Stephen Curry
La capture de mouvement sans marqueur est intéressante pour analyser, par exemple, comment Stephen Curry réussit si bien les tirs à trois points. ©BelgaImage

Pilules, capteurs, IA et IRM: ces technologies qui révolutionneront le sport du futur

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

L’impact de la science sur le sport n’a cessé de croître au fil du temps. Et ce n’est pas près de s’arrêter. Voyage vers le futur avec cinq technologies, décryptées par un expert, qui pourraient révolutionner la vie des sportifs.

Récemment rénové, le Wintercircus de Gand accueille ces 19 et 20 septembre le Sports Tech Research & Innovation Summit. L’événement est organisé par Kristof De Mey, responsable de l’innovation et développeur dans le domaine des technologies du sport à l’UGent. Sur la base de technologies existantes ou en cours de développement, il donne un aperçu de la manière dont les athlètes seront entraînés et coachés à l’avenir.

1. La capture de mouvement sans marqueur

«On a tous déjà vu à la télévision des analyses biomécaniques d’athlètes au cours desquelles les chercheurs appliquent des marqueurs sur leur corps. En laboratoire, les caméras infrarouges, par exemple, détectent les membres en mouvement. Désormais, il est également possible de le faire sans marqueurs: on parle de capture de mouvement sans marqueur (MMC). Et ce n’est plus en laboratoire, mais sur le terrain, grâce à la vision par ordinateur, que cela se passe. Il s’agit d’un pan de l’intelligence artificielle (IA) qui apprend aux ordinateurs et aux systèmes à traiter et à interpréter des informations significatives à partir d’images et de vidéos numériques. Fujitsu, notamment, a mis au point un système capable de visualiser les mouvements des gymnastes en 3D et d’ainsi permettre aux juges d’attribuer des points de façon plus précise. D’autres entreprises se concentrent sur les sports où il y a des mouvements de course: tennis, golf, baseball… Elles entraînent leurs algorithmes de manière à ce qu’ils puissent analyser parfaitement une course. Dans les sports d’équipe, comme le foot ou le basket, c’est plus difficile. Les joueurs y courent les uns à côté des autres, et les caméras sont également plus éloignées. Aujourd’hui, des systèmes de suivi, par des caméras ou des balises le long du terrain ou grâce à un GPS, enregistrent leur position, leur vitesse et les distances parcourues. Les systèmes de vision par ordinateur vont plus loin, avec des images en temps réel, sous tous les angles, en 3D. C’est particulièrement intéressant pour décrypter, par exemple, comment un footballeur s’est rompu le ligament croisé: quel était l’angle de son genou au moment de la blessure? Ou pour analyser pourquoi Stephen Curry, joueur de la NBA, réussit si bien les tirs à trois points. Cette technologie est encore en cours de développement. Il faut une puissance de calcul extraordinaire pour utiliser l’IA afin de générer ces images et de les traiter assez rapidement. Quelques entreprises, comme Sports Radar et Second Spectrum aux Etats-Unis, y travaillent d’arrache-pied et attirent les ingénieurs et les universitaires les plus brillants. Elles n’ont pas beaucoup de budget, mais si elles vendent leurs technologies à de grandes ligues sportives comme la NFL (NDLR: la ligue de football américain) ou la NBA, aux médias et même à l’industrie du jeu, elles pourraient rapporter une fortune.»

2. L’entraînement cérébral

«Les lunettes de réalité virtuelle, la musique ou les systèmes de vision stroboscopique sont utilisés depuis des années pour entraîner le cerveau des sportifs de haut niveau. Il s’agit de les mettre dans un état de « flow » particulier, de leur permettre de mieux évaluer les situations tactiques sur le terrain ou de les faire réagir plus rapidement –comme pour les gardiens de but. C’est du moins ce qui est vendu, mais les preuves scientifiques restent très limitées. Il n’a pas été démontré qu’au cours d’un match, sous une forte pression, un gardien de but puisse effectivement mieux appliquer cette compétence. D’autres se réfèrent au monde médical. Il a été prouvé que certains outils réduisent les troubles anxieux ou soulagent les douleurs chroniques, par exemple. Ces mêmes outils pourraient également être utiles dans le sport de haut niveau. L’entraînement cérébral est le plus grand domaine inexploré de l’entraînement des athlètes. Les entreprises parieront de plus en plus sur ce domaine. Et peut-être que dans un avenir proche, une technique innovante établira sa valeur ajoutée.»

«L’entraînement cérébral est le plus grand domaine inexploré de l’entraînement des athlètes.»

3. Les conseils pour s’entraîner grâce à l’IA

«Il existe actuellement 350.000 applications sportives et de santé sur le marché. Le problème d’un grand nombre d’entre elles est qu’elles reposent sur les données d’un seul test, effectué à un moment T. Elles ne s’adaptent donc pas. Or, s’il fait plus de 30 °C aujourd’hui, mieux vaut ne pas faire d’entraînement intensif par intervalles de haute intensité. Et mieux vaut également ne pas le faire si l’on se sent fatigué. Certaines applis, comme Trenara pour la course à pied ou Join pour le cyclisme, tentent déjà d’indiquer la meilleure façon de s’entraîner en fonction de différents paramètres en constante évolution. A l’avenir, ces conseils seront beaucoup plus personnalisés. Grâce à l’intelligence artificielle et aux algorithmes, toutes les données physiques mesurées seront transformées en conseils spécifiques, adaptés aux circonstances. Chez les pros, tout cela existe déjà. Le Club Bruges, par exemple, a récemment annoncé qu’il collaborerait avec Orreco. Cette société utilise des algorithmes d’IA pour établir un rapport détaillé sur l’état de forme d’un joueur, à partir des résultats d’analyses sanguines. Cela permet de mettre en place des programmes de récupération individuels. Certains outils se basent sur l’ADN ou sur d’autres paramètres. D’ici à quelques années, des plateformes d’entraînement hyperintelligentes seront lancées et combineront tout cela. Les entraîneurs et les préparateurs physiques devront également s’adapter.»

