Plusieurs experts attribuent l’origine du chiffre 1 aux encoches gravées dans les os d’Ishango (ici, une réplique de sept mètres de haut, à Bruxelles), découverts en 1950 par le Belge Jean de Heinzelin de Braucourt. © Getty Images

Série 4/7 | Des pharaons à un mathématicien allemand, la polymorphe aventure du chiffre 1

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

De l’essence même de l’univers à l’unité de mesure, en passant par la force militaire, le «1» a endossé des rôles aussi multiples que les priorités humaines.

C’était il y a environ 20.000 ans. Quelque part dans le Congo d’aujourd’hui, un homo sapiens taille des encoches dans un os d’animal. D’une manière ou d’une autre, le «1» était né. Etait-ce de simples signes, ou une forme rudimentaire de mathématiques? Découverts en 1950 par le Belge Jean de Heinzelin de Braucourt, les os d’Ishango firent l’objet de nombreuses (sur)interprétations, dont la communauté scientifique débattit âprement. De façon plus consensuelle, ce n’est qu’en 4.000 avant J.-C. que le «1» refait une apparition remarquée, cette fois en tant que nombre. Les Sumériens, qui peuplent alors le sud de la Mésopotamie (essentiellement l’Irak d’aujourd’hui), créent en effet des jetons de la forme d’un cône, constituant la plus petite unité de leur système de numérotation. Ils leur permettent, par exemple, de distribuer les récoltes et de garder une trace tangible des transactions commerciales.

Un millénaire plus tard, l’Egypte antique développe une conception très spécifique du «1» comme unité de mesure, si précieuse pour construire des bâtiments aux dimensions pharaoniques. Ainsi, une coudée correspond plus ou moins à la distance entre le coude et l’extrémité des doigts. La coudée royale, matérialisée sous la forme de bâtons couramment utilisés par les architectes, équivaut à 52,3 centimètres, subdivisés en palmes (paumes) et en doigts. Vers 520 avant J.-C., les Grecs confèrent au «1» une dimension bien plus philosophique. En vertu de sa théorie selon laquelle «tout est nombre», Pythagore est convaincu que le 1 constitue l’essence même de tout ce qui existe.

Pour Pythagore, le 1 constitue l’essence même de tout ce qui existe.

De leur côté, les Romains du IIIe siècle avant J.-C. se soucient bien peu des considérations philosophiques du 1. Bien qu’il endosse très clairement le rôle de nombre et de chiffre dans leur système de numérotation, il est surtout perçu comme un facteur d’ordre dans le déploiement des armées. Ainsi, une centurie se compose de dix sections de dix hommes. Pendant des siècles, le règne des chiffres romains ne souffre d’aucune contestation en Europe. Mais si tout empire a une fin, il en va de même pour une numérotation fastidieuse dès qu’elle porte sur de très grands nombres. En Inde, la volonté de renoncer au monde physique et d’atteindre le lointain Nirvana implique de définir des distances jusqu’ici incommensurables. En associant pour la première fois le 1 et le 0, les mathématiciens indiens ouvrent la voie aux chiffres tendant vers l’infiniment grand ou petit. Ceux-ci gagnent le monde arabe au VIIIe siècle, puis l’Europe à partir du XIIe siècle, sous l’impulsion notable de Léonard de Pise, plus connu sous le nom de Fibonacci.

En 1703, le mathématicien allemand Gottfried Wilhelm Leibniz ouvre une dernière ère décisive pour l’avènement ultérieur du numérique, en formalisant les préceptes (déjà explorés par d’autres savants) de la numérotation binaire, uniquement basée sur le 1 et le 0. Après bien des circonvolutions au fil des siècles, c’est désormais ce seul binôme qui œuvre, dans l’ombre, au fonctionnement des calculatrices et de l’informatique.

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