Les voitures électriques, vraiment propres ?
Zéro émission, la voiture électrique ? Ce n’est pas exact si l’on prend en compte la pollution émise pour produire l’électricité et surtout, les batteries. Mais elle serait, à l’usage, généralement plus propre qu’une voiture à carburant. Les experts s’affrontent sur le sujet.
En apparence, une voiture électrique est propre. Elle n’a pas de pot d’échappement. Elle est en réalité » presque propre » : » elle émet quand même des particules, avec les freins, les pneus, reconnaît Damien Ernst, professeur à l’Université de Liège, qui croit à ce type de véhicule, même s’il n’en possède pas (encore). Mais d’une manière générale elle est plus propre qu’une voiture à carburant. »
Bataille d’études
S’il est facile de comparer les émissions de différentes autos produites en roulant, l’opération devient difficile en tenant compte de l’ensemble du cycle de vie du véhicule, avec les émissions produites lors de la fabrication. Les études ne manquent pas, mais elles s’affrontent et les résultats sont parfois contradictoires. » Ils varient selon les commanditaires « , ironise Damien Ernst. Et aussi selon les lecteurs qui interprètent, car il y a des inconditionnels de la voiture électrique, mais aussi des sceptiques et des EV haters. Les menaces d’interdiction de voitures à carburant d’ici 10 à 20 ans, en France et en Grande-Bretagne, semblent doper les argumentations critiques. Les médias sociaux font le reste.
Ainsi, une étude suédoise menée par l’institut IVL à Stockholm, publiée en suédois, a provoqué des remous. Elle indiquait que la seule production des batteries d’une Tesla Model S 100 (haut de gamme, avec une batterie de 100 kWh) représentait une émission de 17,5 tonnes de CO2, soit l’équivalent des émissions d’une voiture à carburant roulant pendant 8,2 ans. Les anti et pro-voiture électrique se sont écharpés sur le Net, les seconds parlant d’hypothèses biaisées.
La VUB dans la mêlée
Pour tenter de réconcilier les multiples études parfois contradictoires, le centre de recherche MOBI de la VUB a analysé toutes les études publiées pour en dégager un méta-modèle. La conclusion, publiée en octobre dernier, est que la voiture électrique, de sa fabrication à son recyclage en fin de vie, entraîne toujours moins d’émissions de CO2 qu’une voiture diesel : -65 % en Belgique. L’étude a été réalisée pour l’ONG Transport & Environment, qui est financée notamment par des administrations publiques de l’environnement (Allemagne, Norvège, etc.) et la Commission européenne.
La VUB a cherché à dépasser les difficultés de l’exercice. La faiblesse de ces études globales concerne les hypothèses de base adoptées pour les comparaisons. Beaucoup d’études tablent sur les données officielles d’émissions, NDEC (Nouveau Cycle Européen de Conduite), qui ne correspondent pas à un usage réel. Elles sous-estiment l’impact environnemental d’une voiture à carburant. » On évalue à 30-40 % la différence entre les mesures officielles et les conditions de conduite réelles « , indique l’étude de la VUB. Une nouvelle norme de mesure, WLTP, plus réaliste, vient d’entrer en vigueur, mais ne concerne encore que quelques modèles. Il y a aussi des hypothèses qui varient d’une étude à l’autre, qui peuvent modifier les conclusions, comme la durée de vie de la batterie, leur mode de production, ou le kilométrage parcouru : il n’y a pas vraiment de standard commun.
Environ 50 % de CO2 en moins pour le MIT
Une des recherches les plus importantes a été menée par le MIT (1), dont les conclusions remontent à 2016. Elle porte sur un éventail particulièrement large d’automobiles vendues aux Etats-Unis (125 modèles), avec plusieurs motorisations (carburant, hybride, électrique et même à hydrogène, comme la Toyota Mirai). Elle conclut que les voitures électriques entraînent moins d’émissions de CO2 que leurs cousines à carburant. Ainsi la Nissan Leaf, une des voitures électriques les plus vendues, » génère moitié moins de gaz à effet de serre que la voiture à carburant moyenne vendue en 2014 « , indique l’étude. Mais elle relève que des modèles supposés ultra-propres, comme la Toyota Mirai, la voiture à hydrogène de Toyota, ne sont pas si clean que cela. Selon le mode de production de l’hydrogène, l’émission générée par ce véhicule (en vente en Belgique) est identique à celle d’une voiture à carburant !
Polémique
L’interprétation de cette étude a été contestée. Le Financial Times a publié en novembre un article montant en épingle un des points du rapport, qui relève qu’une grande Tesla S P100D émet davantage de CO2, sur son cycle de vie, qu’une petite Mitsubishi Mirage (Space Star en Europe).
Le quotidien financier londonien a dû publier une réaction des auteurs de l’étude, Jessika Trancik, Geoffrey Supran et Marco Miotti, choqués de voir le Financial Times utiliser l’exemple de la Mitsubishi Mirage, qui est une exception dans l’étude. » Sur la base de ce cas unique, l’article critique largement les politiques menées en Europe, en Amérique et en Chine « , écrivaient les chercheurs. Ils ont accusé le quotidien d’avoir » renversé les conclusions fondamentales de (la) recherche au Massachusetts Institute of Technology, donnant au public une perspective trompeuse sur les véhicules électriques « .
