International !
15 ans après avoir quitté une Bosnie dévastée par la guerre, l’attaquant a fêté sa première sélection nationale par une victoire en Norvège.
A bientôt 29 ans, Adnan Custovic a déjà vécu plusieurs vies. La première fut sans conteste celle qui lui a donné son identité, sa personnalité et des origines bosniaques avec lesquelles il vient de renouer lors d’un stage de dix jours ponctué par une rencontre qualificative en Norvège. La deuxième fut la plus traumatisante, celle qui vit défiler des bombes et des chars, des morts et des camps de réfugiés. Puis, il y eut la troisième, celle marquée du sceau de l’exil, de la découverte de la France et de la Belgique, de la rencontre avec sa femme et de la naissance de leur fils, celle de la reconstruction.
» Je n’habite plus en Bosnie depuis que j’ai quitté le pays en pleine guerre. J’avais 14 ans. J’avais fui en Slovénie dans un camp de réfugiés avec mon frère et ma mère. Notre père nous avait rejoints un an et demi plus tard. Après la guerre, ma famille est retournée au pays. Moi, je suis demeuré en Slovénie pour poursuivre mes études et jouer au football. Par la suite, mon chemin m’a mené en France et en Belgique. Cependant, je n’ai pas coupé tous les liens avec la Bosnie. J’y retourne chaque été. Mostar, d’où je suis originaire, a beaucoup changé suite au conflit mais cela reste ma ville. Elle reprend vie petit à petit même si la situation économique peu favorable ne lui permet pas de renouer avec son rythme d’antan. Pour retrouver la brillance d’autrefois, il faudrait que cesse l’inflation. A Mostar, il n’y a pas d’industries. Les gens tentent de survivre comme ils peuvent. En été, il y fait beau et chaud. Nous sommes à une heure de la mer où nous passons deux à trois jours sur les vacances. Sinon, on profite de la ville et de ses terrasses. Il y a beaucoup de bars. Personne n’a de sous mais tout le monde va au café. C’est de là que provient la chaleur de la ville « .
Pourtant, son exil l’avait quelque peu éloigné du devant de la scène médiatique bosniaque. En début de saison, alors qu’il avait trouvé ses marques à Mouscron et qu’il avait fait trembler les filets adverses à cinq reprises en trois rencontres, Custovic avait déclaré vouloir goûter à la sélection bosniaque : » Le sélectionneur de l’époque Blaz Sliskovic m’avait dit qu’il n’avait pas de scouts pour venir me visionner. L’entraîneur actuel, Fuad Muzurovic n’en a toujours pas. Cependant, j’ai été appelé car les journalistes du pays commençaient à citer mon nom, attirés par mes 13 buts en championnat belge « .
Son nom avait donc commencé à filtrer mais d’autres éléments ont permis à Custovic de goûter à sa première sélection : » Le climat du football bosniaque est assez tendu. Beaucoup de joueurs ont refusé de jouer en équipe nationale tant que les dirigeants de la Fédération ne démissionnaient pas. Ces derniers ont été mêlés à des problèmes financiers « .
L’arrivée du Mouscronnois a donc coïncidé avec un certain renouveau au sein de la formation représentative de Bosnie-Herzégovine : » Un groupe de 25 éléments parmi lesquels on retrouvait 11 nouveaux a été constitué. Ce n’était pas plus mal car tous les regards n’étaient pas braqués uniquement sur moi et cela m’a permis de m’acclimater plus vite. Je ne connaissais personne mais je me suis bien entendu avec les jeunes « .
» On se faisait insulter par nos propres supporters »
La grande aventure pouvait commencer. Au menu : incidents, titularisation surprise, penalty et finalement une victoire héroïque en Norvège. Bref, tous les ingrédients pour tenir en haleine le lecteur : » Comme il s’agissait d’une équipe totalement nouvelle, nous avons été retenus 10 jours. Je suis arrivé à Sarajevo 24 heures avant le rassemblement. Cela m’a permis de faire un crochet à Mostar pour saluer la famille. Le lendemain, je me rendais au rendez-vous. A Sarajevo, nous nous sommes entraînés à huis clos au stade national Kosevo, qui possède 35.500 places. Les entraînements étaient surtout basés sur la tactique et les automatismes. Je faisais partie de l’équipe des réservistes, l’entraîneur m’ayant directement annoncé qu’il ne me connaissait pas et qu’il ne m’avait jamais vu jouer. J’étais donc convaincu que j’allais être remplaçant. Ce n’est que le vendredi, après le départ pour Oslo, qu’il m’a annoncé que je débuterai la partie. Les entraînements l’avaient incité à modifier sa tactique. Au départ, il voulait opter pour un 4-5-1 mais comme il n’était pas satisfait par notre manière de défendre, il a privilégié… l’attaque et est passé à un 4-4-2 « .
