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Que cache la fermeture probable d’Audi Brussels? Illusions, repreneurs potentiels et direction opaque

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

L’usine Audi Brussels voit son avenir s’écrire en pointillé. La direction assure être à la recherche d’options concrètes. Insuffisant pour convaincre les syndicats, qui manifesteront le 16 septembre. Le lendemain, un conseil d’entreprise extraordinaire marquera la première étape de ce qui s’annonce déjà comme un nouveau conflit social d’envergure. Il rappelle la perte de vitesse de l’industrie belge et européenne.

L’annonce fait rugir tous les moteurs syndicaux. L’usine d’Audi Brussels, à Forest, ne se verra plus attribuer de nouveaux modèles de véhicules à assembler. Pour les travailleurs, la nouvelle est un coup de frein à main brutal, perçu par beaucoup comme synonyme de stop définitif.

Spécialisé dans l’assemblage de véhicules, le site n’a désormais que peu de perspectives sur lesquelles se reposer. Ces dernières avaient déjà été fortement réduites début juillet, lorsque la direction allemande avait annoncé l’arrêt de la production du modèle électrique Q8 e-tron.

Audi Brussels: deux pistes concrètes

Malgré ce double coup de semonce, la direction d’Audi Brussels conteste le fatalisme ambiant. Elle assure rechercher plusieurs investisseurs potentiels pour maintenir un maximum d’emplois. «Il ne s’agit pas d’une fermeture définitive», assure Peter D’hoore, porte-parole d’Audi Brussels.

Si la production d’une voiture du groupe Volkswagen est en effet exclue, il reste deux autres options claires sur la table. «Primo, nous parlons actuellement avec des investisseurs potentiels, au sens large du terme. Il peut s’agir d’un autre constructeur, mais aussi d’un industriel qui ne fait pas partie du monde automobile. L’autre scénario verrait l’introduction de différents projets sur le site, avec notamment la production de pièces détachées pour une autre usine de Volkswagen.»

Nous parlons actuellement avec des investisseurs potentiels, au sens large du terme.

Peter D’hoore, porte-parole d’Audi Brussels

Certaines pistes sont visiblement déjà concrètes. Elles seront évoquées avec les partenaires sociaux lors du prochain conseil d’entreprise extraordinaire, prévu le 17 septembre. La volonté de la direction «reste de maintenir un maximum d’emplois», mais «ne peut pas donner de chiffres précis» à l’heure actuelle. A la question de savoir si les travailleurs peuvent s’attendre à une nouvelle positive, la direction répond «que le processus prendra le temps nécessaire, selon les phases de la loi Renault».

Audi Brussels: l’assemblage ou rien?

Le groupe Dumarey (anciennement Punch Metals International) pourrait faire partie de la liste des candidats potentiels, selon nos informations. Dirigée par l’homme d’affaires flamand Guido Dumarey, l’entreprise avait racheté General Motors en France, en 2014. Elle fabrique des pièces détachées, notamment des boites de vitesses. Mais l’option Dumarey (un temps également citée pour la reprise de Van Hool) est loin d’être une évidence. Le groupe fait en effet face à divers problèmes financiers et envisage également des licenciements.

Chez les syndicats, cette tentative d’embrayage de la direction ne passe plus. «La restructuration actuelle en Allemagne complique encore plus la chose, déplore Hillal Sor, secrétaire général des Métallos FGTB. On attend de la direction d’autres alternatives. Avec l’espoir qu’un constructeur d’envergure mondiale soit intéressé par une reprise.»

L’assemblage génèrera toujours plus d’emplois que le traitement de composants.

Grégory Dascotte, représentant permanent FGTB

L’usine Audi Brussels est, dit-on, réputée pour sa bonne performance et ses travailleurs spécialisés dans l’assemblage de voitures. «Il nous paraît dès lors aberrant de ne plus poursuivre dans ce domaine précis. On est évidemment ouvert à l’arrivée d’une autre marque pour poursuivre dans le secteur de l’assemblage», commente Grégory Dascotte, représentant permanent FGTB, qui ajoute que «l’assemblage génèrera toujours plus d’emplois que le traitement de composants.»

Pourquoi Audi boude la Belgique?

Parmi les explications souvent évoquées pour justifier la décision d’Audi Brussels, celle du coût salarial en Belgique revient en tête. «Avec l’indexation automatique des salaires, propre à la Belgique, notre compétitivité est mise à mal par rapport aux autres pays européens, pointe l’économiste Rudy Aernoudt (UGent). Par ailleurs, le marché du travail belge fait partie des plus rigides du monde et, dans le cas d’Audi, la présence d’un centre décisionnel en Belgique fait cruellement défaut.», résume-t-il.

