Perfectionniste, la capitaine n’est pas trop familière du concept de jour de congé. © belgaimage

Des mots et même un peu de cris: comment Emma Meesseman (Belgian Cats) a (enfin) accepté d’être une star

Un sixième titre en Euroligue et un sacre de meilleure joueuse de l’année: Emma Meeseman est encore un peu plus entrée dans la légende, la semaine dernière. Retour sur la métamorphose de la championne de la balle orange.

Emma n’a que 17 ans lors de son premier entraînement avec l’équipe nationale féminine de basket dont la figure de proue est Ann Wauters. Alors trois fois championne d’Europe, cinq fois élue meilleure basketteuse du continent, la capitaine a de quoi impressionner. Quand elle adresse la parole à Emma Meesseman, la nouvelle venue se recroqueville, comme si elle pouvait cacher son imposant 1, 93 mètre sous le parquet. Le block autoritaire placé quelques minutes plus tard sur une tentative de tir de Wauters s’accompagne d’excuses presque instantanées. Une question de respect, d’abord. De tempérament, aussi.

Emma Meesseman ne change pas quand elle devient, incontestablement, la meilleure joueuse des Belgian Cats. Elle préfère laisser à celle qui est de treize ans son aînée le soin de s’adresser au groupe, de le maintenir uni dans les moments difficiles. La nouvelle étoile préfère rester dans l’ombre. Emma se tait et observe les attitudes d’Ann Wauters, meneuse dans l’âme.

En juin 2021, pourtant, il faut bien que quelqu’un prenne la relève. Lorsque la sélection pour les championnats d’Europe, dernière préparation avant les Jeux olympiques de Tokyo, est annoncée, Ann Wauters n’y est pas. La championne est entrée dans la quarantaine, et la suite de l’histoire s’écrira sans elle. « C’est à ce moment qu’Emma a eu le déclic, se souvient Koen Umans, manager général des Belgian Cats, qui a suivi de près l’évolution de Meesseman. Elle a alors compris qu’elle devait reprendre le rôle d’Ann. Après quelques séances d’entraînement, elle s’est naturellement adressée au groupe. A sa manière, sans parler fort ou faire de grandes déclarations. Depuis, elle est la cheffe de file des Cats. »

Par les faits plutôt que par les mots, elle est devenue la source d’inspiration de la sélection belge.

Mener par l’exemple

Par les faits plutôt que par les mots, Emma Meesseman est donc devenue la source d’inspiration de la sélection belge. En quittant le bus, elle n’hésite jamais à sortir elle-même les valises de la soute. Quand il s’agit plutôt de quitter le vestiaire, c’est elle qui mène la danse, arrivant systématiquement la première sur le parquet pour lancer son échauffement. Et lorsque ses obligations en club font qu’elle rejoint un peu plus tard que ses coéquipières le camp d’entraînement des Cats, l’intensité des séances après son arrivée n’a rien à voir avec celle des précédentes. «Elle joue avec une telle passion que les autres se sentent obligées de suivre, poursuite Koen Umans. En plus, elles se rendent compte que c’est un honneur de jouer avec Emma, l’une des meilleures joueuses du monde.»

Cette motivation sans faille, Meesseman la possédait déjà lors de ses passages précoces dans les rangs des jeunes du Racing et des Blue Cats d’Ypres. Elle n’était alors presque jamais absente des séances d’entraînement, avec une idée bien précise derrière la tête: «Le jour où tu penses que tu ne peux plus t’améliorer, tu ferais mieux d’arrêter.» Ce n’est pas un hasard si Kobe Bryant, star planétaire de la NBA, décédé dans un accident d’hélicoptère, était son modèle, lui qui vivait avec l’obsession de cette amélioration permanente. Comme lui, la Belge n’est pas trop familière du concept de jour de congé. Quand son club fait relâche, elle enquille les heures supplémentaires et les paniers pour améliorer sa technique de tir. Il n’y a que lors de ses séjours à Ypres que quelques moments de détente sont permis même si, là aussi, le perfectionnisme n’est jamais bien loin.

