Benjamin Netanyahou pointe, lors d’une conférence de presse, le couloir de Philadelphie dans la bande de Gaza. Un enjeu «existentiel». © POOL/AFP via Getty Images

Guerre Israël-Hamas: pourquoi les otages sont renvoyés aux ténèbres les plus profondes

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Benjamin Netanyahou persiste et signe malgré le choc provoqué par l’assassinat de six captifs israéliens à Rafah: Tsahal ne quittera pas le corridor de Philadelphie. Un accord semble impossible.

En tant qu’Israéliens, selon que l’on est d’une sensibilité ou d’une autre, l’assassinat dans des circonstances particulièrement tragiques de six otages du 7-Octobre incite soit à appeler à des moyens militaires supplémentaires pour en finir avec le Hamas palestinien, soit à pousser à la négociation avec le même groupe djihadiste pour concrétiser la libération de captifs encore en vie. Depuis le massacre de quelque 1.200 Israéliens dans le pourtour de la bande de Gaza il y a onze mois, la population israélienne n’arrive pas à surmonter par le haut cette fracture qui range d’un côté ceux qui privilégient à tout prix l’éradication du Hamas et, de l’autre, ceux pour lesquels rien n’importe plus que la libération de leurs concitoyens.

«Vous continuez à utiliser le chagrin des familles pour vos intérêts personnels.»

Colère décuplée des familles

L’annonce de la mort de Hersh Goldberg-Polin, Eden Yerushalmi, Ori Danino, Almog Sarusi, Alexander Lubanov et Carmel Gat, le 1er septembre, a encore creusé cette fracture. Un impact politique à la mesure du choc causé dans la population par ce drame. D’après les médecins légistes, ces Israéliens, dont cinq avaient été enlevés au festival de musique Nova, ont été abattus à bout portant «entre jeudi et vendredi matin», soit quelques heures seulement avant la découverte de leur corps, le 31 août, dans un tunnel à des dizaines de mètres sous terre, près de Rafah. Cette information incline à penser que les geôliers du Hamas ont exécuté leurs otages en voyant la progression des soldats de Tsahal dans les dédales de la ville du sud de la bande de Gaza. Le 27 août, ceux-ci avaient réussi à rendre à la liberté un autre otage, Qaïd Farhan al-Qadi, un Bédouin musulman israélien. Le tunnel dans lequel il a été retrouvé se trouvait à un kilomètre de celui où les cadavres des six otages ont été découverts…

Le Premier ministre Benjamin Netanyahou a promis de «régler son compte» au Hamas. Mais combien de fois ne l’a-t-il pas dit aux Israéliens depuis le 7 octobre dernier? La nouveauté est venue de la dureté de la réaction du Forum des familles d’otages et des personnes disparues, Bring Them Home Now, et de l’opposition politique qui ont vu dans cette épisode dramatique l’échec de la stratégie du chef de gouvernement et, pour beaucoup, son désintérêt pour le sort des personnes enlevées. Einav Zangauker, la mère de l’otage Matan Zangauker, enlevé au kibboutz Nir Oz, a ainsi affirmé: «Mon fils est encore en vie. Mais chaque jour est une roulette russe, la roulette russe de Netanyahou.» Il y jouera «jusqu’à ce qu’ils soient tous morts. Mais nous ne laisserons pas faire.» Quelque 250.000 personnes se sont rassemblées le soir du 1er septembre à Tel-Aviv en portant des slogans à l’unisson des propos d’Einav Zangauker.

Leur colère est décuplée par le fait que trois des otages retrouvés sans vie, Hersh Goldberg, un Israélo-Américain, Eden Yerushalmi et Carmel Gat, figuraient sur une liste de captifs que le Hamas aurait accepté de libérer si un accord avait été conclu avec Israël en juillet. «Il y avait un accord pour Hersh en raison de ses blessures (NDLR: occasionnées au moment de son kidnapping), ainsi que pour Carmel et Eden», a assuré une source proche des négociations. Cette révélation a remis sous le feu des critiques les conditions posées par le gouvernement israélien à la conclusion d’un arrangement avec le groupe islamiste palestinien dans le cadre des négociations conduites par les Etats-Unis, l’Egypte et le Qatar.

Les manifestations massives d’Israéliens à Tel-Aviv, le 1er septembre, pour réclamer un accord sur la libération des otages ont été vaines. © REUTERS

Dissensions au cabinet de sécurité

Les deux parties n’ont cessé de se renvoyer la responsabilité de l’échec de l’entreprise. Mais pour la dernière tentative sans succès, c’est l’obstination du Premier ministre israélien qui, semble-t-il, est en cause. Au cours d’une réunion du conseil de sécurité israélien le 29 août, le sujet a opposé, selon la chaîne télé 12, le ministre de la Défense et les autres membres du cénacle: Yoav Gallant estimait que l’exigence du maintien d’une présence de Tsahal dans le corridor de Philadelphie, qui longe la bande de Gaza devant la frontière égyptienne, n’était pas impérieuse et que son abandon, qui pouvait de toute façon être «réparé» par une reconquête rapide, pouvait être envisagé s’il permettait un accord de libération des otages. «Je ne suis pas une experte en sécurité, a expliqué, s’adressant à Benjamin Netanyahou le 1er septembre, Yaël Engel, la tante de l’otage Ofir Engel libéré en novembre, mais votre ministre de la Défense Yoav Gallant et le chef du Shin Bet (NDLR: le service de renseignement intérieur) Ronen Bar ont tous deux déclaré que cet accord pouvait être conclu. […] Vous continuez à utiliser le chagrin des familles pour vos intérêts personnels», a-t-elle accusé.

Tout en demandant pardon aux familles des otages retrouvés morts pour ne pas en avoir fait assez pour les libérer, le Premier ministre israélien a fermé la porte à une possibilité d’accord en réaffirmant, lors d’une conférence de presse le 2 septembre, que «la réalisation des objectifs de la guerre passe par le couloir de Philadelphie». «Nous ne quitterons pas Philadelphie, même pour 42 jours», a-t-il enchéri en référence à la durée de la première phase du deal sur la table des discussions, qui verrait un élargissement de prisonniers palestiniens en Israël en échange de la libération d’un certain nombre d’otages par le Hamas. Dès lors, Abou Obeida, le porte-parole des Brigades Ezzedine al-Qassam, branche armée du groupe islamiste, a prévenu que «l’acharnement de Netanyahou à libérer les prisonniers (NDLR: les otages) par la pression militaire au lieu de conclure un accord signifie qu’ils retourneront dans leurs familles dans des cercueils». Instruction aurait en effet été donnée aux geôliers palestiniens de tuer les otages dont ils ont la garde en cas d’offensive militaire israélienne.

Malgré le choc de l’annonce du 1er septembre, l’impasse semble donc complète concernant une résolution de la question des otages. Le paradoxe est que la stratégie du Premier ministre israélien a eu l’effet de le faire apparaître aujourd’hui comme presque aussi responsable de leur sort tragique que leurs véritables bourreaux, les islamistes du Hamas.

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