Le RN de Jordan Bardella et Marine Le Pen compte bien profiter de son rôle d'arbitre de la politique française pour se donner une respectabilité. © AFP

Comment le RN compte briser le «plafond de verre» avec son rôle d’arbitre de la politique française

Le RN risque de frustrer une partie de son électorat en s’associant, de fait, à la politique du gouvernement de Michel Barnier. Mais globalement, cette position pourrait lui être plus bénéfique que néfaste.

Que fera le Rassemblement national (RN) le 1er octobre prochain? Ce jour-là, le Premier ministre Michel Barnier présentera à l’Assemblée nationale son budget 2025, lors de sa déclaration de politique générale.

Interrogé par BFMTV, le vice-président du parti d’extrême droite, Sébastien Chenu a prévenu: si le RN estime que le nouveau gouvernement ne propose pas assez de mesures allant dans son sens, les élus d’extrême droite «prendront leurs responsabilités». Traduction: ils feront tomber l’exécutif. Des députés comme Jean-Philippe Tanguy (RN) et Eric Ciotti (ex-LR, allié du RN) ont confirmé cette hypothèse.

Mais pour l’heure, le RN n’exclut pas de faire l’inverse: permettre à l’équipe de Michel Barnier de perdurer. Dans ce cas, cette absence d’opposition serait à double tranchant pour la formation de Marine Le Pen, estime Jean-Yves Camus, directeur de l’Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean-Jaurès: «Si le RN affirme se retrouver dans les mesures du gouvernement Barnier, ça pourrait donner à ses électeurs l’impression que le parti serait la roue de secours d’un exécutif composé notamment de la majorité présidentielle».

Selon le politologue, le RN pourrait alors tomber dans le piège qu’Emmanuel Macron a visiblement voulu lui tendre, à savoir le mettre face à ses responsabilités. «A mon avis, la dissolution de l’Assemblée nationale avait déjà pour but de prouver l’incapacité du RN à gouverner, en lui donnant potentiellement une majorité parlementaire». L’extrême droite n’a pas gagné les élections législatives, mais l’objectif de l’Elysée de la mettre dans l’embarras voudrait toujours.

La position idéale pour devenir un parti respectable

«Ce serait un pari extrêmement risqué», objecte toutefois Jean-Yves Camus. François Debras, professeur à l’ULiège et à la Haute École Libre Mosane (HELMo), acquiesce. Car d’une part, le cœur de l’électorat du RN va vraisemblablement rester fidèle à l’idée que seule Marine Le Pen peut appliquer le programme qu’ils désirent. Mais surtout, il est intéressant de noter qu’ailleurs en Europe, lorsque l’extrême droite s’associe au pouvoir, il n’y a que rarement un effet de décrédibilisation. Au contraire. «Elle peut influencer les politiques mises en place sans trop se mouiller, analyse-t-il, ce qui lui permet de s’attribuer les retombées positives et d’affirmer que celles négatives ne sont pas de son fait.»

En suivant cet exemple, le RN pourrait, selon les deux experts, bénéficier du scénario qui lui serait le plus profitable: se donner une respectabilité en faisant adopter ses idées par le gouvernement, tout en se dissociant des partis au pouvoir. «Cela permettrait au RN de se dédiaboliser, ce qui lui est essentiel. Sans cela, l’extrême droite n’arrive pas à émerger, comme c’est le cas en Belgique francophone, rappelle Jean-Yves Camus. En même temps, le parti ne deviendrait pas un clone de LR (NDLR: le parti de droite auquel appartient Michel Barnier), ce qui lui aurait fait perdre sa spécificité.»

Le RN assuré d’arriver au pouvoir s’il se normalise?

Les deux politologues en sont persuadés: le RN va vouloir mener ce «jeu d’équilibriste» pour devenir un parti crédible tout en préservant sa différence. Pour confirmer cette normalisation, le RN tâcherait de diaboliser un autre parti, en l’occurrence la France insoumise, en le présentant comme une formation d’«extrême gauche». Une rhétorique qui aurait le double effet d’affaiblir la gauche et de plaire aux électeurs de droite. In fine, le RN pourrait récupérer des électeurs de LR et obtenir ce qui lui manque de votes pour s’imposer sur l’échiquier politique.

«Attention toutefois: on peut aussi imaginer que le gouvernement Barnier arrive à convaincre, notamment à droite, ajoute Jean-Yves Camus. Il n’est pas du tout exclu que cet exécutif réussisse ce pari. Et même si ce n’est pas le cas, les deux personnalités principales de LR, Laurent Wauquiez et Xavier Bertrand, ne sont pas entrées dans l’exécutif et pourraient se désolidariser de celui-ci si besoin. On ne peut pas évacuer ces possibilités d’un trait de plume.»

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