Des Palestiniens déplacés à Rafah ont eu l’occasion de revenir dans leur ville de Khan Younès, pour y découvrir beaucoup d’habitations dévastées. © BELGA IMAGES

Pourquoi Israël est décidé à entrer à Rafah, quel qu’en soit le prix

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Benjamin Netanyahou néglige les avertissements des Etats-Unis et prépare l’opération visant à parachever «l’éradication» du Hamas. Quid des otages?

L’épreuve de force entre Israël et les Etats-Unis sur la suite à donner à l’opération militaire dans la bande de Gaza risque de connaître son paroxysme prochainement. Au moment où, dans une vidéo, le Premier ministre Benjamin Netanyahou assurait, le 8 avril, qu’une offensive aurait bien lieu à Rafah, la ville la plus méridionale du territoire palestinien, et précisait qu’une date avait été arrêtée à cet effet, un porte-parole du Département d’Etat américain, Matthew Miller, prévenait qu’une action de cet ordre aurait «un effet extrêmement néfaste sur les civils» et «nuirait en fin de compte à la sécurité d’Israël». Ambiance.

Mais rien, pas même l’agacement croissant des partenaires à Washington, ne semble devoir infléchir la position des dirigeants israéliens. Après le massacre du 7 octobre par le Hamas, le cabinet de sécurité s’est fixé deux objectifs: la libération des otages enlevés à cette occasion par le groupe djihadiste et l’éradication de celui-ci. Après six mois de bombardements et de combats dans la bande de Gaza, l’appareil militaire du Hamas a été considérablement affaibli. Mais pas éradiqué. De surcroît, la structure politico-militaire de l’organisation à Gaza reste officiellement active et, a priori, présente sur ses terres. Ni son chef Yahya Sinouar ni celui de sa branche militaire, les Brigades Ezzedine al-Qassam, Mohammed Deif, n’ont été, semble-t-il, tués ou arrêtés.

Quatre bataillons

Sur les 24 bataillons que comptait le groupe islamiste avant les représailles isaéliennes, 19 au moins ont été mis «hors service». Quatre ou cinq seraient toujours opérationnels et… retranchés à Rafah. D’où l’intérêt, l’impératif même aux yeux des plus déterminés, de faire en sorte qu’ils soient eux aussi démantelés, éliminés, bref éradiqués. D’où la préparation de la fameuse offensive à Rafah, quoi qu’en pense l’allié américain.

Et les préparatifs sont bien réels. A la lumière de la détermination réitérée par Benjamin Netanyahou, il ne fait plus de doute que la décision de retrait des troupes de Tsahal du sud de la bande de Gaza, annoncée le 7 avril, participe de ce projet. Une partie des Palestiniens jusqu’alors déplacés à Rafah ont pu retrouver leur habitation ou, si elle a été détruite, celle d’un membre de la famille, surtout dans la plus grande ville du sud de Gaza, Khan Younès. Désengorger Rafah est un des objectifs des autorités israéliennes avant d’y mener une offensive terrestre.

Une autre confirmation de cette intention fut donnée par l’appel d’offres publié le 8 avril par le ministère de la Défense: il vise à acquérir 40.000 tentes en vue de l’évacuation d’une autre partie de la population de Rafah vers des sites, généralement en bordure de la Méditerranée, où sa vie serait préservée des affres de l’occupation de Rafah par Tsahal. Les autorités israéliennes estiment que ces campements pourraient accueillir jusqu’à 500.000 personnes.

«Une telle offensive ne fera qu’entraîner une menace d’escalade dans la région.»

Otages au second plan?

Si la réalité d’une ultime offensive terrestre de l’armée dans le sud de Gaza ne fait plus de doute au vu des déclarations et actions du gouvernement de Benjamin Netanyahou, la révélation qu’une date a été fixée pour la mener jette le doute sur la détermination des dirigeants à atteindre le second objectif arrêté au lendemain du 7 octobre: la libération des otages. Cent trente-trois personnes seraient toujours aux mains de miliciens du Hamas ou d’autres groupes. Mais parmi elles, un certain nombre – on parle d’une trentaine – auraient été tuées depuis le début de leur captivité. Avoir arrêté le moment de l’opération, s’il s’agit bien d’une date et non d’un temps où certaines circonstances seront réunies, ne réduit-il pas de facto la marge de manœuvre pour conclure un accord sur une trêve et une libération des détenus?

En l’occurrence, le temps de la négociation ne paraît pas en phase avec le temps que se donne encore le gouvernement israélien avant de tenter de porter le coup supposé fatal au Hamas. Certes, des discussions se poursuivent au Caire en présence, outre des responsables égyptiens, d’émissaires du Qatar et des Etats-Unis. Une nouvelle proposition aurait été adressée aux responsables du Hamas. Dans les grandes lignes, elle prévoirait la libération de 40 otages, celle de 800 détenus palestiniens des prisons d’Israël et une trêve de six semaines. La partie palestinienne a jugé que la position d’Israël restait intransigeante, sans préciser sous quels aspects, et ne répondait pas à ses demandes. Elle a toutefois accepté d’étudier la proposition. Sauf surprise, on ne voit donc pas comment les points de vue pourraient se rapprocher à brève échéance.

La voie vers une escalade militaire semble donc ouverte. Mais il y aura un prix à payer pour Israël. Dans une tribune publiée par Le Monde et d’autres médias, le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi, le roi de Jordanie Abdallah II et le président français Emmanuel Macron ont mis en garde, le 9 avril, l’Etat hébreu contre les répercussions d’une opération à Rafah: «Une telle offensive ne fera qu’accroître les pertes humaines et les souffrances, aggraver le risque et les conséquences d’un déplacement forcé massif de la population de Gaza et entraîner une menace d’escalade dans la région.» Initiative honorable mais sans doute de peu de poids face à la détermination des Israéliens. Dans le contexte actuel, l’évidence s’impose pour les Palestiniens que seules des actions plus fortes, menace sur l’aide militaire à Israël par les Etats-Unis ou sur la pérennité des traités de paix avec Israël par l’Egypte et la Jordanie, sont désormais de nature à influer sur la suite de la guerre à Gaza.

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