La «conquête spatiale» est aussi un précieux champ de recherches médicales.

Neuf grandes avancées médicales réalisées grâce aux astronautes

Thierry Fiorilli
Thierry Fiorilli Journaliste

Si la conquête spatiale mobilise des budgets colossaux, ses retombées restent incommensurables. Notamment dans le domaine médical, qui peut s’appuyer sur ses découvertes pour progresser.

Plus de 600 astronautes, près de 9.000 engins spatiaux et plus de 13.000 satellites sont partis dans l’espace, toutes bannières confondues, depuis l’envoi en orbite, le 4 octobre 1957, de Spoutnik 1. En 2024, le budget de la Nasa, l’agence en charge du programme spatial civil américain, s’élève à 24,88 milliards de dollars, celui de l’ESA, l’agence spatiale européenne, à 7,79 milliards d’euros. Les Russes consacreront à leur programme spatial 2,5 milliards de dollars cette année. Quant à la Chine, qui vient de réussir l’exploit de se poser sur la face cachée de la Lune, elle a dépensé plus de 14 milliards de dollars l’an dernier dans le domaine.

C’est dans cette réalité qu’en mai dernier, l’ESA annonçait la future affectation de Raphaël Liégeois à sa première mission sur la station spatiale internationale (ISS), à l’automne 2026. Il sera le troisième Belge (et le premier Wallon) à s’envoler pour l’espace, après Dirk Frimout en 1992 et Frank De Winne en 2002 et 2009. Durant six mois, l’ingénieur civil biomédical mènera des expériences scientifiques belges et internationales, qui seront sélectionnées d’ici là après appel à projets.

C’est que «la conquête spatiale» est aussi un précieux champ de recherches médicales, outre qu’une multitude de développements techniques et technologiques spécifiquement imaginés pour la vie des astronautes en mission se sont ensuite retrouvés dans notre quotidien (la couverture de survie, les lunettes de soleil, les oreillers et matelas à mémoire de forme, les semelles à coussin d’air des chaussures de running…). On lui doit ainsi, entre autres, l’imagerie par résonance magnétique issue du programme Apollo des années 1960 pour améliorer la qualité des photographies de la surface lunaire, ou le thermomètre auriculaire, résultant des instruments de mesure à rayonnement infrarouge conçus pour détecter étoiles et planètes. Un recensement exhaustif serait hasardeux. En voici toutefois neuf, particulièrement importantes aux yeux de Felice Mastroleo, chercheur au Centre d’étude de l’énergie nucléaire (SCK-CEN), à Mol, des journalistes de Daily Science, premier site Web belge gratuit de vulgarisation scientifique et de diffusion des connaissances, ainsi que de l’Agence spatiale européenne.

Pour Felice Mastroleo (SCK-CEN)

1. La bactérie qui combat le mauvais cholestérol
«En coopération avec l’ESA et un consortium international, le Centre d’étude de l’énergie nucléaire a développé le système Melissa (Micro-Ecological Life Support System Alternative), composé de microbes et de plantes capables de transformer les déchets en oxygène, en eau potable et en nourriture. C’est donc la transformation du vaisseau spatial en un écosystème fermé reposant sur des bactéries, des algues, des plantes, des éléments chimiques et des procédés naturels. Lors de tests sur des rongeurs, nous avons découvert que l’une de ces bactéries, la Rhodospirillum rubrum, diminuait de façon importante le mauvais cholestérol. Au SCK-CEN, nous avons travaillé à l’identification de la molécule responsable de cet effet, les brevets ont été déposés et il y a eu également un essai clinique dont les résultats sont encore confidentiels. Au stade actuel, un partenaire industriel est nécessaire pour lancer le projet à grande échelle.»