4. Le scanner corporel complet

«Aux Etats-Unis, pour quelques milliers de dollars, il est possible de passer une IRM du corps entier en hôpital. Un rapport est ensuite dressé. Quelles anomalies physiques présente le patient? Quelles pathologies, des tumeurs cancéreuses aux maladies cardiovasculaires, se développent à un stade précoce? Des millions sont investis dans ce domaine. Mais cela suscite aussi beaucoup de critiques. Au sujet de la justesse et de la pertinence scientifiques –toutes les anomalies ne se traduisent pas par des symptômes physiques– mais aussi sur le plan éthique –quand intervient-on médicalement? Dans le domaine du sport, l’IRM est désormais principalement utilisée lorsqu’un athlète s’est blessé. Des clubs sportifs très riches, comme Manchester United, possèdent même leur propre scanner IRM. L’étape suivante est un scanner corporel complet, destiné à la prévention des blessures. Il est beaucoup plus sophistiqué et est capable de déterminer la composition corporelle –pourcentage de graisse, masse musculaire, densité osseuse…– d’un individu. L’entreprise Springbok Analytics peut déjà rassembler des images IRM et visualiser les muscles et les tendons en trois dimensions, afin de détecter d’éventuels déséquilibres et de prévenir les blessures. A l’UGent, une équipe dirigée par le professeur Wim Derave a également développé le Muscle Talent Scan, qui recourt à la spectroscopie pour déterminer la répartition entre les fibres musculaires rapides et lentes et évaluer les risques de blessures. Ces techniques continueront également à se sophistiquer dans les années à venir.»

«Le secteur de la technologie sportive est une jungle, avec pas moins de 7.000 produits destinés à toutes sortes d’usages.»

5. Les pilules électroniques

«Aujourd’hui, les athlètes gèrent la température centrale de leur corps en avalant des comprimés munis d’un capteur. Ils ont un impact important sur les performances sportives, surtout par temps chaud. Dans le monde médical, on va même beaucoup plus loin. Des pilules électroniques « intelligentes » cartographient le fonctionnement biochimique du système intestinal. Les éventuels troubles ou inflammations peuvent ainsi être résolus par une médication sur mesure. Le pas vers le sport est vite franchi. Ces dernières années ont montré l’importance d’un apport énergétique accru pour les athlètes d’endurance, notamment par le biais de boissons et de gels sportifs. Ainsi, l’une des principales raisons pour lesquelles les cyclistes professionnels pédalent de plus en plus vite est qu’ils consomment beaucoup plus d’hydrates de carbone, grâce à des gels. Si l’on pouvait utiliser une pilule « intelligente » pour mesurer les nutriments qu’un coureur absorbe plus ou moins bien pendant l’exercice, on pourrait personnaliser cet apport énergétique de manière encore plus précise. La nanotechnologie est en plein développement. Le principal problème sera de convertir les données en connaissances et en outils concrètement applicables.»

Définir un cadre réglementaire

«Le secteur de la technologie sportive est une jungle, avec pas moins de 7.000 produits destinés à toutes sortes d’usages. Personne ne s’y retrouve encore, pas même moi, avoue Kristof De Mey (UGent). La différence avec le monde médical est énorme. Là, on ne peut pas lancer une nouvelle technologie sur le marché sans que sa sécurité et son efficacité, très réglementées, ne soient scientifiquement prouvées. L’inconvénient: cela coûte plusieurs millions d’euros et beaucoup de temps. Dans le secteur des technologies du sport, en revanche, vous pouvez lancer quelque chose immédiatement, à condition de respecter les règles du RGPD (NDLR: le règlement européen sur la protection des données personnelles) et de ne pas prétendre pouvoir résoudre un problème médical. Il n’existe pas de cadre ou d’organisme de contrôle permettant de déterminer si la technologie fonctionne effectivement correctement. Les gouvernements nationaux ou la Commission européenne ne s’occupent pas, à quelques exceptions près, des technologies du sport. C’est pourquoi, par l’intermédiaire de l’UGent, j’ai réuni un groupe d’experts d’Europe, d’Australie et des Etats-Unis au sein du Sports Tech Research Network. Ensemble, nous avons élaboré un cadre de qualité normalisé et fondé sur des données scientifiques, que nous avons présenté aux acteurs du secteur. Il en est ressorti 23 caractéristiques mesurables, réparties en cinq piliers, auxquelles un nouveau produit doit répondre. Il s’agit d’une première étape, car nous continuerons à affiner le cadre. La Fédération internationale de football (Fifa) et plusieurs autres fédérations et clubs sportifs vont maintenant l’utiliser pour déterminer ce sur quoi ils misent en matière de technologie. Les start-up et les entreprises peuvent également y recourir pour concevoir ou améliorer leurs produits de manière plus intelligente.»

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