Le stress pouvait commencer à envahir Custovic mais les événements allaient l’empêcher de planer : » Nos supporters étaient déchaînés contre la Fédération. Nous n’avions pas pu nous en rendre compte à Sarajevo où nous étions coupés du monde. Mais une fois arrivés en Norvège, nous avons pu sentir les pressions extérieures. Les supporters sont venus à l’entraînement insulter certains joueurs coupables d’avoir signé une lettre contre la Fédération avant de revenir sur leur décision et de rallier l’équipe nationale. Ils se sont rendus à l’hôtel où la police les a arrêtés. A chaque fois que l’on sortait de l’hôtel, on voyait une poignée de supporters en train de nous faire des doigts d’honneur. Leur but était de perturber l’entraînement et d’arrêter le match « .
Arrive alors la rencontre de qualification pour l’Euro 2008 face à la Norvège : » Muzurovic m’avait placé comme milieu droit. Je devais bloquer le flanc gauche norvégien, animé par John Arne Riise et Morten Gamst Pedersen. Riise ne pouvait pas monter. C’est pour cette raison que je me retrouvais souvent très bas dans le jeu, voire parfois au poste de back droit. Après deux minutes de jeu, nos supporters ont envoyé 200 fumigènes sur la pelouse et la rencontre a dû être interrompue durant 40 minutes. Tout le groupe se demandait si on allait terminer le match. Finalement, on est remonté sur la pelouse et on a remporté une victoire que personne n’attendait. On était parti en Norvège sans pression. L’équipe était inédite et on espérait simplement ne pas prendre trop de buts. On a mené 2-0 et la Norvège a réduit le score sur un penalty que j’avais commis. Pedersen avait poussé le ballon un peu trop loin et il a laissé traîner la jambe sur la mienne. A ce moment-là, je me suis dit – Ce n’est pas vrai. On mène 2-0. Je ne devais jamais provoquer ce penalty. Je redoutais que cela remette la Norvège en selle. Heureusement, on s’est battu comme des lions et on a tenu. L’entraîneur ne m’a rien dit personnellement mais à la télévision, il a déclaré que nous étions des héros. C’est un homme posé qui ne parle pas beaucoup. Avant la rencontre, il ne nous avait donné aucun impératif. Il voulait simplement qu’à la fin de la confrontation, nous puissions nous regarder dans les yeux. Après le match, tout le groupe a fait la fête dans un bar entre 1 h et 4 h du matin. Et comme le bus pour l’aéroport partait à 5 h, on n’a pas beaucoup dormi « .
» Je m’effacerai s’il le faut »
Cette première expérience internationale restera gravée à jamais dans la mémoire de Custovic : » Dans ma tête, j’avais toujours eu ce rêve de porter, un jour, le maillot de l’équipe de mon pays. Tout le monde éprouve cette fierté. La guerre aurait pu m’éloigner de mon pays mais elle a renforcé mon sentiment d’appartenance. Je veux que l’on voie la Bosnie sous son meilleur jour, sur la scène européenne. Maintenant, je vais m’accrocher pour y rester. Que ce soit comme attaquant ou milieu droit. Si on me demande de revenir comme gardien, j’accepte. Cependant, il faut tout faire pour que la Bosnie parvienne à participer à l’Euro. Si cela passe par le retour des meilleurs joueurs, alors tant pis pour moi. Je m’effacerai pour le bien de mon pays « .
Il lui restera alors le bonheur de profiter de son jeune fils, né il y a quelques mois et constituant le point d’orgue d’une année 2006 fastueuse. » Depuis la naissance d’ Allen, mon point de vue sur le football a évolué. Je me prends moins la tête. Auparavant, je me posais des questions durant quatre jours après une défaite. Désormais, je relativise et je me ressource en famille « .
Bref, que du bonheur ! » Cela ne veut pas dire que je n’ai plus d’ambitions. Il me reste encore des choses à accomplir. On a toujours des rêves d’enfant : moi je pense encore à la Ligue des Champions ou à la Coupe de l’UEFA… « .
par stéphane vande velde
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