Bouli Lanners
© BELGA IMAGE

Grand portrait de Bouli Lanners: «La moindre critique me flingue»

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

A 58 ans, le réalisateur et acteur liégeois met sa vie cinématographique en pause. Il aspire à inventer des histoires de marionnettes, à peindre, à cultiver son potager. Mais aussi à consacrer du temps à ses proches et noyer ses inquiétudes sur des sentiers de randonnée.

«Pourquoi je fais tout ça?, interroge l’homme voûté, de sa voix si particulière. Parce que vivre, ce n’est pas que respirer.» L’immense Michael Lonsdale fixe des yeux son partenaire de jeu, Bouli Lanners. On quitterait, à ce moment, la fiction du film (1) pour la vraie vie que rien n’y changerait: les mots sont justes. Un point, c’est tout.

On rembobine? Philippe Lanners naît en mai 1965, à Moresnet-Chapelle. Dans ce village peuplé de mineurs, à deux pas des frontières allemande et néerlandaise, on parle le français, le wallon, l’allemand et le patois local, le Platdutch. Philippe a une grande sœur, Liliane, de quatre ans son aînée. «Je lui dois beaucoup, reconnaît-il. Elle a aidé mes parents à ne pas avoir trop peur de ce que j’allais devenir et à me laisser prendre mon envol.» Son père, Joseph, était bûcheron avant d’être douanier. Sa maman, Madeleine, est femme d’ouvrage et travaille en Allemagne. L’un comme l’autre ont vécu dans leurs tripes la bataille des Ardennes, lors de laquelle ils ont tout perdu – ferme, bétail, village. Tout sans doute, sauf la foi.

Philippe est un enfant joyeux et libre. A 13 ans, ses parents le laissent rejoindre Bastogne à vélo, seul, en trois jours. ll nage tous les matins, avant l’école, dans le club fondé par son père. «Tous mes potes étaient des gars des rues, se souvient-il. C’était ma normalité. Nos parents nous aimaient, même s’ils ne l’ont jamais dit.» Il rêve de jouer de la cornemuse: l’appel de l’Ecosse, déjà, qui ne lâchera plus. Ses vacances, il les passe auprès de ses grands-parents maternels, petits fermiers de la région de Bastogne. Plus tard, il baptisera sa péniche du prénom de sa grand-mère, Rosa. Chez ces aïeux-là, il n’y a rien ou pas grand-chose, mais cela n’empêche pas d’être heureux: pas d’eau chaude, pas de frigo, pas de salle de bains…

Dans un tel dénuement, tout a de la valeur, jusqu’au grain de blé que l’acteur porte tatoué sur son épaule. Pour ne pas oublier. On ne jette pas, on ne gaspille rien. Bouli Lanners porte toujours en lui l’empreinte de ces adultes blessés, en deux générations, par le manque et la perte injuste de tout. Aujourd’hui, avec son épouse, la costumière et metteuse en scène Elise Ancion, ils tentent de vivre en autarcie. Ils se chauffent au bois et cultivent un vaste potager dont ils consomment les légumes. Chez eux, il n’y a pas d’autres appareils ménagers qu’un frigo, un lave-linge et une platine vinyle. Leur cave est pleine. On ne sait jamais…

Au bout d’une carrière de plus de 30 ans qui l’a valorisé comme il se doit, Bouli Lanners conserve un rapport d’écureuil à l’argent. «Il ne cherche pas à s’enrichir, mais il garde l’anxiété d’en manquer. En avoir le rassure», affirme son producteur, Jacques-Henri Bronckart. A l’exception d’un épisode d’Astérix, ce n’est jamais l’argent qui a motivé ses choix d’acteur. Mais il ne recommencerait pour rien au monde un tournage comme celui-là. «J’ai commencé à gagner de l’argent vers 45 ans, dit-il. J’aurai au moins réussi à mettre ma femme et ma famille à l’abri. Ca me permet d’être serein.»