Les pouvoirs publics ne se sont guère mêlés à ces affrontements, bien que beaucoup de pays encouragent fiscalement les voitures électriques. Lorsque la fiscalité automobile tient compte d’un aspect environnemental, elle se limite à prendre en compte le taux d’émission de CO2 en roulant, pas sur le cycle de vie. C’est le cas pour la taxe de circulation en Flandre ou la fiscalité des voitures de société au fédéral. Même chose à l’étranger. Ce qui revient, au passage, à subsidier Tesla.
L’émission réelle d’une voiture électrique ? « 80 g de CO2 par km »
» Pour le moment, le mieux est de s’en tenir à des études qui partent de calculs simples, plutôt que d’études touffues qui ne détaillent pas bien les hypothèses de base « , estime Damien Ernst. Pour le professeur de l’Université de Liège, l’élément dont la comparaison est la plus simple et vérifiable est, aujourd’hui, de comparer le CO2 émis en tenant compte de la production de l’électricité. » Selon ce critère, une voiture électrique émet 8 kg de CO2 aux 100 km, soit 80 g par kilomètre. Cela reste plus favorable qu’une voiture à essence qui consomme peu, soit 5 litres aux 100 km, et qui va émettre 115 g au kilomètre. »
Damien Ernst utilise pour cette comparaison une statistique moyenne sur les émissions générées par la production dans l’Union européenne, de 400 grammes par kilowattheure, supérieure à celle spécifique à la production d’électricité en Belgique. Le niveau d’émission par kilowattheure produit varie d’un pays à l’autre, selon la répartition de la production entre le renouvelable et les centrales plus ou moins polluantes. » Cela ne sert à rien de prendre des données nationales, car l’électricité vendue en Belgique peut provenir en partie de pays voisins. »
(1) Personal Vehicules Evaluated against Climate Change Targets, MIT, 2016.
-65 %
La voiture électrique, de sa fabrication à son recyclage en fin de vie, entraîne toujours moins d’émissions de CO2 qu’une voiture diesel : -65 % en Belgique, selon une étude de la VUB.
Question connexe à l’impact environnemental des voitures électriques : les réseaux pourront-ils les recharger en masse ? Le régulateur du gaz et de l’électricité en Belgique, la CREG, est positif. Même si la Belgique compte un million de voitures électriques (le parc actuel ne dépasse pas les 5.000 véhicules, 0,8 % du total), la consommation d’électricité ne monterait que de 4 % par an. Damien Ernst est plus nuancé, il craint un souci avec les réseaux de distribution, ceux qui relient les maisons. » Là, il y a un sérieux risque de congestion, la charge pourrait doubler « , explique-t-il. La solution souvent avancée est celle des compteurs intelligents (smartgrid), qui pourraient gérer les recharges avec des tarifs encourageant le branchement hors des heures de pointes. Pour la CREG, ils pourraient aussi servir à exploiter les batteries des voitures électriques comme réservoir pour absorber ces pics de consommation. La CREG estime que 100.000 voitures électriques pourraient doubler la capacité de stockage actuelle. Une situation de rêve en apparence, car il est difficile de stocker l’électricité, qui doit donc être consommée immédiatement. » L’ennui c’est que les compteurs intelligents ne sont pas en place, il y en a encore très peu en Belgique « , avance Damien Ernst.
Une manière plus simple et plus rapide de gérer le problème serait de réduire la puissance distribuée aux particuliers. » Si l’on passe de 10 kW à 5 kW, cela règle le souci « , continue Damien Ernst. Cela ralentira aussi la recharge des voitures, ce qui est contradictoire avec la tendance inexorable à l’augmentation de la capacité des batteries, pour augmenter l’autonomie. » Cela peut se régler en utilisant à domicile des batteries qui permettront une recharge rapide des voitures. »
Augmentation de 25 % de la consommation
En termes de consommation globale, un parc totalement électrifié représenterait une consommation de 25 % en plus des 80 TWh consommés actuellement tous les ans. » Actuellement, 20 TWh de plus ça passerait, mais je ne sais pas comment ça va évoluer lorsque l’on sortira du nucléaire. On parle de nouvelles centrales au gaz, mais rien n’est construit. Nous seront en déficit structurel en 2025. «
– Kilowattheure. Ou kWh en abrégé. Cette unité mesure une quantité d’énergie multipliée par le nombre d’heures. Un appareil de 2.000 watts (2 kW) qui fonctionne pendant deux heures aura consommé 4 kWh. Cette unité est utilisée pour mesurer la capacité des batteries. Une Renault Zoé dispose de batteries de 22 ou 41 kWh, une Tesla, de 75 à 100 kWh. Pour rouler environ 100 km, il faut disposer de 20 kWh. Si l’on parle du réseau, l’unité qui sera utilisé est le terawatt/heure (TWh).
– Kilowatt. Unité de puissance. Dans le cas des voitures électriques, cela concerne notamment les bornes de recharge. Une prise de courant basique (220 volts) produit 3 kW. Les bornes de recharge peuvent fournir 10, 20 kW ou plus (plus de 100 kW pour les supercharger de Tesla). Pour recharger une batterie de 22 kWh, une borne de 10 kW mettra un peu plus de 2 heures.
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