Jean-Luc Mélenchon, le leader de La France insoumise, est devenu, par ses outrances, un boulet pour le Nouveau Front populaire. © Getty Images

Législatives en France: merci de ne pas faire campagne, messieurs Macron et Mélenchon

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Autre dimension inédite de la course aux législatives: des leaders emblématiques desservent plus qu’ils ne servent leur camp. Mais comment contenir leur «pouvoir de nuisance»?

Au premier jour de la campagne officielle pour les élections législatives, le lundi 17 juin, le Premier ministre français Gabriel Attal, arpentant les trottoirs de la commune de Le Perreux-sur-Marne, à l’est de Paris, est interpellé par un homme d’un certain âge. «Je vais vous serrer la main, parce que vous, vous êtes bien, lui lance-t-il. Mais il faudra dire au président qu’il ferme sa gueule, vous avez compris?» «C’est une élection législative. On vote pour le Premier ministre», tente de lui opposer le chef du gouvernement. «Vous, vous êtes bien. Vous étiez même très bien à l’Education nationale. Pour l’instant, ça va bien. Mais alors, le président…, appuie l’homme avec un geste de ras-le-bol. C’est lui qui nous fout dans la merde. Bon courage.» Est ainsi résumé le grand désarroi dans lequel Emmanuel Macron a plongé les fantassins et les ténors de sa majorité qui ne voulaient ni d’une dissolution de l’Assemblée nationale ni d’un retour devant les électeurs, quelques semaines après une plantureuse victoire de l’extrême droite au scrutin européen. A leur corps défendant, les voilà confrontés à une double critique par ceux qui pourraient encore voter pour eux: l’incompréhension de l’acte «insensé» que le président a posé, et la détestation de sa personne après sept ans de pouvoir vertical.

«Mais alors, le président…, c’est lui qui nous fout dans la merde. Bon courage.»

Président hors sol

La campagne pour les élections des 30 juin et 7 juillet recelait déjà quelques dimensions inédites. C’est la plus courte de l’histoire de la Ve République et celle qui voit s’opposer potentiellement trois blocs de force relativement égale. Il faut en ajouter une. Les candidats de deux de ces formations majeures prient leur dirigeant le plus emblématique de ne pas faire campagne et de la «fermer» jusqu’au 7 juillet. Cela vaut pour les prétendants de la liste Ensemble pour la République, la majorité présidentielle, en raison de l’aspect «repoussoir» de la personnalité d’Emmanuel Macron. La conférence de presse qu’il a tenue le 12 juin, marquée par une mise en garde contre les deux extrêmes, placés sur un pied d’égalité, et donc par un appel à un choix raisonnable, n’a pas dopé l’intérêt pour sa liste, comme il l’escomptait. La conviction de l’aspect déconnecté de la réalité de ses prises de décision, un reproche formulé principalement par les citoyens de la France rurale et périphérique, s’est étendue à son propre électorat centriste depuis l’annonce de la dissolution le 9 juin.

Cette supplique à la discrétion est aussi secrètement formulée par les candidats du Nouveau Front populaire (l’alliance héritière de la Nouvelle union populaire, écologique et sociale (Nupes) forgée lors des élections législatives de 2022), à l’encontre du leader d’une de ses composantes, La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon. Ses outrances pendant la campagne pour les élections européennes (complaisance à l’égard du groupe islamiste palestinien Hamas dans le conflit à Gaza, relents d’antisémitisme, attaques virulentes contre le candidat du Parti socialiste–Place publique Raphaël Glucksmann…) l’ont rendu quasi infréquentable alors que l’urgence à constituer une plateforme électorale commune entre formations de gauche après la dissolution surprise a contraint les responsables socialistes, écologistes et communistes à le «refréquenter».

Le Premier ministre Gabriel Attal propulsé au front dans une campagne électorale qu’il n’a pas voulue. © Getty Images

Leader autocratique

Même respectueux d’une certaine discrétion dont on ne le pensait pas capable, Jean-Luc Mélenchon reste encore un fardeau pour le Nouveau Front populaire. La reconnaissance du travail accompli par ses artisans pour répartir les candidatures dans les circonscriptions et pour mettre au point un programme commun concret était à peine saluée par les observateurs que la décision de La France insoumise de ne pas investir des personnalités critiques du «Lider Maximo» suscitait la polémique et brisait l’élan produit. C’est comme si, ainsi que l’en a accusé Christophe Barbier, l’éditorialiste de l’hebdomadaire Franc-Tireur, dans l’essai Moi, Jean-Luc M. (Grasset, 128p.), Mélenchon voulait «œuvrer à la fin de la gauche de gouvernement, au profit du nihilisme».