Dans la famille des Lanners, on se rend chaque semaine à la messe. Aujourd’hui, il n’est plus catholique du tout. «En postulant que l’homme était au-dessus de tout le reste, Dieu a justifié le capitalisme puisqu’il autorisait l’humain à piller la terre.» Ce que Bouli ne peut admettre. Il se dit plutôt paléochrétien, avec un côté animiste, et une foi intacte, présente dans tout ce qu’il est et tout ce qu’il fait.

Adolescent, il étudie dans un établissement catholique, en option maths fortes, faute de choix. Dans ce collège qui l’emprisonne – du moins ainsi le ressent-il – il n’y a que les cours d’histoire qui le rendent heureux. Entré sur le tard chez les scouts, il est totémisé Eléphanteau feinteur.

Dans son théâtre de marionnettes, Bouli Lanners fait tout ce qu’il aime: peindre, écrire des histoires, profiter du contact avec le public. © BELGA IMAGE

La dèche, et pourtant la fête

A 18 ans, Bouli Lanners part étudier la bande dessinée aux Beaux-Arts de Liège. Il aurait opté pour la peinture si sa maman n’avait craint autant qu’il finisse avec une oreille en moins, en artiste maudit. Lui ne veut pas d’une vie contrainte comme l’a été celle de son père: il veut être peintre. A Liège, Philippe Lanners s’installe dans une péniche qu’il retape lui-même et dans laquelle il refuse d’ôter les toiles d’araignées. Il croise des tas de gens, des bons et des moins bons. «On apprend à distinguer les uns des autres.» Et découvre la littérature.

Deux ans plus tard, il est renvoyé des Beaux-Arts pour absentéisme et insubordination. Il ne l’avouera pas à ses parents. «Ensuite, je suis parti en sucette pendant des années, avec des moments très noirs et des moments très gais. Mais cela m’a construit», résume-t-il. La peinture sera mise au placard jusqu’au confinement imposé par le Covid. A Liège, Philippe Lanners découvre la scène musicale alternative, plutôt punk et garage, la faune qui remplit les bistros enfumés et le travail de barman. Une vie de dèche et de souffrance. Il pèse alors 40 kilos de plus qu’aujourd’hui, ce qui lui vaut d’être appelé Bouli, un surnom qu’il n’aime pas mais auquel il se plie. Il rencontre des gens qui travaillent à la télévision, devient constructeur de décors, menuisier, électricien, régisseur puis, peu à peu, passe devant la caméra. On le voit, pigiste à la RTBF, déguisé en cœur, personnage peu à peu récurrent dans les sketchs des Snuls puis, en 1990, dans Toto le Héros, de Jaco Van Dormael.

En 1998, Bouli rencontre Elise Ancion. Elle est timide, lui aussi. Il n’imagine pas pouvoir plaire, ni ne se sent digne d’elle. C’est elle qui fait le premier pas, deux ans plus tard, à l’issue d’une mémorable visite dans un élevage d’escargots. Ils ne se sont plus quittés depuis, ni dans la vie professionnelle ni dans la vraie vie. Au point d’ouvrir ensemble, il y a quelques mois, un théâtre de marionnettes pour adultes à Liège, hérité du père d’Elise. «Elise est une facette de Bouli, décrypte la réalisatrice et scénariste Delphine Noels. Il n’est pas que Bouli, il est aussi Elise. Je les perçois comme une entité, pensant et créant à deux.»

Au décès de son père, en 1998, Bouli Lanners a 33 ans. Un moment de fracture et de douleur. «Nous n’étions pas très proches, nous n’avions pas réglé un certain nombre de choses entre nous et d’un coup, il fut trop tard. Mon père ne m’a connu, adulte, qu’en looser. Dommage. On aurait pu partager de bons moments, après…» Chagrin et déclic. Alors qu’il a déjà organisé un festival du film lourd et d’essai (sic), où sont projetés de mauvais films d’entreprise remontés pour être encore plus mauvais, donc plus drôles, Bouli Lanners réalise un premier court métrage de fiction, Travellinckx, au départ d’images Super 8 achetées aux puces. «J’ai visionné les rushs et ça m’a épaté», se souvient Jacques-Henri Bronckart. Une fois produit, notamment grâce à un système de crowdfunding avant l’heure, le film est projeté dans plusieurs festivals. Achevé en 1999, il est dédié au père de Bouli. Ainsi, l’ancien barman devient-il réalisateur, en autodidacte.

