Depardieu, une étonnante fascination pour les dictateurs, comme Ramzan Kadyrov. © BELGA IMAGE

Pourquoi Depardieu a-t-il bénéficié d’une si longue impunité

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Les journalistes du Monde Raphaëlle Bacqué et Samuel Blumenfeld retracent le parcours hors limites de l’acteur et la complaisance dont il a bénéficié. Une histoire française.

La diffusion, le 7 décembre 2023, de l’émission Complément d’enquête comprenant des images d’un film de Yann Moix en Corée du Nord, dans lesquelles l’acteur Gérard Depardieu tient des propos immondes à propos d’une petite fille, a fini de ranger ce monstre sacré du cinéma dans la case des prédateurs sexuels présumés. Mais que le chemin fut long avant que ce comportement soit condamné… C’est le grand intérêt du livre Une affaire très française (1) de Raphaëlle Bacqué, grand reporter au Monde, et de Samuel Blumenfeld, son collègue critique du 7e art, de tenter d’expliquer comment cette attitude connue d’un grand nombre de personnes a pu bénéficier d’une telle impunité pendant des années.

La révélation fit scandale aux Etats-Unis, pas en France.

Les avertissements furent pourtant légion. Un des plus illustres est résumé dans l’échec du film Cyrano de Bergerac, de Jean-Paul Rappeneau, dont Depardieu tenait le rôle principal, dans la course aux Oscars en 1991. A l’origine, l’exhumation d’une interview donnée par l’acteur au critique américain du Times, Richard Corliss, dans laquelle il avouait avoir participé, enfant, à des viols en réunion. La révélation fit scandale aux Etats-Unis, pas en France. Les propos de l’acteur et du réalisateur Maurice Pialat, déblatérant sur la toute jeune actrice Sophie Marceau à l’occasion de la sortie, six ans plus tôt, du film Police, auraient pu aussi alerter sur le type de comportement déplacé ou plus, dont était coutumier Gérard Depardieu. Rien n’y fit.

Question d’époque? Raphaëlle Bacqué et Samuel Blumenfeld nuancent ce déterminisme temporel et invoquent plutôt une question de puissance et de domination. Par le succès de toutes les œuvres auxquelles il participait, Gérard Depardieu procurait une forme d’«assurance-vie au cinéma français». A ce titre, il était sans doute difficile pour beaucoup, jeunes actrices, assistantes et autres artisans masculins du métier, de dénoncer sur la place publique ses agissements. Cela aurait dû être plus aisé pour des personnalités installées – acteurs, réalisateurs, comédiennes renommées – auxquelles il n’osait pas s’attaquer. Pourtant, de façon incompréhensible, le mutisme l’emporta jusqu’au dépôt d’une plainte pour viol de l’actrice Charlotte Arnould.

Cet abus de puissance exercé par Depardieu dans le cinéma fait naturellement écho à la fascination qu’il a éprouvée pour une brochette de dictateurs. Là non plus, ce penchant pitoyable ne suscita guère de réactions. Jusqu’à ce que Vladimir Poutine, dont il a été très proche, ne révèle son vrai visage aux plus sceptiques en faisant envahir l’Ukraine. L’ère de l’impunité est définitivement close.

(1) Une affaire très française, par Raphaëlle Bacqué et Samuel Blumenfeld, Albin Michel, 190 p.
© DR

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