T-Reg, arme potentielle pour combattre le coronavirus ?
Un essai clinique confirme l’efficacité et la sécurité du renfort de l’immunité naturelle contre le coronavirus. Une solution empruntée à l’immunothérapie contre le cancer et qui pourrait révolutionner le traitement contre la pandémie.
L’image peut paraître excessive, mais elle serait forte sous le crayon d’un Vadot ou d’un Kroll : un globule blanc T-Rex croquant à pleines dents un virus en forme de couronne hérissée de bourgeons. Elle n’est pourtant pas si éloignée de la réalité… Sauf que le globule blanc ne s’appelle pas T-Rex mais T-Reg, pour » régulateur « . C’est un des principaux soldats de notre immunité et l’une des voies que les chercheurs empruntent pour créer une réponse adaptée à la pandémie.
Mais qu’est-ce que ce T-Reg ? Les lymphocytes T régulateurs sont une sous-population de lymphocytes CD4+ ayant la propriété de bloquer la prolifération d’autres lymphocytes T effecteurs. Ils sont nécessaires au maintien de la tolérance immunitaire, ils participent donc à celui de l’homéostasie. Du chinois ? Pas vraiment : l’homéostasie est un phénomène par lequel un facteur clé (par exemple, la température) est maintenu autour d’une valeur bénéfique, grâce à un processus de régulation. Des exemples typiques d’homéostasie sont la température d’une pièce grâce à un thermostat, la température du corps, le taux de sucre sanguin, le degré d’acidité ou la pression d’un milieu. Bref, ces T-Reg sont des globules blancs, acteurs majeurs de l’immunité, qui en assurent l’équilibre. Face aux agressions de toutes sortes (virus, bactéries, corps étrangers), ils accompagnent les lymphocytes T effecteurs qui migrent vers les cellules infectées par le virus pour nous en débarrasser.
Les T-Reg sont des globules blancs, acteurs majeurs de l’immunité, qui en assurent l’équilibre.
Le fait qu’on signale qu’ils ont la « propriété d’inhiber la prolifération d’autres lymphocytes T effecteurs » nous rappelle la réalité du Covid-19. Après deux ou trois jours où la personne est infectée mais sans symptômes, son état reste plutôt stable. Puis, du quatrième au huitième jour, peut se déclencher la « tempête de cytokines » qui est, dans la majorité des cas, responsable du décès du malade. Une méta-analyse publiée le 27 juillet dernier dans la revue scientifique de référence Nature, sous la direction de Carolina Lucas, montre que cette aggravation n’est pas causée directement par le virus mais bien par l’hyperstimulation de cellules qui sécrètent des cytokines. Ces substances ont en effet des actions à double tranchant : elles contribuent certes à limiter l’invasion virale, mais, produites en trop grande quantité, elles sont à l’origine d’une inflammation exacerbée, la tempête cytokinique.
Un taux de mortalité de 15 %
« La grande majorité des patients présentent une forme bénigne de la maladie, mais environ 15 à 20% d’entre eux développent une forme grave et un état critique nécessitant un traitement d’oxygénation. Les personnes fortement infectées ont un taux de mortalité élevé : dans certaines régions, il atteint 15,5 %. Le taux de mortalité élevé est associé à de nombreux facteurs, y compris les ressources médicales locales et l’état physique de la personne infectée, tels que l’obésité, les maladies préexistantes sous-jacentes (maladies cardiaques, diabète), ainsi que l’âge avancé », explique le docteur Song Guo Zheng, de l’université d’Ohio, dans un article publié dans la revue à révision par les pairs MedComm (Wiley).
De quoi essayer de dévoiler les mécanismes immunopathologiques en corrélation avec l’apparition et la progression cliniques pour comprendre la pathogenèse, la pratique clinique efficace et les nouvelles approches thérapeutiques.
Quand le patient meurt, il est évident que le virus en couronne s’est montré plus fort que notre globule blanc à tête de tyrannosaure. Comment rendre le T-Reg plus fort ? C’est une des tâches de l’immunothérapie (lire aussi Coronavirus: l’immense espoir de l’immunothérapie).
