Liban
A Tyr, au sud-Liban, les bombardements israéliens ont fait de nombreuses victimes. © REUTERS

Un 2e Liban caché sous le Liban: «Le Hezbollah détient une force 10 fois supérieure au Hamas»

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

Entre Israël et le Hezbollah, les attaques éparses qui ont fait suite au 7 octobre laissent désormais place à un conflit plus franc. Il déplace le point chaud de Tsahal sur le front nord et laisse craindre, plus que jamais, l’éclosion d’un conflit généralisé au Moyen-Orient.

Un point de non-retour. Lundi, le conflit entre Israël et le Hezbollah, sur le front nord, a atteint un niveau d’intensité jamais observé auparavant. Au sud-Liban, plus de 500 victimes sont à dénombrer en à peine un jour, suite à des frappes aériennes israéliennes. Les craintes d’une incursion terrestre d’Israël au Liban, d’une part, et d’un conflit généralisé au Moyen-Orient, d’autre part, sont plus concrètes que jamais.

1. Liban: le Hezbollah, l’acteur le plus redoutable pour Israël

Depuis le 7 octobre, le Hezbollah s’affiche comme l’acteur prédominant au sein de «l’axe de la résistance» aligné sur l’Iran. Il s’est montré solidaire au Hamas en tirant régulièrement des projectiles sur Israël. La priorité officielle affichée, pour Israël, a toujours été la récupération des otages et le combat contre les brigades al-Qassam (la branche armée du Hamas) sur le front sud. Après un an de conflit et certains objectifs atteints, assez logiquement, le focus de Tsahal s’est déporté vers le front nord. «Ce dernier a toujours été, depuis des décennies, la véritable bête noire d’un point vue sécuritaire pour Israël, contextualise Didier Leroy, chercheur à l’Ecole royale militaire (ERM), expert du Moyen-Orient. Le Hezbollah reste l’acteur le plus redoutable, poursuit-il. Il est robuste sur le plan des ressources humaines, avec 50.000 employés uniquement au sein de la composante armée.»

Pour le Hezbollah, la possibilité de submerger le système de défense anti-aérien israélien est réelle.

Didier Leroy

Chercheur (ERM)

L’organisation est également un véritable proto-Etat, qui comporte services sociaux, écoles, hôpitaux, partis politiques, appareil médiatique. Quant aux ressources matérielles, il est question d’un arsenal d’environ 150.000 pièces, qui contient roquettes, missiles et drones. «A titre de comparaison, on parle d’une force de frappe environ dix fois plus importante que celle du Hamas. Surtout, elle est beaucoup plus sophistiquée. Pour le Hezbollah, la possibilité de submerger le système de défense anti-aérien israélien est réelle», estime Dider Leroy.

Pour Marina Calculli, professeure agrégée, chercheuse en relations internationales et spécialiste de la sécurité au Moyen-Orient (Sciences Po Paris, Université de Leiden), le Hezbollah, dans sa stratégie de dissuasion, laisse volontairement entrapercevoir son potentiel militaire. «L’organisation n’est pas seulement un groupe armé, mais également un acteur politique qui fait partie intégrante de la fabrique sociale du Liban. Cet élément contribue à sa stature, ce qu’Israël et les Etats-Unis n’acceptent pas.»

2. Les liens robustes entre l’Iran et le Hezbollah

C’est un secret de Polichinelle, l’Iran soutient le Hezbollah en coulisses, comme il le fait pour le Hamas. Cependant, le lien qui unit l’Iran au Hezbollah est beaucoup plus ancien et solide que celui qui peut exister avec le Hamas, qui date d’une vingtaine d’années tout au plus et qui a montré ses limites, notamment avec un divorce temporaire lors du Printemps arabe. «Le Hezbollah et l’Iran sont liés depuis des dizaines d’années par la dimension confessionnelle et le chiisme duodécimain, retrace Didier Leroy. Structurellement, le Hezbollah n’existerait pas sans l’Iran révolutionnaire des années 1980. Et actuellement, il fait allégeance à l’ayatollah iranien Ali Khamenei. Le Hezbollah est donc le fruit d’une combinaison entre des ressources matérielles libanaises et des ressources matérielles extérieures iraniennes.»

Le comportement de l’Iran est donc décisif. «Si Tsahal veut infliger un coup sans précédent à l’appareil militaire du Hezbollah, l’Iran risque de voir son principal atout dans la région se faire affaiblir. En quelque sorte, il perdrait son assurance-vie et pourrait être plus que tenté d’interférer.»

Pourtant, «l’histoire du Hezbollah est une historie libanaise, bien qu’elle soit liée idéologiquement à l’Iran révolutionnaire, observe Marina Calculli. L’organisation est née en réponse directe à l’invasion israélienne du Liban en 1982 et s’est développée durant les 18 ans d’occupation militaire. Le Hezbollah n’est donc plus ce groupe minuscule des années 80 et a acquis une autonomie considérable de décision et d’action au Liban et dans la région.»

3. Les prémices d’une guerre généralisée

En s’attaquant au Hezbollah, Israël vise à affaiblir tous les maillons «l’axe de la résistance». «Dans le chef d’Israël, le bilan d’un an de guerre à Gaza, c’est avant tout la découverte d’un réseau de plus de 1.000 kilomètres de tunnels en-dessous d’un petit territoire. A cet égard, on peut imaginer l’ampleur gigantesque du réseau qui existe sous le Liban, relève Didier Leroy. En quelque sorte, il y a un deuxième Liban sous le Liban, illustre-t-il. Personne ne peut en mesurer la magnitude, mais il est certain qu’elle est bien supérieure à l’infrastructure du Hamas.»

