’hui à tout contrôle. Une des causes fondamentales est à rechercher dans le nourrissage artificiel en forêt, que le gouvernement wallon continue d’autoriser. Il est pourtant urgent et indispensable d’interdire toute forme de nourrissage artificiel, comme l’ont d’ailleurs fait nos voisins luxembourgeois, ainsi qu’allemands pour les Landers voisins, de Rhénanie Palatinat et de Rhénanie Westphalie.
L’officialisation de l’allongement des dates de chasse n’est donc en réalité que la pointe de l’iceberg.
Le bien-être animal est tristement absent des préoccupations du monde de la chasse. Les lâchers massifs de faisans et de perdrix grises organisent un véritable tir aux clays vivantes, la chasse au renard, considéré comme nuisible, ignore son rôle essentiel dans la régulation des micro-mammifères, la chasse à l’arc, préconisée par certains, est une pratique barbare et honteuse. La » poussée silencieuse » pratiquée largement en Allemagne, au Grand-Duché de Luxembourg et dans nos communes germanophones ne présente aucun stress pour les animaux : ceux-ci sont poussés en silence et doucement par les rabatteurs vers les chasseurs. Elle devra un jour remplacer les battues » à cor et à cris « , indignes de notre humanité.
Il est urgent et indispensable d’interdire toute forme de nourrissage artificiel.
La plateforme Stop aux dérives de la chasse (1) comprend à ce jour 60 associations dont le WWF, La Ligue royale belge pour la protection des oiseaux, Gaïa, Natagora et d’autres regroupant l’environnement, le scoutisme, la protection de la nature, des cyclistes, des VTTistes, des protecteurs et d’autres usagers de la forêt. Elle représente une coalition de plusieurs centaines de milliers de membres, qui méritent tout autant l’attention du ministre Borsus que le monde de la chasse, lorsqu’il rédigera son nouvel arrêté quinquennal.
Notre plateforme demande que le nouveau décret que le ministre s’apprête à prendre dans l’urgence, soit limité à un an et qu’une large concertation incluant tous les utilisateurs de nos forêts soit associée à la rédaction d’un nouvel arrêté quinquennal qui couvrirait alors la période 2021-2026.
C’est à ce prix que le monde de la chasse délaissera des pratiques du xixe siècle pour entrer dignement dans le xxie siècle.
Par Harry Mardulyn.
(1) stopderiveschasse.be
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