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Une étude menée à propos de la plateforme Yelp montre que les notes positives peuvent avoir des conséquences directes sur le chiffre d’affaires. © BELGA IMAGE

Restos, hôtels… médecins: la folie des avis en ligne, pour le meilleur et pour le pire (analyse)

Ludivine Ponciau
Ludivine Ponciau Journaliste au Vif

Produits, services, professions libérales, institutions, tout peut être évalué en ligne. Des avis qui valent de l’or, mais peuvent flinguer une réputation.

«Nora, comment s’est passé votre séjour chez Tidiane?» La clé vient à peine d’être glissée dans le boîtier sécurisé que le smartphone vibre. Il est déjà temps d’évaluer le charme et le confort de ce petit chalet niché au fond des bois. Un premier rappel. Puis un deuxième… «Tidiane attend sa note.» Location entre particuliers, hôtel, resto, livraison à domicile, covoiturage, vente en ligne, propreté des toilettes, nouvelle série Netflix… plus aucun produit ni service ne semble échapper à la tendance, celle de tout noter, tout évaluer, tout commenter, louanger ou dézinguer. Celle des étoiles, des pouces levés et des smileys.

«Cette tendance s’est accentuée vers les années 2004, 2005, avec l’avènement du Web 2.0, qui marque le début de la production de contenus par les internautes eux-mêmes. Ça a commencé avec les sites de voyages tels que Tripadvisor qui, jusque-là, étaient classés en fonction du nombre d’étoiles. Le système reflétait bien le type de services que proposait l’hôtel mais n’apportait aucune information sur la qualité du séjour», retrace Quentin Van Donghen, maître de conférences en marketing (ULB).

Si le consommateur note toujours plus, c’est parce qu’il achète toujours plus en ligne. Selon le dernier baromètre de la Fédération belge e-business (Becom), les achats en ligne ont augmenté de 10,7% en Belgique en 2023 par rapport à l’année antérieure. Au total, les Belges ont dépensé 16,3 milliards d’euros en ligne, dont 5,5 milliards sur des plateformes étrangères. En cinq ans, le montant annuel total des achats a augmenté de 4,8 milliards d’euros.

Cette fulgurante croissance du commerce digital s’accompagne d’une implication accrue de l’acheteur dans le système d’évaluation des produits et des services. On attend du consommateur-reviewer non seulement qu’il revienne sur son «expérience» mais aussi qu’il prenne position quant à la société à l’origine de celle-ci, et éventuellement sur les fonctionnalités de la plateforme de réservation par laquelle il est passé. Cela ne lui prendra que quelques minutes. Sauf qu’additionnées, ces sollicitations sont bien plus chronophages qu’elles n’y paraissent.

Elles répondraient pourtant à la demande des consommateurs. Celle de se sentir acteur du système et d’entrer dans une dynamique relationnelle avec les autres évaluateurs. Leurs avis, peut-on lire dans la revue Réseaux, forment un «discours sur la qualité du produit, qui vient compléter et concurrencer les nombreuses formes de qualification qui accompagnent déjà les biens de consommation: labels, normes, marques, slogans publicitaires, informations sur la composition, avis d’experts, guides, etc.» Mieux encore, le consommateur en retirerait une forme de gratification personnelle, associée au plaisir d’écrire pour relater son expérience.

Les avis trop dithyrambiques peuvent se heurter à un seuil de crédibilité.

Guerre des étoiles

C’est aussi ce que montre de façon plus empirique une étude américaine menée par Brightlocal, spécialiste du marketing local, auprès d’un millier d’utilisateurs de services en ligne et publiée en mars 2024. Elle confirme que le consommateur ne se fie plus uniquement aux gages de qualité qu’on lui présente et entend collecter ses propres informations. Quand il doit poser un choix, un consommateur sur trois vérifie les évaluations subjectives sur au moins deux sites. Un sur quatre prend même la peine de vérifier sur un troisième. Quatre-vingts pour cent de ceux qui mènent ces recherches le font sur Google, 45% sur Facebook. L’étude précise également que le consommateur, lorsqu’il consulte les avis sur un commerce ou un établissement dans lequel il envisage de se rendre, accorde beaucoup d’importance au fait que le propriétaire du lieu réponde aux avis postés, d’autant plus s’ils sont négatifs.

Il aime également que cette réponse argumentée soit fournie dans les deux ou trois jours. Le fait que les clients décrivent brièvement (les récit longs et détaillés ne retiennent pas l’attention) leur expérience positive, et qu’ils le fassent sans utiliser de pseudo, peut clairement faire pencher la balance en faveur d’une adresse. Trente-sept pour cent des utilisateurs, enfin, ne prêtent pas attention aux enseignes sous lesquelles ne brillent pas au moins quatre étoiles. Un pourcentage en léger recul ces deux dernières années.

