Au dernier été de Didier Bellens
L’ancien patron de Belgacom est décédé, le 28 février, à 60 ans. Quinze mois après avoir quitté son poste et les controverses sur, notamment, son salaire. Evocation de la rencontre qu’il nous avait accordée l’été 2015.
C’était un matin de l’été 2015. Nous avons rendez-vous à son domicile privé, situé dans un quartier cossu d’Auderghem, à quelques encablures de Val Duchesse. La villa est belle, bien cachée derrière une palissade. Nous sonnons et attendons. Longtemps. Nous sonnons à nouveau. Et attendons encore. Une silhouette passe furtivement derrière les carreaux. Doucement, la porte s’ouvre. Un grand homme nous fait face, légèrement courbé. Visage pâle, mal rasé. Aux pieds, de vieilles chaussures aux lacets défaits. Plus surprenant : Didier Bellens est en pyjama et en robe de chambre.
Nous avions été prévenus de son combat contre la maladie. Gentiment, il avait tout de même accepté de nous rencontrer. On lui avait proposé différents lieux de rendez-vous : maison, bureau ou resto. Il avait opté pour son domicile. L’interview a pour objet les grandes mutations qui ont touché l’histoire récente des entreprises belges. C’est que l’ancien prince de Belgacom a eu une carrière au long cours. Dans les années 1980 et 1990, le fidèle lieutenant d’Albert Frère suivait de près tous les gros dossiers du moment : Société Générale de Belgique, Royale Belge, BBL, Petrofina… Souvent témoin, parfois acteur, il a été aux premières loges de la disparition d’une certaine Belgique.
Nous sommes dans son salon. La main tremble. La voix est douce. Le propos est généralement sensé, parfois emmêlé ou un brin contradictoire. Derrière ses lunettes, les yeux pétillent encore d’intelligence. Mais le débit est lent, fatigué. Cet homme, vieilli, n’a plus rien de la vedette croisée quelques années plus tôt au détour d’une conférence de presse. Au sommet de la tour Belgacom, il était impérial, céleste, intouchable. Il est redevenu mortel. Le choc est rude : les géants tombent toujours de haut.
On évoque ses débuts chez GBL, sa rencontre avec Léon Lambert, « un visionnaire extraordinaire qui a su prendre des risques ». Didier Bellens esquive les questions qui dérangent et refuse les polémiques. Sur les rapports houleux entre Frère et Lambert, il préfère botter en touche : « C’étaient des gens extrêmement différents. Je n’ai jamais assisté à des difficultés. » Il faut dire que les deux furent aussi ses mentors.
On parle de la perte des fleurons nationaux. Des regrets ? « Non, parce que je suis davantage européen que simplement belge. Si on veut survivre, il faut avoir une taille suffisante. » Là où certains reprochent à Frère d’avoir vendu les joyaux, Didier Bellens vante l’action du patron carolorégien. « Albert Frère a été remarquable, il a protégé des pans entiers de l’industrie. Son objectif était d’embellir les participations du groupe. »
L’ex-grand patron, visionnaire et controversé, se lève. « Bon, on va se revoir. » Manière polie de mettre un terme à l’entretien. Une heure est passée. Didier Bellens invoque un autre rendez-vous ; il paraît fatigué. D’autres questions figuraient pourtant à l’agenda. Lentement, souriant, il nous reconduit à la porte. Nous ne le reverrons pas.
Vincent Delcorps
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