Le prix du gaz tourne autour de 40 euros/MGw: danger? © Belga image

Prix du gaz et du mazout: les bons réflexes à adopter avant l’hiver

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Dois-je choisir le tarif fixe pour le gaz? Ou vite remplir ma cuve à mazout? Dépendants des bouleversements géopolitiques, les prix des énergies fossiles sont très volatils. Explications et pistes pour faire le bon choix, même si cela relève du pari sportif.

Les fournisseurs de gaz sont très actifs sur les réseaux sociaux ces derniers temps. Ils cherchent à convaincre leurs clients d’opter pour le tarif fixe. Ils jouent sur la crainte de voir le prix du gaz flamber en raison de la guerre entre l’Ukraine et la Russie qui a pris un nouveau tournant. Il est vrai que le mégawattheure a vu sa valeur gonfler en quelques mois dépassant récemment le seuil symbolique de 40 euros à partir duquel on commence à évoquer une crise énergétique. Cela n’a rien à voir avec les sommets atteints en 2022, mais c’est interpellant tout de même. Pour le pétrole, donc le mazout de chauffage et l’essence, on constate le contraire. Les prix ont tendance à chuter depuis le mois de mai, même si on a observé un petit pic en juillet. Aujourd’hui, le prix du baril de Brent est à un niveau quasi semblable à celui d’avant l’invasion russe en Ukraine. Mais cela va-t-il persister?

Aucun économiste ou spécialiste de l’énergie n’a de boule de cristal et ne prendra le risque d’avancer la moindre conjecture précise. Ce qui est certain, c’est que, dans les mois à venir, le prix du gaz dépendra de l’évolution de la crise ukrainienne et celui du pétrole de la crise au Moyen-Orient. Avec tout de même quelques nuances. «L’Europe importe du gaz russe par gazoduc de l’ordre de 200 à 300 térawattheures (TWh) par an, explique Damien Ernst, spécialiste de l’énergie à l’ULiège. Une partie, 120 TWh, arrive par l’Ukraine et le reste par la Turquie. Si Volodymyr Zelensky met fin au contrat qui lie son pays à Gazprom à la fin de l’année, comme il l’a annoncé, cela ne représente certes que 3% du gaz européen, mais les marchés étant très stressés, cela aura des conséquences significatives sur le prix du gaz.»

A la fin de la semaine dernière, Mykhaïlo Podoliak, un conseiller proche du président Zelensky, s’est montré plus rassurant: «Nous remplirons toutes nos obligations contractuelles envers nos partenaires européens», a-t-il déclaré. Les Ukrainiens soufflent le chaud et le froid… «De toute façon, ce n’est qu’une question de temps, car les Américains veulent étouffer entièrement la Russie pour positionner leur gaz GNL (NDLR: transporté par cargo)», continue le Pr. Ernst qui pointe un autre risque: «Nous ne sommes pas à l’abri de frappes sur des infrastructures énergétiques. Le point le plus sensible, ce sont les gazoducs sous-marins qui courent sur 9.000 km entre la Norvège et l’Europe. Qui sait ce que les Russes sont capables de faire, surtout lorsqu’ils sont acculés comme maintenant? Et là, on parle de plus de 1.000 TWh soit un tiers de la consommation totale européenne.»

La Russie continue également d’exporter du GNL vers les pays européens. Une frappe par drones sur le terminal de liquéfaction de gaz entraînerait, ici aussi, une diminution importante des volumes mis sur le marché, avec des hausses de prix à la clé. Bref, pour quel choix opter avec son fournisseurs de gaz avant l’hiver? « S’il n’y a pas de frappes majeures ou de sabotages comme on l’a vu avec les gazoducs Nordstream, le prix du gaz diminuera, considère Damien Ernst. Même au niveau actuel, le tarif variable semble alors plus avantageux, de l’ordre de 20% environ, qu’un tarif fixe. Mais si un des trois risques évoqués ci-dessus se concrétise, le raisonnement ne vaut plus évidemment. Il faut voir si on préfère jouer la prudence ou tenter le coup de la stabilité…»

Pétrole et gaz, même défi

Pour le pétrole, les soubresauts géopolitiques seront aussi déterminants, surtout si les rebelles houthis du Yémen attaquent encore des pétroliers sur la mer Rouge ou des points stratégiques en Arabie saoudite, premier exportateur de brut. La guerre interminable entre Israël et le Hamas n’aide pas à voir les choses de manière optimiste. «Cela dit, le prix du baril est fort bas pour le moment, bien en dessous des 80 dollars depuis plusieurs semaines, constate Bertrand Candelon, professeur d’économiste à l’UCLouvain. On n’avait plus vu cela depuis longtemps. Et on sait que ce ne sera plus le cas si ça dégénère au Moyen-Orient. Mais il n’y a pas que cela. La demande, liée à la croissance et à l’efficience technologique, joue beaucoup aussi sur le prix. Or, la croissance est plutôt faible en Europe et aux Etats-Unis. En Chine également, la consommation d’énergie devrait diminuer car le pays atteint un certain niveau de développement à partir duquel la demande en énergie n’augmente plus, au contraire. Parmi les grands consommateurs, il y a encore l’Inde dont la demande va rester élevée.»

L’économiste pointe aussi le fait que, depuis plusieurs années, de plus en plus d’acheteurs ou vendeurs de pétrole signent des contrats de couverture contre les fluctuations des prix du pétrole en s’engageant sur les marchés des produits dérivés du pétrole. «Cela réduit les risques économiques, explique-t-il. C’est un vieux système qui existait déjà pour le riz au XVIe siècle et qui, pour le pétrole, réduit l’influence de l’Opep sur les marchés.» Par ailleurs, on assiste à une reconfiguration progressive des marchés pétroliers. «L’Opep se tourne de plus en plus vers les pays d’Asie, pour lesquels elle baisse les prix, et perd de la puissance dans le reste du monde, analyse le Pr. Ernst. Les nouvelles capacités américaines, du nord comme du sud, avec le Venezuela et le Brésil, ou même centrale, avec le Mexique, rendent le continent excédentaire. L’Europe pourrait survivre en approvisionnement d’or noir juste avec ce bassin atlantique. Je pense que d’ici à cinq ans, le pétrole du Moyen-Orient ne sera plus significatif.»

Fort de cette analyse, peut-on encore attendre avant de remplir sa cuve à mazout? A nouveau, le pari dépend de l’évolution géopolitique, y compris, ici encore, au niveau de la Russie qui exporte son pétrole via le port de Novorossiysk sur la mer Noire. «Si les Ukrainiens bombardaient cette installation portuaire stratégique, ce serait plus de deux millions de barils en moins, chaque jour, sur les marchés, soit entre 2% et 3% seulement du total, souligne Damien Ernst. Mais ce serait suffisant pour faire paniquer les négociants du pétrole et gonfler le prix du baril.»

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