Pour le vendeur ou le prestataire de service, ces évaluations profanes sur leur business sont une arme à double tranchant. Les études, éclaire Quentin Van Donghen, montrent que les scores sont particulièrement importants pour le consommateur lorsque celui-ci envisage l’achat d’un produit ou d’un service coûteux ou pour lequel il n’a pas d’expérience antérieure. On sait aussi que l’internaute aime attendre qu’un premier avis soit posté avant de se lancer et qu’en dessous de 20 avis, un commerce semble encore peu crédible. Si le premier avis tarde et, qu’en prime, le client étale son insatisfaction, le lancement risque de s’avérer compliqué. Un système d’autant plus cruel pour les petits indépendants et les commerces locaux qui misent beaucoup sur le bouche-à-oreille, y compris digital.

Pour donner cette impression de succès immédiat, certains vendeurs proposent des bons de réduction ou des avantages en «échange» d’avis qui, dans la plupart des cas, leurs seront particulièrement favorables. Mais gare à l’effet lissage, met en garde le chercheur de l’ULB. Les avis trop dithyrambiques peuvent se heurter à un seuil de crédibilité. Le consommateur a également tendance à «sauter» les avis trop tranchés et les commentaires extrêmes pour se concentrer sur les évaluations plus modérées et argumentées.

Cette légitimité acquise par les adresses dont la note globale dépasse les quatre étoiles peut entraîner des répercussions commerciales immédiates, comme le montre une autre étude, menée par la Harvard Business School. Décrocher une étoile supplémentaire sur la plateforme d’avis Yelp produit une augmentation de 5% à 9% du chiffre d’affaires des restaurants indépendants. Des effets que ne ressentent pas les restaurants affiliés à une chaîne. Dans leur cas, la part de marché a diminué au fur et à mesure que la pénétration de Yelp s’est accrue. Ce qui suggère, note l’auteur, que les avis de consommateurs en ligne se substituent à des formes plus traditionnelles de réputation. Sans surprise cette fois, l’étude indique que les avis négatifs, lorsqu’ils restent sans réponse ou sont gérés incorrectement, peuvent faire fuir les clients potentiels et nuire gravement à la réputation. Ce que l’étude américaine de Brightlocal met également en évidence.

«On observe également une incidence entre les avis positifs sur les tarifs pratiqués, fait encore remarquer Quentin Van Donghen. Une différence de prix pour un même produit vendu sur Amazon mais par deux fournisseurs peut être justifiée par le fait qu’un des deux est mieux noté. Le surplus est en réalité le coût de la sécurité.»

On assiste à une prise de conscience du fait que toutes ces évaluations peuvent être biaisées.

Nouvelles cibles

Depuis quelques années, on observe un effet de contagion des avis profanes au sujet des biens et des services vers d’autres sphères non marchandes, notamment les institutions et les soins de santé. Avocats, médecins, kinés, conducteurs BlaBlaCar, profs particuliers, écoles, administrations communales… La liste des secteurs et des professions soumises au verdict populaire ne cesse de s’allonger.

«Il existe une tendance générale à la montée en puissance de l’évaluation, avec une extension des cibles: les territoires, les institutions, les organisations et les individus», confirmait Pierre-Marie Chauvin, enseignant-chercheur en sociologie, vice-président de Sorbonne-Université et spécialiste des réputations, au quotidien Le Parisien, en octobre 2022.

Avec la tentation, quand il s’agit de profession libérale, de ne plus sanctionner la prestation mais bien le prestataire, la personnalité plutôt que le professionnalisme?

Un cinglant «Pas à l’écoute. Sans empathie», «Donne l’impression d’être juste un numéro», pour ce médecin bruxellois crédité d’une petit 1.9 sur 5. Un laconique «fait partie de ces avocats qui appartiennent à l’industrie du droit…», pour cet homme de loi namurois qu’un autre client taxera de «mal poli».

«On constate une montée en puissance de l’évaluation, avec une extension des cibles.»

Contrairement à un produit, il n’existe pas de standards pour évaluer une personne ou un service. Mais les internautes, estime Quentin Van Donghen, ont développé, avec l’expérience, une certaine maturité. On assiste à une prise de conscience du fait que toutes ces évaluations peuvent être biaisées.

Depuis mai 2022, une directive européenne impose au vendeur de contrôler la fiabilité des avis sur son site et réprimande la pratique des faux avis ou la modification d’avis réels. Redoutablement efficace lorsqu’il s’agit de tromper l’œil et de jouer avec notre discernement, l’intelligence artificielle est aussi capable de traquer ces mêmes contrefaçons. Des logiciels permettent d’analyser la structure des phrases ainsi que les images postées par les reviewers afin d’en détecter les similitudes et de juger de la véracité des évaluations. A l’avenir, ce type d’outil pourrait être intégré directement dans les navigateurs Web. Combien d’étoiles vaudra cette nouvelle expérience?

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