«Le doute me fait avancer. Mais la moindre critique me flingue.»

Deux ans plus tard sort son second court métrage, Muno. «On sentait qu’il y avait chez lui un vrai talent de réalisateur et de directeur d’acteurs, se souvient le producteur et ami Jean-Yves Roubin. En tant qu’acteur, Bouli s’est rapidement démarqué de son côté Snuls pour endosser des rôles plus dramatiques et de composition.»

Même si, se rappelle Dany Habran, cofondateur des salles de cinéma Les Grignoux, à Liège, Bouli affirmait souvent n’avoir pas sa place dans le milieu du cinéma, il ne le quittera pas avant longtemps, ni comme réalisateur ni comme acteur. «A ses débuts, il avait un côté tourmenté et très peu sûr de lui. Il fallait le rassurer», raconte le photographe et ami Dominique Houcmant. Son producteur a dû le pousser à réaliser un premier long métrage pour qu’il l’ose: il ne s’en sentait pas légitime. Encore aujourd’hui, Philippe Lanners doute. «Un peu moins, affirme-t-il. Le doute me fait avancer. Mais la moindre critique me flingue.»

Jongler entre quatorze voix

En relançant le théâtre de marionnettes de son beau-père, Bouli Lanners n’a, en revanche, pas douté. Il s’y sent à sa place. «Il y fait tout ce qu’il aime, éclaire Elise Ancion, écrire des histoires, peindre des marionnettes, profiter du contact avec le public et même gérer le bar. En plus, on ne le voit pas. Il aurait trop le trac pour jouer au théâtre.» Pour faire de la place à ce projet, il s’est mis en congé du monde du cinéma. Temporairement, sans doute. Mais qui sait? Epuisé par le tournage de la série Hippocrate, lassé d’un cinéma devenu industrie, il a annoncé faire un pas de côté par rapport à la réalisation, un processus lourd, lent et stressant. Et prendre au moins deux ans de sa vie pour ne plus jouer dans un film. Il n’a plus le feu sacré. Or, il lui faut la braise, à l’intérieur. Il fonctionne à l’instinct et ne triche pas.

Sans doute a-t-il aussi envie de profiter d’un temps qui lui semble plus précieux que jamais. Quelques sérieux ennuis de santé lui ont rappelé – s’il en avait besoin – la vulnérabilité des humains et le tranchant des jours qui passent. Alors, il a révélé avoir été victime de harcèlement. Puis il a assuré la présidence de la cérémonie des Magritte, pour dire merci et pourfendre «le harcèlement, l’abus de pouvoir, le viol qui ne peuvent plus faire partie de ce métier ni d’aucun autre». Ensuite, il a repris le chemin de Liège et de ce minuscule espace dans lequel il assure les quatorze voix de ses marionnettes. Autant de personnages qui contentent sa soif d’histoire(s), de folklore et de transmission. Surtout, Bouli Lanners s’amuse. Comme un gamin.

«On démarre au quart de tour, on peut rire de n’importe quoi, même de jantes en alu.»

Ce qu’il est encore, à sa façon. «Parfois, quand je lui ouvre ma porte, il fait des grimaces et on est tout de suite dans la blague», sourit son ami et voisin Vincent Solheid, originaire du même coin que lui. Et le goût des choses simples: une soirée autour d’un feu dans le jardin, des heures passées au-dehors, à regarder les gens, un repas d’anniversaire dans un parc, frites et bières comprises. «On démarre au quart de tour et on peut rire pendant une demi-heure de n’importe quoi, même de jantes en alu», illustre Vincent Solheid. Des sachets de bêtises, comme ils les appellent eux-mêmes.

