La vulnérabilité de Joe Biden a été exposée au grand public lors du débat télévisé contre Donald Trump. © Getty Images

Biden en sursis? «Les démocrates n’ont pas de plan B» (entretien)

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Les fragilités exposées par le président lors du premier débat électoral contre Donald Trump sèment la panique dans son parti. Pourquoi ne les a-t-il pas anticipées?

«Appeler à un nouveau candidat démocrate à ce stade de la campagne n’est pas une décision prise à la légère, mais elle reflète l’ampleur et la gravité du défi lancé par M. Trump aux valeurs et aux institutions de ce pays et l’incapacité de M. Biden à l’affronter», commente, le 28 juin dernier, le comité de rédaction du New York Times. Le premier quotidien des Etats-Unis justifie ainsi sa décision de demander le retrait de la course à l’élection présidentielle du 5 novembre de Joe Biden. Sa prestation, la veille lors du premier débat télévisé de la campagne, a été désastreuse quant à son aptitude à assumer, à 81 ans, sa charge de président quatre ans de plus. Il devrait donc renoncer. Mais est-ce si simple? Professeure de science politique à l’université Paris Nanterre et spécialiste des politiques de santé aux Etats-Unis, Elisa Chelle décrypte les tenants et les aboutissants de cette situation inédite.

La vice-présidente Kamala Harris n’a pas réussi à s’imposer comme possible alternative à Joe Biden. © Getty Images

Comprenez-vous les inquiétudes des démocrates après le débat télévisé Trump-Biden?

Je comprends ces inquiétudes. Mais je m’étonne de l’étonnement des démocrates. Les limitations physiques, les hésitations dans l’élocution, de phrasé, d’aisance du président étaient déjà connues. Ces derniers mois, on l’a souvent vu être fragile, trébucher, avoir des moments d’absence pendant des représentations publiques. Ces faiblesses étaient connues. La différence est que le 27 juin, elles étaient patentes aux yeux du grand public. Non pas que les précédents incidents n’aient pas été filmés mais là, il s’agissait d’un format très défavorable à Joe Biden, puisqu’il faisait face à un homme beaucoup plus à l’aise que lui sur les plateaux télévisés. Donald Trump est un homme de télévision, s’exprime clairement, sait formuler des petites phrases dont on se souvient… Biden était beaucoup plus soucieux de l’exactitude des faits. Mais il les exprimait de manière très peu claire. Donc il n’a pas convaincu.

«Retirer Joe Biden de la course à la présidentielle aura un coût politique.»

Voulez-vous dire que les démocrates auraient dû anticiper cette faiblesse de la candidature Biden et que désormais, il est trop tard?

Le projet des démocrates au départ était de faire de Biden une figure de transition, qui ne se présenterait qu’à un seul mandat. Biden l’avait d’ailleurs annoncé lui-même. Lui et le parti avaient à l’esprit que Kamala Harris lui succéderait. Mais cette stratégie a été un échec puisque la vice-présidente n’a pas réussi à progresser en popularité dans l’opinion, et à gagner une stature véritablement présidentielle. Dans la mesure où le Parti démocrate avait préparé la voie pour Kamala Harris en écartant toute autre candidature possible et que celle-ci n’a pas répondu aux attentes, il ne lui restait plus qu’une seule option: reconduire le président sortant. Il bénéficie tout de même de la «prime du sortant», comme souvent dans les élections américaines. Donc, Joe Biden candidat à un deuxième mandat, c’était déjà une stratégie par «défauts». Défauts avec un «s» puisqu’ils ressortent maintenant particulièrement aux yeux du grand public dans un exercice très défavorable à Biden. Les démocrates n’ont pas de plan B. On comprend leurs inquiétudes face à un Trump qui apparaît plutôt en forme, parce qu’il n’y a toujours pas d’autres candidatures… Des noms comme celui de Michelle Obama circulent. Mais j’ignore si elle a déjà fait part de son désir d’intégrer la vie politique en tant qu’élue.

Le président John Fitzgerald Kennedy souffrait de la maladie d’Addison, qu’il surmontait à l’aide de médicaments. © GETTY IMAGES

Souvenez-vous que le même débat a eu lieu à propos du Parti républicain lorsque Donald Trump a connu ses ennuis judiciaires. On se demandait comment il pouvait soutenir un tel candidat et s’il ne fallait pas envisager une alternative… On a évoqué à l’époque Ron DeSantis et Nikki Haley. Mais tous se sont cassé les dents sur cette désignation. Résultat: ce n’est pas seulement le Parti démocrate, mais bien les deux principales formations politiques des Etats-Unis qui ont des candidats par défaut, avec des handicaps, pour des raisons totalement différentes. Après avoir parlé pendant des mois des handicaps judiciaires de Trump, c’est le handicap de communication de Biden qui est mis en lumière.