2. Les compléments faciles à cultiver
«Grâce au projet Melissa, nous avons également mis au jour que la spiruline, cyanobactérie très résistante aux radiations, riche en protéines et minéraux et renforçant le système immunitaire et le microbiome intestinal, peut être cultivée et récoltée par les astronautes eux-mêmes pour produire de la nourriture. Ils l’utilisent déjà comme complément alimentaire. Notre prochain vol spatial est prévu pour septembre prochain: un miniphotobioreacteur partira dans l’ISS pour une expérience inédite, dont la spiruline est le cœur. En parallèle, nous conduisons en République démocratique du Congo un projet de vulgarisation de sa culture, car la spiruline peut aider des populations confrontées à la malnutrition chronique.»

En septembre prochain, un dispositif partira dans l’ISS pour une expérience inédite, dont la spiruline est le cœur. © SCK-CEN

3. Le recyclage des eaux usées
«Dans la station spatiale internationale, on est parvenu à recycler 98% de l’urine et de la sueur des astronautes en eau potable. Cette augmentation du taux de recyclage permet de fortement diminuer la demande d’eau.» Ces techniques de production en circuit fermé, développées elles aussi grâce au projet Melissa, inspirent par ailleurs dans le quotidien puisque, entre autres exemples, la brasserie de l’abbaye Notre-Dame de Koningshoeven, à Eindhoven, aux Pays-Bas, les a choisies pour réduire de 80% la quantité d’eau utilisée pour le brassage de ses bières. Le tournoi de tennis de Roland-Garros utilise ce même système pour réutiliser l’eau des douches dans les chasses d’eau des toilettes. Et des opérations de purification ou recyclage d’eau au Maroc, en Antarctique et à Barcelone ont eu lieu, découlant des techniques spatiales.

«On est parvenu à recycler 98% de l’urine et de la sueur des astronautes en eau potable.»

Pour l’Agence spatiale européenne

1. Les cristaux de meilleure qualité pour les médicaments
«Des études sur les vols spatiaux indiquent que la microgravité offre les conditions parfaites pour les cristaux de protéines (NDLR : la cristallisation des protéines est une méthode permettant de produire des formes posologiques solides pures et stables et un certain nombre de substances thérapeutiques injectées et perfusées), les rendant de meilleure qualité que ceux produits sur Terre. Le produit est plus uniforme et présente moins d’imperfections, ce qui peut améliorer le processus de découverte et de développement de médicaments. Ces cristaux sont également nécessaires pour créer des doses de faible volume et de forte concentration pour l’administration sous-cutanée qui, contrairement aux injections intramusculaires ou intraveineuses, peut être facilement réalisée par des personnes aux compétences mineures ou à domicile. Ils présentent en outre une meilleure pharmacocinétique –le principe absorption/distribution/métabolisme/élimination– et une plus grande durée de conservation. De meilleurs cristaux peuvent aussi conduire à une meilleure reformulation des médicaments, ce qui permet de mettre au point de nouveaux traitements présentant moins d’effets secondaires pour les patients.»

2. L’impression spatiale en 3D de tissus vivants
«Face à la pénurie mondiale d’organes susceptibles d’être transplantés, l’impression spatiale en 3D de tissus vivants et d’organoïdes (des microtissus multicellulaires en trois dimensions dérivés de cellules souches adultes et conçus pour imiter la structure et la fonctionnalité des organes humains) pourrait être une solution. Les organoïdes reposent sur l’autorenouvellement et la différenciation de cellules souches résidant dans les tissus qui se développent en culture et s’auto-organisent en structures complexes. La microgravité facilite l’auto-organisation des organoïdes en 3D ainsi qu’une meilleure différenciation. La bio-impression tissulaire peut également être utilisée pour reproduire la structure 3D d’un tissu humain, ce qui permet d’obtenir beaucoup plus d’informations sur l’effet d’un médicament qu’en utilisant uniquement des cultures de cellules humaines en 2D ou en effectuant des tests sur des souris.»

«Ce pourrait être une piste de solution face à la pénurie d’organes susceptibles d’être transplantés.»