Chez les Washington Mystics, Stefanie Dolson (au centre) avait poussé la Belge a mieux se faire entendre.
Chez les Washington Mystics, Stefanie Dolson (au centre) avait poussé la Belge a mieux se faire entendre. © belgaimage

C’est ce trait de caractère qui explique qu’Emma Meesseman déteste perdre. C’est l’une des rares choses qui la met de mauvaise humeur, avec les réveils qui sonnent trop tôt. «Dans ces cas-là, il vaut mieux me laisser tranquille. C’est mieux pour mon entourage que je gagne», avouait-elle, en 2020, à l’hebdomadaire De Krant van West-Vlaanderen. Même une partie de Uno doit se terminer par une victoire pour être accompagnée d’un sourire. Alors, quand le rêve d’une médaille olympique s’est évanoui lors des derniers Jeux de Tokyo, la douleur fut spectaculaire. Il a fallu laisser le basket aux oubliettes pour se morfondre deux semaines dans son canapé avant de reprendre la marche en avant. Avec l’esprit clair. «Ce qu’il y a de bien avec Emma, c’est que même quand elle perd, elle ne fuit pas ses responsabilités, reprend Koen Umans. Lorsque nous avons perdu le match de qualification pour l’Euro contre la Pologne, en novembre dernier, elle a dit aux coachs qu’elle avait joué en dessous de sa valeur.» Le tir était déjà rectifié pour le match suivant, conclu par un succès convaincant face à l’Azerbaïdjan.

Son trophée de meilleure joueuse des Finals de WNBA est resté emballé deux semaines, avant de servir de serre-livres.

Les yeux qui voient tout de Meesseman

Sur le parquet aussi, Emma Meesseman reste une source d’inspiration. Sa faculté à atteindre un niveau de concentration très élevé avant et pendant les matchs fascine son entourage. A la veille d’une rencontre, elle imagine déjà les différents scénarios qui pourraient en écrire l’histoire. Une fois la partie lancée, même quand la tension monte, elle reste imperturbable. Elle ne se cache jamais à l’heure de prendre le dernier tir décisif. Selon Ellen Schouppe, la préparatrice mentale des Cats, sa déficience auditive partielle est un atout majeur de la Flandrienne à l’heure de se mettre dans sa bulle.

Cela a également affûté son regard. Avec ou sans la balle entre les mains, elle ne cesse de regarder derrière elle, presque par réflexe. Une manie devenue la source d’une vision du jeu phénoménale, qui lui offre souvent un temps d’avance sur ses adversaires et lui permet de prendre une grande majorité de bonnes décisions sans forcer, de façon presque naturelle.

Les armes d’une joueuse totale, toujours prête à enfiler le costume dont son équipe a le plus besoin. Lors du dernier championnat d’Europe, par exemple, elle fut la meilleure marqueuse du tournoi remporté par les Cats avec une moyenne de 21,7 points, mais pointait aussi à 5,2 passes décisives, 4,7 interceptions (un chiffre colossal) et 1,3 block par match. Elle est également devenue la première joueuse d’un Euro à réaliser un triple double dans la compétition, atteignant au moins dix points marqués, passes décisives réussies et rebonds conquis. Si Julie Allemand, Kyara Linskens ou Julie Vanloo offrent aux Cats une ossature de haut vol, c’est indéniablement autour d’Emma Meesseman que gravite l’équipe belge.

Ici la voix

A la mi-temps de la finale européenne face à l’Espagne, c’est d’ailleurs autour de leur étoile que se sont rassemblées les Belges. Calme et ferme, Emma Meesseman avait un message à faire passer à ses coéquipières au terme d’une première partie de rencontre décevante. Son discours n’a pas atteint les nonante secondes, mais a suffi pour marquer les esprits: «Nous devons jouer avec notre cœur, mais nous ne le faisons pas. Nous le regretterons si nous continuons à jouer comme ça et que nous perdons. Et le regret est le pire des sentiments à vivre. Nous pouvons le faire. Nous méritons cette coupe.»

La jeune Meesseman qui se cachait dans l’ombre imposante d’Ann Wauters était alors bien loin. Tout comme celle qui parlait si peu et si discrètement lors de son premier passage aux Etats-Unis chez les Washington Mystics, au point que Stefanie Dolson, l’une des stars de cette franchise de WNBA, lui avait balancé la réalité en plein visage: «Emma, si tu veux être une leader, tu devras être plus bruyante.» Dolson lui avait alors demandé de crier le plus fort possible. La Belge était devenue rouge comme une tomate, et son équipière l’a emmenée derrière les tribunes, ne l’autorisant à en sortir que quand elle aurait crié assez fort pour que toute l’équipe l’entende.

