Le pacte démoniaque
Michel Fourniret et Monique Olivier seront jugés pour sept meurtres, dès le 27 mars, en France. Si l’issue du procès semble jouée d’avance, son enjeu consistera à mieux cerner la personnalité de ce couple diabolique qui a soudé une alliance criminelle hors du commun.
Il est calme et serein. Son avocat belge Bernard Castaigne paraît gêné de le dire. Michel Fourniret attend son procès paisiblement, dans sa cellule de Charleville-Mézières. Placé en isolement total dans une aile de la prison, qui a été quasiment vidée pour des raisons de sécurité, ce fan de Dostoïevski dévore des briques de la littérature russe et joue aux échecs – sa passion – sur une machine électronique. » L’univers carcéral lui convient à merveille, avoue Me Castaigne. Tout y est ordonné. Il n’a plus à faire face à ses pulsions sexuelles. » Agé de 65 ans, l' » ogre des Ardennes » y restera certainement jusqu’à la fin de sa vie. Il le sait. » C’est un mort-vivant « , résume l’avocat.
Dans sa cellule, Monique Olivier, elle, réclame des bandes dessinées et des guides sur l’Egypte. N’importe quoi, sauf ses mots à lui. Elle a demandé à ne plus recevoir les lettres de son mari, ni les dessins où il la caricature en forme d’£uf, ligotée à un arbre, affublée de bas résille. Ses cheveux ont foncé. Elle a teint ses racines blanches qui, il y a quatre ans, au journal télévisé, lui donnaient l’air d’une sorcière. Elle déteste les informations et ne regarde jamais la télévision. A 59 ans, l’épouse de Michel Fourniret risque, elle aussi, de ne jamais retrouver la liberté, a fortiori avec la nouvelle loi française sur la rétention de sûreté pour les criminels dangereux.
Derrière ses yeux bleus et son look de jeune grand-père, difficile de voir en Michel Fourniret le meurtrier froid d’au moins sept jeunes filles. Ceux qui l’ont approché se souviennent néanmoins de ses mains immenses, surtout comparées à sa petite taille (1,68 mètre), et de sa poigne d’acier. Lors d’une expertise, il a déclaré, avec un sourire sardonique, au psychiatre qui lorgnait ses paluches : » Savez-vous que, si je voulais, de ces mains, je vous étranglerais d’un geste ? » Avec son air de chien battu et sa peau de cire, Monique Olivier, qui bégaie et tremble en public, ne ressemble pas non plus à un monstre. Et pourtant, elle fut l’allumette du baril de poudre. Ensemble, ils ont formé un duo criminel d’une perversité incroyable, en passant un pacte sanguinaire, fomenté comme une revanche sur leur misérable existence.
Le diable a trouvé sa proie. Elle, l’acteur de ses fantasmes
Le 25 mars 1984, Michel Fourniret est arrêté et incarcéré suite à l’agression de la petite amie d’un policier. Aux enquêteurs, il avoue alors 17 agressions et viols dont il dresse un tableau précis : les dates, les lieux, les noms de ses victimes, leur âge, les circonstances et même des commentaires. Devant les assises de l’Essonne, il écope de sept ans de prison, dont deux avec sursis. Pendant son incarcération à Fleury-Mérogis, en 1985, le matricule 130655S passe une annonce dans un magazine catholique pour nouer des contacts. Paumée, Monique Olivier, qui vient de divorcer pour la deuxième fois, y répond, prenant vite goût à ses flatteries et à son style ampoulé. Le diable a trouvé sa proie. Et elle, l’acteur de ses plus sombres fantasmes.
Ils s’échangent de nombreuses lettres dans lesquelles ils scellent un pacte criminel. Lui promet à sa » Natouchka » ou sa » mésange » de tuer ses deux premiers maris qui l’ont humiliée. En échange, elle devra aider celui qu’elle surnomme » mon fauve » ou » Shere Khan » à trouver des jeunes filles vierges pour assouvir son obsession de la » membrane « , selon le terme qu’il emploie pour désigner la virginité. Un mois et demi après la sortie de prison de Fourniret, le couple passe à l’action, selon un scénario méticuleusement préparé.
Le soir du 11 décembre 1987, au volant de sa Peugeot 304, Monique Olivier, faisant mine d’être perdue, parvient à embarquer une jeune fille de 17 ans repérée à proximité d’un collège, le long d’une nationale, à Auxerre. Plus loin, un auto-stoppeur attend, un bidon d’essence à la main. Fourniret, évidemment. Isabelle Laville est piégée. Son corps sera retrouvé, durant l’été 2006, au fond d’un puits de Bussy-en-Othe, un petit village de l’Yonne. Quelques jours après le crime odieux, le duo débarque à Nantes et met le feu à l’atelier de peinture de Salvatore, le premier mari de Monique Olivier. L’artiste, qui fête son anniversaire chez des amis, est sauf, mais c’est toute sa vie qui part en fumée. Donnant-donnant. Le pacte démoniaque est sacralisé.
