Audi Forest pâtit de difficultés cycliques particulièrement importantes, surtout en cette année 2024. © BELGA

Concurrence hongroise, «jeunes moins investis» et conséquence de l’électrique: comprendre la restructuration d’Audi Brussels

En crise chronique depuis des années, l’usine d’Audi à Forest accuse le coup en 2024. Les économistes ne s’en étonnent pas, vu la recomposition de l’industrie automobile européenne qui promet de nombreuses années d’instabilités.

1.250 ouvriers et 260 employés licenciés d’ici fin octobre. C’est le bilan de la restructuration présentée par Audi Brussels mercredi, ce qui représente près de la moitié de ses effectifs dans son usine de Forest.

«Un drame social», selon l’échevin forestois Alain Mugabo (Ecolo). Mais cela pourrait n’être que le début. Car si les économies s’avèrent insuffisantes, Audi prévoit déjà de licencier 820 ouvriers et 290 employés supplémentaires en mai 2025. Dans le pire des cas, une fermeture est prévue pour fin 2025, avec près de 3.000 emplois supprimés. Sans compter l’impact sur les sous-traitants. Selon le syndicat chrétien ACV Metea, rien que chez les cinq fournisseurs principaux d’Audi Brussels, 1.000 personnes pourraient indirectement faire les frais de cette restructuration.

Le président du PTB Raoul Hedebouw a dénoncé «une décision inacceptable» et appelle le politique à «mettre tout son poids dans la balance». Mais les autorités peuvent-elles vraiment rattraper le coup? Indéniablement, elles ont un rôle à jouer. Mais le contexte global complique la donne.

Une stratégie belge émoussée

Ce n’est pas la première fois que les difficultés de l’usine de Forest débarquent dans l’actualité. L’économiste Bruno Colmant, membre de l’Académie royale de Belgique, se souvient ainsi de la crise de 2007, lorsqu’il était chef de cabinet du ministre des Finances. «Guy Verhofstadt était intervenu en personne et ce de manière très active en recevant les patrons allemands», se remémore-t-il. Au milieu des années 2010, rebelote. Charles Michel se prévalait alors d’avoir trouvé un accord, avec un soutien massif à Audi sous forme d’aides à la formation des travailleurs et d’avantages fiscaux.

Début 2024, Alexander De Croo a tenté d’adapter la recette de son prédécesseur libéral: aider à améliorer la productivité pour que l’usine garde une plus-value. D’après Stephan De Muelenaere, secrétaire permanent CGSLB, les jeunes travailleurs sont par exemple «moins investis, ponctuels, perfectionnistes et impliqués dans leur travail que leurs aînés». Il y aurait donc une marge de progression de ce côté-là.

Mais manifestement, les propositions des autorités ne suffisent plus à convaincre la société d’Ingolstadt, constate Philippe Ledent, économiste chez ING. «Si vous avez un produit qui se vend bien, vous pouvez vous permettre de ne pas être très compétitif», fait-il remarquer. Le problème, c’est que les ventes de la Q8 électrique, produite à Forest, sont en berne.

«Cela pose la question de savoir si on peut toujours soutenir une entreprise avec des aides publiques, se demande Bruno Colmant. Puis avoir un gouvernement en affaires courantes avec un Premier ministre qui ne sera pas dans la future coalition, ça n’aide pas.»

Forest contre les autres usines Audi

Bruno Colmant se montre sceptique sur force de frappe du gouvernement. «Quand un secteur souffre, ce n’est pas ça qui va le guérir. Le problème ici est structurel, pointe-il. Les entreprises doivent tout d’abord avoir aujourd’hui une filière thermique et électrique à la fois, ce qui les oblige à doubler leurs capacités de production. Puis l’électrique ne marche pas aussi bien qu’escompté, alors que les importations de voitures chinoises augmentent. Conséquence: les géants européens doivent rationaliser et mettre en concurrence leurs usines

“L’importance de cette concurrence pour Forest est immense”

Bruno Colmant, économiste membre de l’Académie royale de Belgique

Forest a en ce sens un grand adversaire: la filiale Audi Hungaria, basée à Györ, en Hongrie. Pour attirer l’entreprise, le Premier ministre Viktor Orbán a multiplié les aides. L’impôt sur les sociétés y est le plus faible d’Europe. Les salaires sont inférieurs, même comparés à d’autres pays de l’Est, et leur hausse reste relative, bien loin du système d’indexation belge.

Cela suffit pour faire de la Hongrie le nouvel eldorado de l’automobile, que ce soit pour Mercedes, BMW, Suzuki ou Opel. En 2023, Audi Hungaria a atteint un record avec 177.775 véhicules produits, dont 114.058 électriques. M. Orbán a même réussi à attirer dans son pays le géant chinois de la voiture électrique, BYD, qui doit bientôt y ouvrir sa première usine européenne.

«L’importance de cette concurrence pour Forest est immense», résume Bruno Colmant, qui prévoit quinze à 20 ans de restructurations dans tout le secteur européen. D’autres usines comme à Ingolstadt et en Pologne pourraient d’ailleurs également concurrencer Forest, ajoute Stephan De Muelenaere. Les trois experts sont d’accord pour dire qu’en ce moment, Audi est en train de peser le pour et le contre de chaque implantation, afin de savoir quelle «candidature» sera la plus intéressante pour l’entreprise.

Que faire maintenant?

Dans ce contexte, la Belgique doit faire valoir ses avantages pour éviter de répéter les mésaventures de Forest. «C’est toujours comme un crash aérien où vous n’avez jamais une seule cause mais une conjonction, illustre Philippe Ledent. La Belgique n’est pas responsable du fait que Biden essaye d’attirer ce type d’entreprises sur le sol américain, ni des choix opérés par Audi. Mais il ne faut pas non plus entièrement se dédouaner. Le coût salarial est très élevé, le climat social pas toujours simple, les régulations nombreuses et la culture entrepreneuriale peu installée. Tout cela contribue au crash. Si on ne règle pas ça, on risque d’avoir d’autres exemples comme Audi

Et de citer la restructuration en mars dernier chez Van Hool, avec près de 1.100 emplois perdus. «Heureusement, beaucoup de travailleurs ont déjà retrouvé un job ailleurs, parce qu’il y a plein d’entreprises florissantes à côté. Une économie se transforme en permanence, mais cela nécessite d’avoir un plan B», note Philippe Ledent.

Vu le coût d’une délocalisation, l’économiste ne croit toutefois pas à une fermeture totale d’Audi Brussels. Stephan De Muelenaere non plus. Il précise que la restructuration pourrait toucher en priorité les plus de 55 ans, et il espère que l’usine pourra rebondir grâce à un nouveau produit, successeur de la Q8 électrique. Une page blanche qui ne pourrait être entamée qu’en 2025, voire 2027, précise-t-il. Entretemps, comment tenir le coup? «On ne pourra pas mettre les travailleurs au chômage technique aussi longtemps. C’est clair, il faudra trouver quelque chose».

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