3. La chirurgie laser
«Un dispositif de suivi des yeux mis au point pour l’espace est couramment utilisé en chirurgie laser. Sur Terre, les yeux peuvent rester stables même lorsqu’on secoue la tête, grâce à l’oreille interne qui utilise la gravité comme référence. Les chercheurs souhaitaient étudier comment les astronautes se débrouillent dans l’espace sans ce point de référence et avaient donc besoin d’une méthode robuste pour suivre leurs yeux sans interférer avec leur travail. Après avoir testé un casque de suivi oculaire dans l’ISS pendant plusieurs années, les ingénieurs ont réalisé que cette technologie pouvait être appliquée sur Terre dans le cadre de la chirurgie oculaire au laser, où il est nécessaire de suivre l’œil du patient pour diriger avec précision le scalpel laser.»

Dans l’espace, les astronautes perdent dix fois plus vite de la masse osseuse qu’une personne sur Terre souffrant d’ostéoporose. © ESA/NASA

Pour Daily Science

1. La télémédecine
«Les téléconférences rendues possibles partout sur Terre grâce aux satellites de télécommunication ont permis des applications de télémédecine, de téléconsultation ou de téléopérations chirurgicales. Y compris au sein d’un même hôpital. Ce système de télécom fournit des informations ou des ressources médicales qui ne sont pas disponibles autrement. La télémédecine est une aubaine pour les régions éloignées ou difficiles d’accès et pour les interventions urgentes. Elle permet aussi de mettre en relation l’expertise médicale avec d’autres parties du monde. Pendant la pandémie de Covid-19, elle a ainsi permis aux professionnels de la santé de fournir des soins virtuels tout en maintenant les précautions contre les maladies infectieuses. Et puis, l’arrivée de Zoom, Teams ou encore Skype dans les bureaux et les foyers a limité les déplacements, et la pollution inhérente, donc l’impact sur nos organismes (système respiratoire, cardiovasculaire) et bien sûr les risques de contamination.»

«L’expertise médicale peut être mise en relation avec d’autres parties du monde.»

2. La télédétection
«L’observation de la Terre sert l’épidémiologie et la détection précoce de l’émergence d’une maladie humaine ou animale. Les satellites fournissent des infos presque en temps réel sur la température de surface de la planète, celle de la mer, l’altitude des tsunamis, les précipitations, l’humidité, les polluants atmosphériques (qui ont des conséquences sur les maladies respiratoires, les maladies coronariennes, les naissances prématurées), le bétail, la couverture nuageuse, les paramètres de la végétation, la salinité de la mer, la concentration d’algues et de bactéries marines, la densité de la population, la couverture des sols. Autant d’informations qui, une fois interprétées, permettent d’identifier des maladies infectieuses ou des vecteurs de maladies, de planifier des stratégies de santé afin de contribuer à l’atténuation des maladies et de surveiller directement des micro-organismes spécifiques. Ainsi, on peut par exemple prévoir les poussées de malaria, dont le vecteur est le moustique, ceci en lien avec les précipitations, l’humidité, la végétation, la température. La télédétection est aussi utilisée pour détecter la fluorescence distincte des cyanobactéries, qui produisent des toxines liées à des pathologies.»

La bio-impression permet de reproduire la structure 3D d’un tissu humain. © ESA

3. La lutte contre l’ostéoporose
«Des études cardiovasculaires menées sur des astronautes effectuant des vols spatiaux de longue durée ont mis en évidence une résistance accrue à l’insuline et une accélération de l’athérosclérose, reflétant essentiellement un vieillissement précoce. Les astronautes subissent une atrophie de la masse musculaire et une perte de densité osseuse en microgravité: ils perdent dix fois plus vite de la masse osseuse qu’une personne sur Terre souffrant d’ostéoporose. Les contre-mesures visant à atténuer ces effets permettent de mieux comprendre les maladies osseuses et neuromusculaires sur Terre. Idem pour le système immunitaire et les fonctions visuelles des astronautes qui tend à diminuer dans l’espace. La microgravité peut affecter l’activation des lymphocytes T, qui se développent à partir des cellules souches de la moelle osseuse et qui contribuent à nous protéger contre les infections et à lutter contre le cancer.»

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