Bombardements de Tsahal dans le village de Khiam au Sud-Liban le 23 septembre. Jusqu’où iront les Israéliens? © GETTY IMAGES

Guerre Israël-Hezbollah: Netanyahou espère-t-il aussi «éradiquer» la milice libanaise?

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Les bombardements qui frappent les positions du mouvement libanais visent-ils son affaiblissement ou davantage? Le gouvernement israélien joue avec le feu dans une poudrière.

«A quel moment une guerre devient-elle totale?», questionnait, au soir du 23 septembre qui a vu au moins 493 Libanais tués dans des bombardements israéliens, l’analyste du média L’Orient-Le Jour, Anthony Samrani. «Nous sommes encore loin d’une guerre totale: le Hezbollah agit de manière calculée car il comprend que nous n’avons pas encore activé toutes nos capacités», expliquait, comme s’il lui répondait, un haut responsable de l’armée de l’air à la radio israélienne.

Si beaucoup se gardent de parler d’ores et déjà de guerre totale, la confrontation entre Israël et le Hezbollah libanais, ravivée depuis le 8 octobre 2023 par le soutien apporté par le second au Hamas palestinien attaqué par Tsahal au lendemain du massacre commis dans le pourtour de la bande de Gaza, connaît en tout cas une escalade particulièrement dangereuse. En une semaine, les événements se sont enchaînés pour bouleverser à nouveau les rapports de force dans la région. Attaque aux bipeurs contre des responsables du Hezbollah le 17 septembre, remake via des talkies-walkies le lendemain, assassinat du chef de la force d’élite Radwan, Ibrahim Aqil, dans un bombardement à Beyrouth le 20 septembre, vague de bombardements du Liban du sud par Israël à partir du 23 septembre…: les signes sont nombreux d’une possible volonté du gouvernement israélien de régler définitivement son compte au Hezbollah.

«La possibilité de voir l’Iran se porter au secours du Hezbollah peut réfréner les ardeurs belliqueuses d’Israël, ou pas.»

Zone tampon

L’objectif affiché par Benjamin Netanyahou est de permettre aux habitants du nord d’Israël de pouvoir se réinstaller dans leurs habitations, qu’ils ont dû abandonner au gré des tirs de roquettes et de missiles visant leurs régions depuis le 8 octobre 2023. Qu’est-ce qui pourrait permettre cette étape vers une «normalisation» à l’israélienne? La destruction des infrastructures militaires du mouvement libanais chiite? Israël a affirmé avoir visé 1.600 sites libanais à l’est du Liban, dans la plaine de la Bekaa, et au sud, dans les régions de Tyr, Saïda et du Bint-Jbeil. Mais Tsahal a démenti le 24 septembre les informations de la chaîne de télévision 12 donnant pour détruits 50% des missiles de précision et 75% des roquettes de portée de 40 kilomètres du groupe islamiste libanais. La création d’une zone tampon dans le Sud-Liban? Le projet nécessiterait de la part d’Israël une offensive terrestre, une occupation de territoire, sans le concours d’une force supplétive comme l’Armée du Liban-Sud composée de Libanais chrétiens a pu l’y aider entre 1985 et 2000, une confrontation au sol avec les miliciens chiites, et donc un investissement autrement plus conséquent qu’une campagne de bombardements aériens. Est-ce le plan nourri par Benjamin Netanyahou et son ministre de la Défense, Yoav Gallant?

La multiplication des efforts militaires, après ceux engagés et toujours en cours à Gaza, la possibilité de voir l’Iran se porter au secours de son plus puissant «proxy» dans la région, et le souvenir du précédent de la guerre de 2006 peuvent refréner les ardeurs belliqueuses du gouvernement israélien. Lors de cette opération déjà engagée contre le mouvement chiite, la non-victoire d’Israël avait été célébrée comme «une victoire divine» par le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah. «La guerre de 2006, comme d’autres par le passé, a notamment souligné que la supériorité technique et technologique n’était pas gage de victoire assurée», commentaient à l’époque les experts militaires Michel Goya et Marc-Antoine Brillant, cités par Christophe Ayad dans son livre Géopolitique du Hezbollah (PUF, 2024). En presque 20 ans, le différentiel technologique entre Israël et la milice libanaise s’est cependant peut-être sensiblement élargi, comme le suggère l’efficacité des attaques aux bipeurs et aux talkies-walkies des 17 et 18 septembre.

Les frappes israéliennes ont provoqué la fuite de dizaines de milliers d’habitants du sud vers le nord du Liban. © GETTY IMAGES

Commandement décapité?

Dans l’entendement israélien, amplifier encore l’opération au Liban peut cependant trouver des justifications. Un affaiblissement du Hezbollah par des frappes aériennes ne réduirait sans doute pas toutes ses capacités de menacer le nord d’Israël. Entraîner le régime de Téhéran directement dans le conflit permettrait potentiellement au gouvernement israélien de croiser le fer avec son plus grand ennemi dans la région. Dans une fuite en avant particulièrement périlleuse, il tenterait alors d’éliminer les risques de répétition du 7-Octobre des supplétifs de l’Iran dans son environnement proche, et de régler la question de sécurité suprême pour l’Etat hébreu, la menace nucléaire représentée par la confection à terme d’une arme atomique par les Iraniens. On serait bien, alors, dans une configuration de guerre totale, mais à l’échelle de la région, et pas seulement entre Israël et le Liban.

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En attendant, plus prosaïquement, Israël marque incontestablement des points dans sa confrontation avec le Hezbollah, qui a répliqué par une série de tirs de roquettes et de missiles dans la profondeur du territoire israélien sans qu’on puisse en établir exactement les préjudices, officiellement limités. Son commandement militaire aurait été en grande partie décapité. Fouad Chokr, haut commandant militaire du mouvement, a été tué à Beyrouth le 30 juillet. Ibrahim Aqil a succombé le 20 septembre à une frappe israélienne sur la même banlieue sud de la capitale libanaise. Ali Karaki, chef du Front sud, troisième plus haut responsable militaire, a été visé par une attaque le 23 septembre toujours à Beyrouth. Il en serait sorti vivant, mais blessé. Ibrahim Kobeissy, le responsable de l’unité des missiles, a été assassiné le lendemain dans des circonstances similaires. Du Conseil du jihad, instance faîtière de l’appareil militaire du Hezbollah, sous réserve de l’état de santé d’Ali Karaki, il ne resterait plus que Hassan Nasrallah, Mohammad Haïdar, en charge des réseaux du mouvement à l’étranger, et Talal Hamiyé, chef de l’unité 910, responsable des activités clandestines. Conflit circonscrit ou future guerre totale? Le doute demeure. Mais les développements actuels n’incitent pas à l’optimisme.

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