Quatre des cinq «rebelles» écartés, Raquel Garrido et Alexis Corbière en Seine-Saint-Denis, Danielle Simonnet à Paris et Hendrik Davi à Marseille, ont décidé de se présenter quand même, contre le candidat officiel de La France insoumise. Cette passe d’armes, dont l’issue pourrait fragiliser Jean-Luc Mélenchon jusqu’à le disqualifier pour la présidentielle de 2027, entache très concrètement la campagne du Nouveau Front populaire. Entre autres arguments, le leader de LFI a avancé qu’il avait dû «céder» cent candidatures à ses partenaires par rapport à la répartition établie lors des législatives de 2022 en vertu du rééquilibrage imposé par la première place à gauche du Parti socialiste aux européennes. Entendez: si je dois consentir un tel effort, laissez-moi au moins gérer «mes» candidatures comme je l’entends.

«L’opération de rapprochement du RN avec les Républicains tendance Ciotti n’est pas un franc succès.»

Grand écart périlleux

Le Nouveau Front populaire a pourtant réussi l’exploit de rassembler toute la gauche autour de l’objectif commun de contrarier la victoire annoncée de l’extrême droite. Que des personnalités aussi différentes que l’ancien président François Hollande (dans la première circonscription de Corrèze au nom du Parti socialiste), et Philippe Poutou, candidat à la présidentielle du Nouveau Parti anticapitaliste en 2012, 2017 et 2022 (dans la première circonscription de l’Aude au nom de LFI) soient candidats sous la même étiquette du Nouveau Front populaire situe l’ampleur du brassage des expériences et du grand écart entre les sensibilités. Jusqu’à nuire à la crédibilité du projet? Sans doute. Le ministre de la Justice, Eric Dupont-Moretti, ne s’est en tout cas pas privé de juger «pathétique» la première candidature et incompréhensible la seconde, sachant que Philippe Poutou est, selon lui, un «champion de la haine antiflic» et qu’il brigue un mandat dans la circonscription où, le 28 mars 2018 à Trèbes, fut assassiné par un terroriste le colonel de gendarmerie Arnaud Beltrame. Le Nouveau Front populaire résistera-t-il à ses incohérences et à ces mises en cause?

Il présente des candidats sous son étiquette dans 546 des 577 circonscriptions du pays. La France insoumise n’en pilote plus «que» 229, contre 328 lors des législatives de 2022. Le rééquilibrage profite au Parti socialiste, fort du résultat de sa liste aux européennes: il inscrit 175 candidats sous bannière unique contre 70 il y a deux ans. Europe Ecologie Les Verts «perd» 18 circonscriptions (92 contre 110 en 2022) tandis que le Parti communiste conserve ses 50 candidats. En 2022, la Nupes avait envoyé 131 élus à l’Assemblée nationale.

Raquel Garrido, députée de Seine-Saint-Denis désavouée par la direction de LFI, se présente malgré tout. © Getty Images

Tout ne sourit pas au RN

Pas étonnant que Jordan Bardella, candidat Premier ministre du Rassemblement national, ait désigné le Nouveau Front populaire comme son principal adversaire. Celui-ci représente une menace a priori plus importante que la majorité présidentielle. Malgré les 245 sièges de députés qu’elle avait récoltés lors des législatives de 2022, la liste macroniste est en difficulté. Le poids du bilan, l’usure du pouvoir, la détestation de Macron et l’absence de nouvel élan malgré la peur entretenue auprès des «citoyens raisonnables» de l’accession au pouvoir d’amateurs, d’aventuriers et d’extrémistes expliquent cette désaffection probable. Un sondage Légitrack-OpinionWay-Vae Solis pour Les Echos, publié le 15 juin, lui attribuait 20% des intentions de vote, contre 25% au Nouveau Front populaire et 33% au Rassemblement national… Or, si les législatives, scrutin majoritaire à deux tours, permettent des alliances contre un parti au second, le hic en ce qui concerne Ensemble pour la République est que la liste n’est pas parvenue à sceller un début d’alliance avec une autre formation. Tout juste n’a-t-elle pas présenté de candidats dans 65 circonscriptions, escomptant, semble-t-il sans que ce soit toujours évident, faciliter l’élection d’un membre du parti de droite classique Les Républicains ou un du Parti socialiste. Avec, sans doute, un espoir de «retour sur investissement» en cas de possibilité de forger une majorité.

A côté des dissensions du bloc de gauche et des incertitudes du bloc central, le cheminement du Rassemblement national depuis la dissolution ressemble presque à un long fleuve tranquille. Pourtant, l’opération de rapprochement avec les Républicains tendance Ciotti n’est pas un franc succès. Le président du parti, rallié à la cause nationaliste, n’a convaincu aucun poids lourd de la formation de concourir sous la double étiquette LR-RN dans les 62 circonscriptions où ces candidats hybrides se présenteront, parfois contre un adversaire de LR canal historique. Celui-ci sera présent, lui, dans quelque 400 circonscriptions, dont celle… d’Eric Ciotti. Mais sa campagne aura été bien minée par l’opportunisme d’un homme. Le scrutin législatif étant l’addition de 577 élections et soumis pour cette raison à une multitude d’aléas, tout pronostic sur le futur locataire de l’Hôtel de Matignon serait hasardeux. Ce sera peut-être même encore la cas au lendemain du 7 juillet.

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