La maladie touche particulièrement les populations des pays à revenu élevé. © Getty Images

Endomètre, l’autre cancer méconnu de l’utérus: pourquoi les symptômes ne sont pas évidents à déceler

Ludivine Ponciau
Ludivine Ponciau Journaliste au Vif

Moins connu que le cancer du col de l’utérus, celui de l’endomètre est en progression. Pris en charge précocement, il se soigne bien. Mais les symptômes ne sont pas évidents à déceler.

C’est un cancer auquel la recherche scientifique s’est jusqu’ici peu intéressée. Mais l’inéluctable vieillissement de la population et l’inquiétante hausse du taux d’incidence et de mortalité (+2% par an) en ont fait un sujet de préoccupation. Si bien que le mois de juin est consacré à sa sensibilisation. Moins connu que le cancer du col de l’utérus ou des ovaires, alors qu’il est nettement plus répandu, le cancer de l’utérus –aussi appelé cancer de l’endomètre– touche chaque année 1.400 Belges. Il représente la moitié des cancers gynécologiques et est le sixième cancer le plus répandu chez les femmes. C’est aussi une maladie qui touche particulièrement les populations évoluant dans des pays à revenu élevé, dont l’ensemble des pays européens, avec des pics plus marqués aux Etats-Unis parmi les communautés asiatique, noire et hispanique. Dans ces régions, la moitié des cancers gynécologiques sont liés à l’endomètre.

Situé au milieu du petit bassin, l’endomètre est la membrane intérieure qui tapisse la paroi du corps de l’utérus. Cette muqueuse est constituée de cellules épithéliales qui forment des glandes dans le tissu conjonctif. Dans la plupart des cas, la tumeur se forme à partir de l’une des cellules de la première couche de l’endomètre, l’épithélium. Ces adénocarcinomes endométrioïdes représentent les formes les plus fréquentes de la pathologie. Le cancer du col de l’utérus, lui, est presque toujours lié à une infection chronique par des virus appartenant à la famille des papillomavirus.

1.400

Belges reçoivent chaque année un diagnostic de cancer de l’endomètre.

Déséquilibre hormonal

Les travaux du Pr. Mansoor Raza Mirza, oncologue en chef au département d’oncologie de l’hôpital universitaire de Copenhague ont aiguisé la curiosité du monde médical ces dernières années. Avant lui, les projets d’essais étaient régulièrement refusés par les firmes pharmaceutiques, hypothétiquement en raison du profil des patientes concernées: âgées et ménopausées. Soit un marché jusque-là assez restreint.

Ce qui explique que le cancer de l’utérus soit devenu un enjeu pour l’avenir des soins médicaux, ce sont les facteurs de risque. La plupart, en effet, sont étroitement liés à nos modes de vie: l’obésité, la sédentarité mais aussi l’évolution des tendances en matière de reproduction, comme le fait d’avoir moins d’enfants et de les concevoir plus tard.

«Chez les nullipares, le fait que l’endomètre ne soit pas sollicité peut jouer un rôle sur le bon équilibre hormonal (NDLR: œstrogènes et progestérones)», décrit la Dr. Stéphanie Henry, oncologue médicale au CHU de Namur. L’excès de graisse et un diabète de type 2 peuvent également être à l’origine de ce déséquilibre. Le risque est par ailleurs plus élevé chez les femmes qui ont éprouvé des difficultés à tomber enceinte ou chez qui les règles sont rares (moins de cinq cycles par an).

Plus exposées aussi: les jeunes patientes qui présentent un syndrome des ovaires polykystiques. Les troubles de l’ovulation et du cycle menstruel qui caractérisent la maladie augmentent le risque d’apparition d’hyperplasie atypique de l’endomètre, soit une prolifération excessive des tissus de l’endomètre pouvant potentiellement évoluer en maladie cancéreuse. Les déséquilibres hormonaux peuvent être limités par la prise d’une pilule contraceptive combinant œstrogènes et progestérones ou la pose d’un stérilet hormonal.

Le risque est également augmenté en cas de syndrome héréditaire, tel que le syndrome de Lynch, causé par la mutation d’un gène impliqué dans la réparation de l’ADN. Les personnes issues de familles où ce syndrome est présent ont davantage de risques de développer des cancers de l’utérus mais aussi du côlon, du rectum et, plus rarement, d’autres cancers. Des cas rares mais difficiles à traiter.

Un lien entre la prise prolongée de tamoxifène, un médicament permettant de moduler le récepteur aux œstrogènes et utilisé en hormonothérapie pour prévenir et guérir certains cancers du sein, et le cancer de l’endomètre a été mis en évidence. Le problème, avec le tamoxifène, c’est qu’il provoque un épaississement de l’utérus. Le risque reste toutefois limité puisque que les patientes soignées pour un cancer du sein font également l’objet d’un suivi gynécologique régulier.

Et l’endométriose? Dans l’état actuel des connaissances, rien n’indique que la maladie inflammatoire chronique qui touche tant de femmes représente un facteur de risque supplémentaire.

«Chez les femmes ménopausées, on retire l’utérus. Chez les plus jeunes, on privilégie la chirurgie conservatrice.»