Ainsi, Audi Brussels serait une des usines les plus onéreuses du groupe Volkswagen. Une allégation que réfute Hillal Sor (FGTB). «Selon nos analyses internes, que la direction d’Audi confirme, le site de Bruxelles est en réalité plus compétitif que la majorité des autres sites, y compris en Allemagne. Les frais de personnel représentent environ 8% du coût de revient de la voiture.» Pour le secrétaire général, la volonté de l’entreprise serait surtout «ramener les sous-traitants le plus proche possible des usines.»

Mais pas que. Les surcapacités de production et un déplacement des marchés vers d’autres contrées sont deux autres éléments de bascule. «Notamment le marché de la Q8 e-tron, qui se dirige en grande partie vers les Etats-Unis, dans le cadre du plan Biden qui soutient l’achat de véhicule électrique produit dans le pays», explique Hillal Sor.  

Selon lui, le manque d’investissement dans l’infrastructure publique en Europe (dont le manque d’accès aux matières premières fait souvent grincer des dents) est la source de nombreux problèmes. «Dans ce contexte, le consommateur se retrouve dans l’incertitude face au choix de l’électrique, ce qui pénalise le marché», pointe-t-il.

Manque de vision

Et ce ne sont pas les changements de politique récurrents à l’égard de l’électrique qui aident les clients à se positionner. En Allemagne, les incitants à l’achat d’un véhicule électriques sont supprimés. La Flandre et son prochain gouvernement prennent la même direction. «Des erreurs stratégiques ont été commises, aussi bien au niveau politique qu’industriel. On paie tous ces retards aujourd’hui, et méchamment.»

D’après Rudy Aernoudt, la vision stratégique dans le développement industriel a toujours fait défaut. «L’automobile fuit la Belgique depuis plusieurs années. Sept compagnies automobiles (Ford, Renault, General Motors, etc) avaient leurs quartiers chez nous. Aujourd’hui, il n’en reste plus qu’une, à moitié chinoise (Volvo), chiffre-t-il. Jusqu’en 2004, notre pays était le plus grand assembleur de véhicules du monde, par habitant

Sept compagnies automobiles avaient leurs quartiers chez nous. Aujourd’hui, il n’en reste plus qu’une, à moitié chinoise (Volvo), chiffre-t-il. Jusqu’en 2004, notre pays était le plus grand assembleur de véhicules du monde, par habitant.

Rudy Aernoudt, économiste

La vague chinoise toujours plus forte

Une tendance à la disparition qui risque de s’aggraver puisque désormais, la volonté des industriels chinois est de directement produire sur le Vieux continent. Avec un pied en Europe, la Chine peut skiper les exportations coûteuses. «La marque MG, par exemple, est en train d’investir en Hongrie», rappelle l’économiste.

Les industriels chinois ont pris le virage électrique dès 2010 en investissant massivement dans les nouvelles technologies de mobilité. «La Chine teste des portions d’autoroutes où les voitures électriques peuvent se recharger par induction, tout en roulant. Chez nous, on parle seulement du manque de bornes. Cet exemple donne une idée du gouffre entre la Chine et l’Europe» souligne Grégory Dascotte, représentant permanent FGTB, auparavant délégué syndical chez Audi Brussels.

Et cet écart va se creuser: pour rester implanté en Chine, le groupe Volkswagen a également accepté de racheter une plateforme de voitures chinoises. Se faisant, ils financent également leur développement. Un véritable cercle vicieux que seule la législation européenne semble en mesure d’entraver.

Les travailleurs entre dégoût et colère

Dans ces conditions défavorables, les travailleurs d’Audi Brussels refusent actuellement de reprendre le travail. «Pour certains, dans leurs têtes, c’est la fin», indiquent les syndicats. Un appel massif à manifester le 16 septembre est prévu. Avant cela, des actions de distribution seront organisées le 9 et 10 septembre, notamment chez Volvo (Gand) et chez d’autres industriels wallons. «Entre dégoût, déception et colère, l’espoir n’est plus vraiment présent, regrette Grégory Dascotte. D’ailleurs, plus personne ne semble avoir vraiment confiance dans la «haute» direction, qui a caché la réalité aux travailleurs pendant un long moment.»

Les travailleurs peuvent-ils encore espérer la présence d’Audi à Forest, sous une autre forme? «Peut-être, mais il ne faut pas se faire trop d’illusions sur le futur de la marque en Belgique. A partir du moment où Volkswagen ferme une usine en Allemagne (NDLR: et ce malgré le puissant lobby automobile allemand), il est utopique de croire qu’Audi Brussels restera en vie», tranche enfin Rudy Aernoudt.

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