Au Liban, 18 années d’accalmies ont suivi la guerre de 2006. «Qu’est-ce qu’un phénomène aussi robuste que le Hezbollah est parvenu à enfuir sous terre comme infrastructures militaires, le tout sans être sous blocus, au contraire de Gaza?», s’interroge Didier Leroy.

Personne ne peut en mesurer la magnitude, mais il est certain que le Hezbollah détient une infrastructure sous-terraine bien supérieure à celle du Hamas.

Didier Leroy

(ERM)

D’après Marina Calculli, seul Israël veut une guerre généralisée, et non pas le Hezbollah ni l’Iran. «Le Hezbollah a essayé de faire pression sur Israël pour qu’il négocie un cessez-le-feu à Gaza, mais il a toujours declaré qu’il ne veut pas de guerre regionale. Seule l’intervention des Etats-Unis pourrait enrayer ce scenario, mais ils soutiennent toute action militaire d’Israël, sans poser de lignes rouges concernant les victimes civiles. Les 42,000 morts officiels à Gaza (probablement 4 à 5 fois plus, selon elle) le démontrent. En soutenant l’idée bizarre selon laquelle le calme puisse se rétablir à travers une escalade, les Américains admettent avoir donné leur accord pour ce massacre au Liban.» 

Selon la chercheuse, Israël essaie ainsi de changer la donne, «attaquant directement les civils libanais, pour faire pression sur le Hezbollah et provoquer l’Iran.» Depuis un an, une partie de l’establishment israélien souhaite une guerre régionale, entrainant une confrontation directe entre l’Iran et les Etats-Unis. Le «jeu» d’Israël consiste à provoquer des réactions de l’Iran pour pouvoir affirmer ensuite être attaqué et rendre l’intervention américaine inévitable. C’est pour cela que l’Iran évite de répondre militairement.»

«Aussi imbuvable soit-elle, la coalition Netanyahu tient la route, et une partie de la population israélienne est d’accord avec son agenda va-t’en guerre, ajoute Didier Leroy. Les habitants du nord d’Israël doivent s’attendre à un scénario du 7 octobre puissance dix à moyen terme. C’est ce qui permet à Netanyahu de vendre ses actions au Liban assez facilement en interne.»

4. Le Liban, nouveau Gaza?

Le risque que les événements au Liban prennent les mêmes proportions qu’à Gaza n’est pas à exclure. En un jour, Israël a déjà fait plus de la moitié de victimes qu’en 33 jours de guerre en 2006, compare Marina Calculli. «La doctrine «Dahiyeh»la stratégie israélienne de victimiser un grand nombre de civils pour obliger l’ennemi à se rendre– est employée à Gaza comme au Liban. Il est immorale, illégale et s’apparente à une stratégie de guerre coloniale, dénonce la chercheuse. Sur les réseaux sociaux, Israël fait passer l’idée selon laquelle les armes du Hezbollah sont cachées dans les habitations civiles au Sud: une propagande pour justifier les attaques contre les civils. Hezbollah détient une base de support populaire très forte, distinguée de l’organisation militaire structurée, hiérarchique et secrète. Oui, le Hezbollah peut cacher sporadiquement quelques armes dans les garages des habitations des combattants, mais la population civile qui soutient le parti n’est pas impliquée dans sa stratégie militaire.»

Si le Hezbollah peut effectivement cacher des armes, la possibilité demeure très sporadique, et permet surtout à Israël de justifier les pertes civiles.

Marina Calculli

Chercheuse (Sciences Po Paris, Université de Leiden)

Si l’affrontement principal se déporte vers le nord, «les manifestations anti-israéliennes seront sans doute moins larges car elles ne concerneront pas la cause palestinienne, qui polarise et mobilise une charge émotionnelle particulière. Que l’Iran perdre un pion sera vu d’un moins mauvais œil, également en Occident, de par de la réputation douteuse du Hezbollah», déduit Didier Leroy.

5. Le risque d’une incursion terrestre

Israël a-t-il les moyens de mener une guerre sur deux fronts? L’appui américain le permet, même si la communication israélienne affirme ne pas vouloir s’attaquer à l’entièreté du Liban, mais bien cibler les combattants et l’arsenal du Hezbollah. «La mission militaire s’annonce très longue, voire inatteignable, juge Didier Leroy. Le but est également de polariser davantage le Liban, historiquement clivé sur la question de cet arsenal hors du contrôle de l’Etat. Ce qui explique la retenue stratégique du Hezbollah jusqu’ici.»

Et s’il est de plus en plus question d’une incursion terrestre israélienne au Liban, l’option paraît très aventureuse, estime le chercheur. «Il faut espérer que les diplomaties et la Finul (Force intérimaire des Nations unies au Liban) jouent leur rôle pour éviter une telle situation.»

L’objectif déclaré d’Israël reste d’obliger le Hezbollah à s’éloigner de la frontière. «Ils savent aussi que le Hezbollah aurait bien plus d’avantage stratégique sur ses terres. C’est pour cela qu’ils préfèrent bombarder à distance», selon Marina Calculli.

L’armée libanaise considère pour sa part Israël comme l’ennemi juré de la nation, officiellement en guerre depuis 1948. «En revanche, dans l’intimité de la population civile, le rejet du Hezbollah est très présent», observe Didier Leroy. Ce rejet concerne «certaines élites sociales et politiques, ajoute Marina Calculli. Mais le Hezbollah a toujours beaucoup de support populaire au Liban, même au-delà de la communauté chiite.»

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