L’endomètre est la membrane intérieure qui tapisse la paroi du corps de l’utérus. © Getty Images

Ecouter son corps

Si le cancer de l’endomètre gagne du terrain, c’est aussi parce que l’identification des symptômes par les patientes est difficile. Les désagréments ou l’inconfort qu’elles peuvent ressentir sont relativement courants, ce qui brouille les pistes. Des saignement irréguliers et abondants chez les femmes non ménopausées, ou anormaux après la ménopause, font partie des premiers signaux d’alerte. De même que des douleurs ou des tensions pelviennes et des résultats anormaux au test Pap, utilisé dans le dépistage du cancer du col de l’utérus.

D’autres symptômes, pas toujours évidents à identifier non plus, peuvent apparaître à un stade plus avancé du cancer: une perte de poids soudaine, un gonflement inexpliqué de l’abdomen, un besoin fréquent d’uriner ainsi que des troubles intestinaux inhabituels. Le problème est que certaines de ces sensations sont fréquemment ressenties par la plupart des femmes, notamment en raison des changements hormonaux qu’elles vivent. Pour la Dr. Stéphanie Henry, il est prudent de consulter un gynécologue lorsque ces symptômes persistent plus de trois semaines. «Bien connaître son patrimoine génétique et ses antécédents familiaux peut aussi aider à mieux prévenir la maladie et la dépister plus rapidement», souligne l’oncologue.

Diagnostiqué précocement, le cancer de l’utérus se soigne relativement bien. Le taux de survie nette à cinq ans avoisine les 80%. Le type de traitement envisagé dépendra aussi des caractéristiques du cancer, des préférences de la patiente et de son état de santé général.

La prise en charge des femmes très âgées, par exemple, s’avère particulièrement délicate: elles se montrent moins résistantes aux traitements et pratiquer sur elles une hystérectomie n’est pas sans risque.

L’ablation chirurgicale est l’option la plus évidente lorsque le cancer est peu avancé. «Chez les femmes ménopausées, l’opération consiste à retirer l’utérus pour faire disparaître le cancer. Chez les femmes plus jeunes, on se tournera davantage vers de la chirurgie conservatrice.» D’autres traitements incluent de la radiothérapie, de la chimiothérapie, de l’hormonothérapie et de l’immunothérapie. Des anticorps monoclonaux sont par exemple prescrits en monothérapie pour traiter certains cancers de l’endomètre récidivants ou avancés. D’autres thérapies ciblées sont encore au stade des essais cliniques.

Depuis 2014, les médecins peuvent s’appuyer sur une classification des cancers sur la base du génome de chaque tumeur. Quatre types ont été recensés pour le cancer de l’endomètre: copy member low (39% des cas), copy membre high (26%), MMR déficient ou MSI (pour microsatellite instability, 28% des cas) et POLE ultramuté (7% des cas).

Cette distinction permet d’établir un traitement sur mesure selon le profil de la patiente, le stade de la maladie et les caractéristiques génétiques de la tumeur. Certains génomes réagissent mieux que d’autres à l’une ou l’autre thérapie. Les chances de survie diffèrent également d’un type à l’autre. Dans le cas du POLE ultramuté, par exemple, la quasi-totalité des patientes guérissent, qu’elles soient jeunes ou âgées, que le cancer soit à un stade avancé ou non. Quant au MMR déficient, il répond particulièrement bien à l’immunothérapie. Si la recherche continue à porter ses fruits (et qu’elle est suffisamment soutenue), bien plus de cancers gynécologiques pourraient être vaincus à l’avenir.

«Les cancers gynécologiques sont encore largement tabous»

L’association de patientes atteintes de cancers gynécologiques, Gynca’s, milite pour que les pathologies touchant exclusivement les femmes fassent davantage l’objet de recherches et de campagnes de prévention et de sensibilisation. Gynca’s veut aussi inciter les femmes à mieux écouter leur corps et à se soumettre à des examens médicaux réguliers. «De nombreuses femmes rapportent qu’elles ont exprimé leurs plaintes longtemps avant que le diagnostic ne soit posé», relaie la présidente de l’association, Anne De Middelaer.

Un désarroi qu’expriment particulièrement les patientes atteintes du cancer de l’utérus. «Elles se sentent souvent seules et incomprises. L’attention est surtout focalisée sur le cancer du sein, les cancers gynécologiques étant encore largement tabous. Heureusement, le public est aujourd’hui mieux informé au sujet du cancer du col de l’utérus et de l’ovaire. Mais de l’endomètre… qui en entend parler?»

Gynca’s veut également inciter les femmes à s’écouter et à ne pas taire leurs plaintes quand elles ressentent des douleurs ou un inconfort inhabituel. Les symptômes ressentis étant souvent mis sur le compte du stress, de l’alimentation ou du mode de vie. «Il n’existe actuellement aucun programme de dépistage de cette forme de cancer. Mais des examens internes réguliers comme une échographie permettent de détecter la maladie à un stade précoce. Plus on est apte à reconnaître les symptômes, plus le diagnostic peut être posé rapidement. Cela s’applique à tous les cancers gynécologiques.»

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