« Au cours de la dernière décennie, les chercheurs ont fait de grands efforts pour comprendre et développer les T-Reg pour le traitement de maladies liées à l’activation du système immunitaire. L’immunothérapie T-Reg est devenue une quête légitime d’une entité clinique qui bloquerait sélectivement les réponses autoimmunes et immunitaires indésirables et, dans certains cas, un schéma thérapeutique qui pourrait conduire à l’induction de la tolérance immunitaire.
Des études chez l’animal ont rencontré de nombreux succès. Les rapports de pathologie ont révélé que les tissus pulmonaires des personnes infectées par le Sras-CoV-2 étaient largement infiltrés avec des cellules géantes multinucléées et des cellules inflammatoires. La thérapie cellulaire T-Reg est utilisée pour traiter diverses maladies autoimmunes et inflammatoires dans des modèles animaux et certains essais cliniques sont en cours. Des essais cliniques rigoureusement conçus et une planification détaillée de la fabrication de T-Reg pourraient être envisagés afin d’évaluer leur efficacité dans l’amélioration des résultats cliniques et la réduction des taux de mortalité des patients atteints de Covid-19« , précise le docteur Song Guo Zheng.
Le taux de lymphocytes est doublé
D’autres équipes suivent des pistes parallèles pour aboutir au même résultat. Des chercheurs de l’UCLouvain viennent de démontrer l’intérêt de booster les défenses immunitaires des patients atteints du Covid-19. « Les objectifs de notre étude clinique étaient de s’assurer de la sécurité du traitement pour les patients, de vérifier qu’il n’augmente pas les réactions inflammatoires provoquées par le virus et de s’assurer de son impact positif sur les lymphocytes (globules blancs) », expose le professeur Pierre-François Laterre, chercheur au pôle de médecine aiguë de l’UCLouvain et chef de clinique à Saint-Luc, qui vient de publier ses résultats dans la prestigieuse revue scientifique Jama.
« Pour répondre à la baisse des défenses immunitaires provoquée par le Covid-19, deux pistes sont actuellement étudiées dans le monde. D’abord bloquer ces réactions inflammatoires, mais le risque est de fragiliser l’état du patient et l’exposer à d’autres infections. Ou alors stimuler les défenses immunitaires. C’est celle que nous avons suivie. La tempête inflammatoire provoque une chute drastique des globules blancs (lymphocytes). Dans le cadre du Covid-19, ce déficit de lymphocytes est associé au haut taux de mortalité (infections généralisées). Nous stimulons ces lymphocytes, par le biais de l’immunothérapie, en injectant une protéine naturellement présente dans le corps, l’Interleukine-7 (IL-7). »
Des chercheurs de l’UCLouvain viennent de démontrer l’intérêt de booster les défenses immunitaires des patients atteints du Covid-19.
Les chercheurs néolouvanistes viennent de réaliser une étude clinique sur 25 personnes. Les scientifiques ont administré, durant un mois, de l’Interleukine-7 à douze patients tandis que treize autres faisaient partie du groupe de contrôle. « L’objectif de cette étude était triple : vérifier que l’administration de cette protéine est safe, s’assurer que le traitement ne provoque pas d’inflammation complémentaire, observer si l’Interleukine-7 permet effectivement d’augmenter le taux de lymphocytes et donc, de booster les défenses immunitaires des patients », commente le professeur Laterre.
Un nouvel essai auprès de 200 patients
Résultats ? L’immunothérapie est sans danger et ne provoque pas d’inflammations complémentaires. Au contraire, elle permet de doubler le taux de lymphocytes. Une étude américaine a, par ailleurs, permis de confirmer l’efficacité des lymphocytes stimulés qui sont capables de retrouver leur fonction immunitaire.
