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L’argent fait le bonheur… jusqu’à un certain point: pourquoi le bien-être plafonne à partir d’un certain revenu

Thomas Bernard
Thomas Bernard Journaliste et éditeur multimédia au Vif

Le confort d’une vie sans problème d’argent augmente assurément le bien-être. Sondés, les Belges les plus aisés se disent globalement plus heureux que les autres. Mais au-delà d’un certain seuil, l’effet s’estompe pour certains critères mesurés. Décryptage.

Les Belges ayant les revenus les plus élevés sont plutôt satisfaits de leur vie, merci pour eux. C’est l’un des chiffres du dernier baromètre de Statbel, l’office belge de statistiques, de suivi trimestriel des conditions de vie en Belgique.

Parmi la catégorie de personnes gagnant plus que 80% du reste de la population, un tiers s’octroie une note minimale de huit sur une échelle de dix pour évaluer leurs conditions de vie: situation financière, relations et satisfaction générale à l’égard de l’existence.

La vie est-elle donc forcément plus douce en ayant les moyens ? Assurément, ne pas se soucier de l’argent, n’avoir aucun problème à joindre les deux bouts en fin de mois, permet de supprimer des facteurs de stress et des contraintes. Cela permet de s’offrir plus facilement des biens, de manger à sa faim, d’avoir des loisirs, de partir en vacances, de se soigner, de voir des gens.

Les réponses détaillées des sondés font apparaître un mouvement net: avoir plus de revenus augmente les déclarations positives et donc la mesure de conditions de vie plus favorables. L’argent fait bien le bonheur. Mais ce mouvement s’estompe, hoquette un peu, entre le passage du 4e quintile de revenus au 5e quintile. Les quintiles séparent la population en cinq groupes selon leurs revenus, représentant chaque fois un cinquième de la population, ici celle des 16-74 ans. Le 5e quintile désigne donc les 20% des Belges les plus riches, le 4e quintile étant la catégorie juste en-dessous.

Ce mouvement à la hausse des indicateurs, avant l’arrêt dans le 5e quintile, se retrouve notamment pour la mesure de la solitude. Quelque 7% des plus aisés disent se sentir seuls «tout le temps» ou «la plupart du temps», alors que la diminution se marque entre les personnes aux revenus les plus faibles (12,8%) et le 4e quintile (6,6%).

Idem pour la question «vous êtes-vous senti heureux au cours des quatre dernières semaines ?». Le taux augmente du premier au quatrième quintile, puis plafonne. La qualité des relations personnelles enregistre la même chose.

«Que la mesure des indicateurs plafonne est inévitable, constate François Maniquet, professeur d’économie à l’UCLouvain et chercheur au LISER (Luxembourg Institute of Socio-Economic Research). Le revenu n’a pas de borne. Vous pouvez toujours gagner plus. Mais si vous étiez déjà pleinement satisfait de votre situation concernant un indicateur qui est fermé, vous ne pourrez pas vous évaluer à onze sur dix pour montrer une évolution. Dès le départ, il y a donc un problème plutôt statistique pour étudier ces questions en corrélation avec le revenu.»

L’âge et la santé

Les revenus influencent une partie du bonheur ressenti, c’est une évidence. Mais le coauteur du livre «En faut-il peu pour être heureux ?» (Anthemis, 2019) rappelle que la question possède de nombreuses facettes. «Le revenu est souvent corrélé à d’autres variables, comme l’âge par exemple. Les personnes plus âgées tendent à avoir des revenus plus élevés en raison de promotions et d’une progression de carrière. Cependant, avec l’âge viennent aussi des problèmes de santé et des changements dans d’autres aspects de la vie. Cela peut aussi impacter la perception du bonheur», détaille-t-il.

Une affirmation que confirme l’enquête de Statbel, qui détaille également ses observations par tranche d’âge et montre bien un tassement de certains indicateurs chez les plus de 65 ans.

Mesurer le bien-être pour évaluer les politiques sociales

La perception subjective du bonheur est également fortement influencées par les aspirations, détaille encore le professeur. «Les personnes comparent leur vie non pas de manière absolue, mais par rapport à ce qui était attendu et espéré d’eux, souvent lié leur milieu familial et social. Les attentes sont parfois plus grandes dans des milieux plus aisées et donc plus difficiles à rencontrer. Ce qui influencera la perception que j’ai de ma réussite et mon sentiment de bonheur et d’accomplissement.»

Le bonheur n’est donc pas qu’une question d’argent, mais englobe d’autres réalités, corrélées aux revenus ou pas. Vouloir gagner plus pour être plus heureux est donc probablement réducteur. Cela rejoint la conclusion d’une autre étude de Princeton, qui avait fait réagir en 2010, détaillant qu’une augmentation des revenus rendrait plus heureux jusqu’à 75.000 dollars par an (environ 63.000 euros), mais qu’au-delà de cette somme, aucune différence n’était plus observée.

Associer simplement bonheur et revenus ne montrera qu’une facette d’un plus large ensemble. Si la mesure d’une forme de bien-être reste essentielle, elle doit se faire sur des indicateurs objectivables, notamment afin d’évaluer les politiques sociales. «La simple déclaration d’une opinion sur son niveau de bien-être ne peut évidemment pas guider des décisions prises pour la société dans son ensemble. Si les plus aisés se déclarent subjectivement plus malheureux, ce n’est pas pour cela qu’il faut forcément leur venir en aide. Ce que l’économie cherche quand elle s’intéresse au bonheur, c’est plutôt créer une mesure du bien-être qui est comparable entre individus et qui permet d’identifier les plus pauvres, ceux qui sont le plus dans le besoin de ce point de vue», conclut François Maniquet.

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