Les partis français mettent un point d’honneur à l’emporter dans des circonscriptions électorales très disputées, pas forcément dans les grandes villes mais plutôt dans les zones périurbaines et rurales. © Hans Lucas via AFP

Les «swing-circos»: ces territoires qui pourraient faire basculer les élections en France

Les partis français concentrent leurs efforts dans des circonscriptions susceptibles de basculer dans un camp ou dans l’autre. Une véritable guerre de positions où chacun tente de grapiller de précieux sièges de députés.

Au Nouveau Front populaire (NFP, gauche), la stratégie est claire: il faut «mettre des bras» dans les «swing-circos», «ces terres où ça se joue ric-rac», selon les mots du créateur du mouvement, François Ruffin. En d’autres termes, le NFP veut envoyer ses plus de 400.000 adhérents à l’assaut des circonscriptions électorales où les résultats pourraient se jouer à quelques milliers de voix lors des législatives des 30 juin et 7 juillet, voire moins. D’où l’expression de «swing-circos», inspirée des «swing states» («Etats pivots») américains, qui basculent tantôt côté démocrates, tantôt côté républicains.

Il suffirait donc de bombarder les électeurs de ces régions de tracts pour acquérir facilement des députés à l’Assemblée nationale et donc une majorité les deux week-ends prochains. En pratique, ce calcul politique s’avère un peu plus compliqué.

La Bretagne et le Midi dans le viseur de la gauche

Ce concept de swing-circos, né chez les politologues, est encore peu connu du grand public. «Mais il est vraiment flou, prévient Simon Persico, professeur à Sciences Po Grenoble. Aux Etats-Unis, il est assez facile de lister les swing-states, parce qu’il n’y a que deux partis qui s’affrontent à chaque scrutin. En France, on a trois blocs: le tout jeune NFP, Ensemble (la coalition macroniste, ndlr) et le Rassemblement national (RN, extrême-droite). Le mode de scrutin à deux tours ajoute des incertitudes supplémentaires. Est-ce qu’il y aura des affrontements entre deux ou trois personnes au second tour? Est-ce qu’il y aura des désistements de candidats pour favoriser un camp ou l’autre? Tout ça est très compliqué

Dans de nombreuses circonscriptions, il est quasi certain que tel ou tel parti s’imposera. Le RN devrait par exemple être de loin gagnant dans l’arc méditerranéen et une bonne partie du Nord. Le NPF et Ensemble n’ont donc pas intérêt à trop s’investir dans les circonscriptions de ces régions perdues d’avance. De même, les grandes villes sont déjà souvent largement acquises à la gauche. Par contre, en Bretagne, les jeux sont ouverts. Aux législatives de 2022, le camp macroniste l’avait largement emporté. Au vu de la chute de la popularité du parti présidentiel, la NFP pourrait tenter de prendre sa place.

Cela se voit dans la liste des 96 «swing-circos» répertoriées par la coalition de gauche. S’y trouvent une douzaine de circonscriptions bretonnes, mais aussi de nombreuses autres dans le Midi et une constellation de micro-territoires en région parisienne.

1.001 nuances de cartes

Le problème, c’est que la carte de ces «swing-circos» peut varier selon les paramètres pris en compte, fait remarquer Simon Persico. «Déterminer où ces zones se trouvent relève de tellement de cas particuliers et de critères qu’il s’agit d’une tâche certes intéressante mais difficile. Cela dépend de la notoriété des candidats, de leur implantation, etc.»

En témoignent les cartes alternatives apparues sur internet ces derniers jours. Un spécialiste grenoblois du traitement de données, Michael Blum, a créé la sienne selon les résultats à partir des résultats aux élections européennes de 2024, et le résultat est assez différent. «Dans le Nord, le Nord Est, Centre Val de Loire et région parisienne, l'incertitude est faible, fait-il savoir. En revanche, il reste de l'incertitude en AURA (Savoies, Hautes-Alpes, Loire, Puy de Dome), Nouvelle Aquitaine, Occitanie, Bretagne.» Mais il l’avoue: son modèle ne prend pas en compte l’effet «personnalité politique très bien implantée».

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Autre exemple: une carte crée par Les Indivisibles, un collectif d’activistes de gauche. Qui estiment que le nombre d’opportunités pour le NFP en Bretagne est assez limité. Par contre, dans l’ouest parisien, c’est l’inverse.

Le RN et le NFP prêts à engloutir les circos macronistes

Avec autant de cartes différentes, il y a de quoi s’y perdre. Il existe toutefois une règle générale selon Simon Persico: «Globalement, les circonscriptions les plus susceptibles de basculer sont celles obtenues auparavant par la majorité présidentielle». Du fait de l’usure du pouvoir, le bloc macroniste pourrait céder ses sièges de députés au RN ou au NFP.

L’extrême-droite pourrait en ce sens miser sur sa bonne dynamique, héritée de ses bons résultats obtenus aux européennes. A gauche, certaines circonscriptions ont pu être assignées à des candidats plus modérés (socialistes ou écologistes) pour tenter d’attirer des électeurs du centre, remarque le politologue. «Mais la logique principale d’attribution au NFP reste liée à la négociation entre partis de coalition, où La France Insoumise (LFI, gauche radicale, ndlr) tente de rester bien représentée, en se basant sur ses bons résultats de 2022». Bilan: sur les 96 «swing-circos» listées par le NFP, 47 ont été données à des candidats LFI et 41 à des socialistes ou écologistes. «Cela montre que la tactique électorale reste peu présente à gauche, puisque ce ne sont pas les électeurs les plus à gauche qu’il faut convaincre.»

Ne pas surestimer l’importance des «swing-circos»

«Puis en France, la campagne reste surtout conçue au niveau national, pas local, tempère Simon Persico. Vous pouvez avoir des partis qui réfléchissent à l’attribution de ressources dans telle ou telle circonscription. Mais la dynamique reste à l’échelle du pays entier. Si j’étais par exemple Jordan Bardella au RN, je ne me poserais pas la question des "swing-circos". J’essayerais juste de faire la meilleure campagne nationale possible, pour faire le plus d'électeurs entendent parler de moi et aient envie de voter pour moi.»

Le politologue ajoute que la «grande question», qui pourrait déterminer l’issue des législatives, sera celle du comportement au second tour des macronistes au niveau national. Les sondages tendent à montrer qu’ils pourraient se qualifier pour le 7 juillet dans de nombreuses circonscriptions, sans pour autant être en mesure de l’emporter face aux deux autres blocs. «Dès lors, Ensemble va-t-il accepter de retirer ses candidats pour soutenir le NFP face au RN, en renouant avec la règle du «front républicain» face à l’extrême-droite? Cela montrera si oui ou non, en France, la polarisation est devenue si forte que les trois blocs sont devenus irréconciliables.»

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