Elle vérifie l’hymen de la jeune fille avant qu’il ne la viole
Le meurtre d’Isabelle Laville est le premier d’une longue série, avec, chaque fois, un scénario identique. En août 1988, sur le parking d’un supermarché de Châlons-en-Champagne, Fourniret demande l’adresse d’un médecin à une étudiante de 20 ans. Le ventre rond de Monique Olivier amadoue Fabienne Leroy. Elle monte. Le break du couple file vers un chemin isolé, au milieu d’un bois. Monique vérifie l’hymen de la jeune fille avant qu’il ne la viole et ne la tue. Les années suivantes, il y aura tant d’autres stratagèmes du même tonneau que la rabatteuse appellera cela le » scénario habituel « . Elle n’hésitera pas à utiliser leur fils comme appât. Sélim, qui doit son prénom à un détenu albanais que son père a rencontré à Fleury-Mérogis, naît le 9 septembre 1988.
Monique Olivier est complice de chaque crime. Elle prépare. Elle chasse. Elle participe. Activement. C’est elle qui, en 1989, conduit la Renault chargée du corps d’Elisabeth Brichet, qui n’a que 12 ans. Encore elle qui, la même année, bâillonne Jeanne-Marie Desramault, 22 ans, pour étouffer ses cris. Elle qui, fin 1990, nettoie le sac de couchage taché de sang de Natacha Danais, 13 ans. » Tu sais que c’est avec plaisir que j’exécuterai tes ordres, avait-elle écrit à Fourniret le 17 septembre 1987, lorsqu’il se trouvait encore derrière les barreaux. Non, je ne suis pas une petite-bourgeoise, je veux travailler auprès de mon fauve, le seconder. «
Plus tard, Michel Fourniret, le solitaire, chasse seul. Mais, le soir, à son retour, il raconte. Fièrement. » Et elle prenait du plaisir à l’écouter ! » tonne Gérard Chemla, avocat français de plusieurs parties civiles. Dans son expertise, le psychanalyste Philippe Herbelot qualifie Monique Olivier d' » égérie » et indique que » sa force et son secret, c’est de savoir provoquer et utiliser la perversité des hommes à leur insu « . Les psys qui l’ont examinée concluent dans le même sens : elle tirait une jouissance des actes barbares de son mari, l’encourageait, alimentait ses fantasmes comme lui le faisait pour elle. Un couple vraiment diabolique.
Un tueur en série organisé : son intelligence est vouée au mal
Fourniret est un pervers obsédé par les jeunes vierges. Mais il ne tuait pas ses victimes uniquement pour éviter de retourner en prison. Il présente toutes les caractéristiques d’un tueur en série organisé, froid, avec un rituel et une logique implacables. Son intelligence est entièrement vouée au mal. Pour lui aussi, les experts psys semblent unanimes : il recherche la jouissance de la toute-puissance qu’il exerce sur ses victimes, c’est-à-dire le pouvoir de donner la mort. Sa quête délirante de la virginité est secondaire, voire un prétexte. Il tue avec une violence inouïe, par strangulation le plus souvent. En 1988, il abat Fabienne Leroy d’un coup de fusil à bout non pas portant, mais touchant, le canon scié appuyé sur sa poitrine. A Natacha Danais, il plante un tournevis en plein c£ur. Avant de l’étrangler, il étouffe Elisabeth Brichet en enfermant sa tête dans un sac en plastique transparent pour bien profiter de sa terreur.
Derrière son masque de Monsieur Tout-le-monde, Fourniret a mené, des années durant, son abominable carrière criminelle parallèlement à une vie sociale recluse, mais en apparence normale. Il aurait pu continuer encore longtemps. Mais, fin juin 2003, Marie-Ascension, 13 ans, se fait enlever à Ciney, dans la rue où elle habite. Dans la camionnette, son ravisseur l’avertit qu’il est pire que Dutroux ! A un feu rouge, la jeune fille parvient à s’échapper, miraculeusement. L’automobiliste qui lui porte secours repère la plaque du psychopathe. En l’arrêtant, la police ne se doute pas encore qu’elle tient un tueur en série.
Pendant un an, Monique Olivier, qui savait tout, gardera le secret, alors qu’il est incarcéré. Le 22 juin 2004, elle finit par craquer. » Il a fallu lui arracher chaque mot, confie l’enquêteur dinantais Jacques Fagnart. Elle tremblait comme si elle allait s’évanouir. Son rôle préféré. Je ne l’ai jamais vue pleurer, même quand elle a donné les détails les plus scabreux. » C’est elle, l' » ogresse des Ardennes « . La véritable clé du procès.
Thierry Denoël et Marie Huret
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