Benjamin Hermann

En campagne électorale, la patate chaude est terrifiante (chronique)

Benjamin Hermann Journaliste au Vif

En période de campagne électorale, chaque sujet peut devenir polémique, vous exploser à la figure ou vous sauver. C’est un jeu dangereux, qui se joue jusqu’à la dernière minute.

Jusqu’au bout, on essaiera de se refiler la patate chaude. Ce dossier polémique dont pas grand monde n’imaginait, au départ, qu’il pouvait changer la donne. On cherche à influencer l’agenda médiatique et l’opinion publique. Ce dont on parlera le dimanche matin, dans les chaumières, avant de se rendre au bureau de vote. Quiconque aura prise sur le game changer – ce nouvel élément de campagne susceptible de déjouer les pronostics – pourra dormir sur ses deux oreilles.

Pour les autres, les perdants, c’est la règle universelle du valet noir qui s’applique. Ce jeu qu’on appelle aussi «valet puant», «pouilleux» ou «Zwarte Piet» repose sur un principe fort simple: éviter à tout prix de se retrouver en possession de la mauvaise carte, en bout de course. L’histoire de la politique belge, même récente, ne manque pas d’exemples de personnalités ou de partis politiques pris aux piège.

La crise de la dioxine est pratiquement un cas d’école, parce qu’elle survint au printemps 1999, quelques jours à peine avant les élections fédérales. On a beaucoup dit et écrit, à l’époque, que l’affaire avait planté le dernier clou dans le cercueil des sociaux-chrétiens. En ce dernier scrutin du XXe siècle, les écologistes avaient tiré leur épingle du jeu et fini par intégrer une coalition arc-en-ciel dirigée par Guy Verhofstadt. Aux oubliettes, Jean-Luc Dehaene.

Ces mêmes écologistes payèrent un lourd tribut quatre ans plus tard, souffrant de leur participation au pouvoir, mais aussi de l’annulation du Grand Prix de Formule 1 à Francorchamps. En cause, la loi, votée quelques mois avant les élections, interdisant la publicité pour le tabac. Solidement égratignés par leurs concurrents, les verts passèrent pour trop intransigeants, voire irresponsables, et en pâtirent aux élections.

Il y a dix ans, en 2014, c’est le plan de survol de Bruxelles mis en œuvre par Melchior Wathelet, secrétaire d’Etat à la Mobilité, qui plomba la campagne du CDH. D’autres destinées se sont construites sur des thématiques institutionnelles, par exemple. Le dossier BHV n’a-t-il pas alimenté quelques campagnes électorales?

Il arrive que de grandes affaires salissent l’image de la classe politique. Le lien de causalité est parfois vite établi, entre tel événement et tel résultat électoral qui s’ensuit, sans qu’on n’aperçoive immédiatement la lame de fond. Cependant, les affaires – d’Agusta-Dassault au Qatargate en passant par Publifin, le Samusocial ou le greffier du parlement de Wallonie – ont eu ou auront vraisemblablement un impact sur le résultat des urnes.

D’aucuns ont cherché à s’emparer du joker, pour finir par se planter. C’est typiquement le cas des quelques-uns qui se sont aventurés à débrancher la prise gouvernementale, comme on dit: Alexander De Croo en 2010, Benoît Lutgen en 2017, Bart De Wever en 2018. Tous y ont perdu des plumes, juste après.

Jusqu’à la dernière minute, ce valet noir peut basculer d’une main à l’autre, sans qu’on l’ait vu venir. Vous vous rêvez sauveur d’étudiants, mais passez pour l’opportuniste. Des taux trop élevés en PFAS, une poussée de colère des agriculteurs, quelques subsides étonnamment versés, un chantier autoroutier mal coordonné: tout est susceptible de vous massacrer une campagne ou de vous porter aux nues (ou d’être vite oublié).

Il y a l’histoire et l’histoire telle qu’elle se raconte, sur laquelle il importe d’avoir le contrôle. Mais en campagne électorale, ce récit est versatile, fuyant, aussi insaisissable qu’une patate chaude.

Benjamin Hermann est journaliste au Vif.
La crise de la dioxine est un cas d’école. Elle survint quelques jours à peine avant les élections de 1999.

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