Proposer un autre candidat que Joe Biden entraînerait-il plus de préjudices que d’avantages?

Je pense que c’est le calcul que le Parti démocrate est occupé à faire. Après l’avoir soutenu pendant des mois, avoir dit qu’il était très bien, etc., retirer Joe Biden de la course à la présidentielle aura un coût politique. Pour l’instant, rien ne dit que le bénéfice apporté par le remplacement de Joe Biden par Kamala Harris, puisque je ne vois pas qui d’autre pourrait lui succéder, serait supérieur au coût de son retrait. Il faut attendre les sondages d’opinion qui sortiront dans les prochains jours. La seule exception à cette situation serait un problème de santé grave et incapacitant de Joe Biden. A ce stade, même s’il est physiquement affaibli, il n’est pas, a priori, en situation de danger. Les deux partis sont dans une situation à risque parce qu’ils ont des têtes de liste fragilisées, et pas de plan B en cas de défaillance. Pour Trump, cela ne se dessine pas trop mal puisque les débuts de ses procès très importants sont reportés à un calendrier inconnu. Il faudra cependant attendre le prononcé de la peine, le 11 juillet, pour sa condamnation dans l’«affaire Stormy Daniels».

Elisa Chelle, professeure de science politique. © DR
«Aujourd’hui, ce ne sont plus les partis qui tiennent leurs candidats, mais les candidats qui tiennent les partis.»

L’élection présidentielle américaine étant une confrontation entre deux personnalités, leur état de santé est-il un élément important dans le choix des électeurs?

Les précédents appartiennent à des époques où il n’y avait ni réseaux sociaux ni chaînes d’information continue. Franklin D. Roosevelt (NDLR: président de 1933 à 1945) dirigeait les actions liées à la Seconde Guerre mondiale en fauteuil roulant. John Fitzgerald Kennedy avait la maladie d’Addison; il tenait grâce à une pharmacopée significative. Il y a eu, bien sûr, des précédents de présidents en mauvaise santé. Mais ils ne gouvernent pas seul. Ils ont des équipes. Ils sont soutenus par des médecins… Ce qui est particulier dans cette élection, c’est le nombre d’électeurs potentiels qui disent détester les deux candidats, les «double haters». Les dernières enquêtes montrent qu’ils représentent 25 % des électeurs potentiels. C’est à peu près le double du chiffre enregistré lors de l’élection de 2020. Le résultat des urnes dépendra donc de beaucoup de facteurs et des candidatures tierces, notamment celle de Robert F. Kennedy junior qui pourrait enlever plus d’électeurs à Joe Biden qu’à Donald Trump.

Que cette élection oppose une personne de 81 ans à une autre de 78 ans dit-il quelque chose de la société américaine, ou est-ce un concours de circonstances?

Il y a une prime à l’ancienneté dans le fonctionnement d’un certain nombre d’institutions américaines. En ce qui concerne la vie parlementaire, les responsables politiques les plus âgés ont une prééminence sur les plus jeunes, notamment dans le contrôle des commissions. L’argument vaudrait plutôt pour Joe Biden. Cette situation est due à un concours de circonstances. Mais elle montre tout de même une difficulté de renouvellement des élites, et l’affaiblissement des partis. Il y a encore une quarantaine d’années, les partis démocrate et républicain contrôlaient davantage les investitures. Depuis, le choix des investitures a de plus en plus été confié au vote populaire. Cette méthode a pour conséquence que les candidats ne sont pas désignés sur leurs compétences, comme s’en préoccupait davantage l’appareil du parti auparavant. Les électeurs, eux, votent pour ceux qu’ils connaissent le mieux, ceux dont ils comprennent le langage… Cela favorise les candidatures comme celles de Donald Trump. Or, même s’il vient avant tout du monde des affaires, Donald Trump a réussi à prendre le contrôle du Parti républicain. Aujourd’hui, ce ne sont plus les partis qui tiennent leurs candidats, ce sont les candidats qui tiennent les partis. Après les élections de mi-mandat en 2022 (NDLR: au cours desquelles le Parti républicain n’avait pas engrangé les résultats espérés), le Wall Street Journal titrait que Donald Trump était «le plus grand perdant sur la scène politique». Aujourd’hui, il est toujours là. Il a certes connu des passages difficiles. Mais une campagne électorale n’est pas linéaire. Il y a des hauts et des bas. Trump a connu un certain nombre de revers dans sa campagne. Il s’est maintenu malgré les procédures judiciaires engagées contre lui. Cela dénote forcément un contrôle de l’appareil du Parti républicain. Et aujourd’hui, ses élites doivent se rallier à sa candidature, bon gré, mal gré.

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