Le temps où la jeune Meesseman se cachait dans l’ombre imposante d’Ann Wauters est bien loin.
Le temps où la jeune Meesseman se cachait dans l’ombre imposante d’Ann Wauters est bien loin. © belgaimage

Ce n’est que bien plus tard que Meesseman a compris pourquoi Dolson l’avait malmenée de la sorte: «Il est important de communiquer, d’oser se mettre en colère parfois. Surtout chez les Cats, où un changement de génération s’est opéré ces dernières années avec l’arrivée de nouvelles jeunes joueuses. Si elles ont une question, elles frappent à ma porte. Mais elles m’appellent grande sœur, pas maman», sourit-elle quand on l’interroge sur son rôle de figure maternelle de la sélection.

Aujourd’hui, Emma Meesseman va même jusqu’à donner des conseils spontanés à celles qui partagent son vestiaire, que ce soit à l’abri des regards ou à même le parquet. «Elle a même appris à parler aux arbitres, sourit Koen Umans. Avant, elle ne disait presque rien, même lorsqu’elle obtenait un lancer franc. Maintenant, elle a acquis un tel statut dans le basket international qu’elle peut se le permettre. Elle le fait toujours calmement, jamais de manière négative, et ne contestera jamais une faute qu’elle a vue. Pour les arbitres, c’est important.»

Meesseman la joueuse d’équipe

Active sur Twitter, Emma Meesseman avait partagé, en 2021, une interview de Derek Carr, quarterback de football américain. Il y faisait principalement l’éloge de ses coéquipiers. Un discours qui fait écho chez la Belge, réputée pour placer l’intérêt de l’équipe au-dessus de tout. Sa mère, Sonja, et son père, Gil, ont pris soin de développer ce trait de caractère dès les premiers pas d’Emma sur les parquets. En ne comptant jamais les points qu’elle marquait ou les rebonds qu’elle prenait, ils ne s’épargnaient pas seulement de longues litanies de chiffres, mais évitaient ainsi que leur fille donne trop d’importance à sa réussite personnelle.

Souvent, l’Yproise a souligné que les récompenses individuelles n’étaient rien d’autre que de beaux compliments. Ce n’est pas un hasard si son trophée de MVP (NDLR: most valuable player, soit meilleure joueuse) des finales de la WNBA est resté deux semaines dans son emballage avant de devenir un serre-livres dans une armoire. Elue Sportive belge de l’année en 2020, Meesseman avait insisté sur la victoire, bien plus importante, de «ses» Belgian Cats au titre d’équipe de l’année, et répète sans cesse qu’elle échangerait volontiers tous ses trophées individuels contre une médaille olympique à Paris: «Partager le succès avec ses coéquipières, avec toute l’équipe en coulisses, ce sont ces moments-là dont je me souviendrai plus tard», déclarait-elle encore l’an dernier lors de son sacre comme meilleure joueuse de l’Euroligue. Si elle a préféré cette compétition au basket américain, c’est d’ailleurs en raison de la dimension beaucoup plus collective du jeu européen.

A la mi-temps de la finale européenne face à l’Espagne, son discours calme et ferme a sublimé ses coéquipières.

«Emma a toujours une vue d’ensemble, conclut Koen Umans, le directeur général des Belgian Cats. Depuis la Turquie (NDLR: Meesseman joue à Fenerbahçe), elle suit de près non seulement l’évolution de ses coéquipières en sélection, mais aussi les résultats de nos équipes nationales de jeunes. Elle nous envoie régulièrement des messages à ce sujet. Emma sait que ces filles sont l’avenir des Cats, et qu’elle les prendra sans doute sous son aile dans les années à venir. Finalement, elle est comme ça avec tout le monde. Elle préfère être considérée comme une bonne personne plutôt que comme une excellente joueuse. Elle restera toujours “juste” Emma. La célébrité la plus normale du monde.»

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