La suite ? Une deuxième étude clinique, réalisée en Angleterre sur plusieurs centaines de patients, permettra de vérifier l’impact de l’immunothérapie sur la guérison des malades du Covid-19 et sur la diminution de la sévérité de la maladie. Cette étude, lancée début juillet au Guy’s and St Thomas de la NHS Foundation Trust, à Londres, est dirigée par le docteur Manu Shankar-Hari. Il a recruté le premier patient au monde pour l’essai Iliad-7 parrainé par RevImmune Inc. L’essai Iliad-7 a été désigné comme priorité de santé publique urgente par le médecin-chef en Angleterre et fait partie des efforts mondiaux visant à trouver des traitements pour la maladie Covid-19. Il cherche à recruter 48 patients au Royaume-Uni et un total de 200 patients à travers l’Europe et l’Amérique du Nord.
L’essai Iliad-7 teste si l’Interleukine-7 recombinante humaine est capable de renforcer la capacité du système immunitaire à combattre l’infection au coronavirus. Le traitement par IL-7 pourrait aider à améliorer l’état clinique des patients en réduisant la quantité de virus Covid-19 dans le corps et favoriser la guérison. L’IL-7 fait actuellement l’objet d’essais cliniques pour traiter la septicémie et le cancer et est utilisée pour traiter des patients ayant une immunité altérée. « Cet essai identifie spécifiquement les patients atteints de Covid-19 avec une immunité altérée en raison de faibles taux de lymphocytes et vise à restaurer leur fonction immunitaire. Ainsi, il cible un sous-ensemble de patients Covid-19 qui présentent un risque plus élevé et une plus grande chance de réponse au traitement », relève le docteur Shankar-Hari. Les premiers résultats devraient être révélés en octobre ou novembre prochain.
Comment agit le T-Reg
On connaît aujourd’hui mieux la manière dont les T-Reg peuvent agir pour réguler la réaction immunitaire. Ils peuvent en effet inhiber plusieurs cellules immunitaires, telles que les cellules CD8 +, CD4 + T, les monocytes, les cellules NK, ainsi que les cellules B contrôlant la réponse immunitaire indésirable à différents stades de la transplantation, de l’allergie et du rejet d’autoimmunité.
Les T-Reg exercent principalement cette fonction inhibitrice par la sécrétion des cytokines TGF-b et IL-10. Les T-Reg peuvent être produits dans le thymus, une glande essentielle de notre cerveau. Ils peuvent être appelés cellules T-Reg naturels (nT-Reg). D’autres, d’origine non thymique sont appelés cellules T-Reg induites (iT-Reg). Des billes revêtues d’anti-CD3 / CD28 peuvent être combinées avec une dose appropriée de cytokines IL-2 et TGF-b pour induire des iT-Reg in vitro à partir de cellules T naïves. Ces cellules T-Reg induites artificiellement in vitro partagent la plupart des caractéristiques fonctionnelles et phénotypiques avec les nT-Reg. Et seraient donc un outil de choix pour minimiser la maladie, voire l’empêcher de se développer.
« Un espoir à ne pas surestimer »
Quel est l’espoir réel de transformer ces études de recherche quasi fondamentale en une éventuelle solution globale contre le virus ? « L’infusion d’Interleukine-7 pourrait, par exemple, être administrée en priorité chez les patients touchés par le virus mais dont on établirait que leur immunité est déjà très compromise. Elle serait proposée pour restaurer le nombre de lymphocytes T chez les patients lymphopéniques, quels que soient leur antécédents médicaux, explique le professeur Arnaud Marchant qui dirige l’Institut d’immunologie médicale de l’Université libre de Bruxelles et est directeur de recherche du FNRS. »
L’étude de l’UCLouvain démontre que l’administration de IL-7 augmente le nombre de lymphocytes dans le sang du patient et que cette opération se déroule sans effets secondaires notables, ce qui est une très bonne nouvelle. Mais ces lymphocytes peuvent être autant des T-Reg « salvateurs », tels que vous les décrivez avec beaucoup d’espoir, que des lymphocytes effecteurs qui permettent de contrôler le virus, mais qui peuvent aussi contribuer à la tempête cytokinique. On ne peut donc pas conclure, à ce stade, si cette nouvelle approche augmentera le nombre de T-Reg et restaurera l’homéostasie du système immunitaire. »
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