Dans la vie de Bouli Lanners, il y a donc beaucoup de rires, de ceux qui griment le désespoir. Car l’homme est inquiet pour l’avenir de la planète et des inepties qui y sont commises chaque jour. Il ne se fait pas d’illusions sur la sortie du capitalisme, pourtant nécessaire à ses yeux. Mais il ne renonce pas pour autant. Avec un voisin, il a racheté des terres autour de chez lui pour éviter qu’elles soient construites, donc détruites.

Il s’engage, participe à des manifestations, se mobilise, que ce soit pour combattre un projet immobilier inepte, critiquer l’action du gouvernement en temps de Covid, ou dénoncer le recours à l’énergie nucléaire par le biais du mouvement Réveil Anti Nucléaire (RAN). Ce qui lui vaut des menaces de mort, pour lui et son épouse. Quelques-unes de ses sorties impatientes sur les réseaux sociaux à ce sujet ont tourné en solides accrochages, notamment avec des ministres libéraux ou avec le scientifique Damien Ernst, défenseur du nucléaire. «Son phrasé antinucléaire ne tient pas la route, assène ce dernier. Il fait du militantisme comme si c’était du cinéma. C’est son boulot et il le fait bien, mais il se trompe de combat. Et il commet des dégâts en répandant des mensonges auprès de sa large audience.» L’homme persiste et signe. Hormis la mort, «peut-être moins qu’avant», et la déchéance physique et intellectuelle, pas grand-chose ne lui fait peur. Il lui arrive de courir, sabre à la main, après des gredins ou des agresseurs de femmes. Oui, il peut être sanguin et monter dans les tours. Mais c’est d’abord un ami, capable de consoler un proche tout juste cambriolé, à 3 heures du matin.

Bouli Lanners est bien conscient de la force de frappe qu’induit sa notoriété. «A Liège, les élus font attention à ce qu’il dénonce», assure Dominique Houcmant. D’ailleurs, plusieurs partis ont tenté, en vain, de le débaucher. Les francs-maçons n’ont pas eu plus de succès.

C’est sa notoriété et son entêtement qui lui permettent, lors des inondations de juillet 2021, de dénicher 400 paires de bottes à offrir aux sinistrés. Et des bières, venues des microbrasseries locales, qu’il charge sur son pick-up avant de les distribuer à ceux qui ont tout perdu. Il vient aussi en aide aux pénichards, menacés par la montée des eaux. Adepte d’une forme de décroissance, Bouli Lanners est convaincu que seuls les liens et la solidarité pourront éviter le pire. Et encore…

«Bouli est politique donc, parfois, il est en colère, éclaire Delphine Noels. C’est aussi ce qui fait sa singularité. Il n’a pas peur de monter au créneau pour défendre ses idées, ce qui est courageux parce qu’il a beaucoup à perdre. Peu d’acteurs font ça. Il est capable de percevoir en quoi notre société a toujours une dimension dangereuse, en matière de fascisme ou de racisme, par exemple.» «Lors de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, raconte un de ses amis, il a cru à l’imminence d’un conflit nucléaire. Il nous a envoyé un message pour nous donner rendez-vous à la fontaine de Bastogne. Après, ensemble, on improviserait. Il est à la fois conscient des dangers et dans la dramatisation.»

«Bouli est politique donc, parfois, il est en colère. C’est aussi ce qui fait sa singularité.»

Le chef de clan

«Bouli est un personnage assez complexe, avec beaucoup de couches. Il n’est pas facile à cerner, même par lui», assure Ewin Ryckaert, son monteur. Sous ses airs de gai luron, il couve de vrais questionnements, des angoisses, une évidente recherche de sens. «Il suffit de regarder ses films, résume Jean-Yves Roubin. On y trouve de la douceur mais aussi des paysages tourmentés dans lesquels la lumière se fraie un chemin malgré tout.» Le comédien David Murgia ne dit rien d’autre. «C’est avant tout un marcheur de chemins escarpés, mais il avance toujours vers la lumière. On a l’impression d’une armure chez lui. Pourtant, il y a des trous dedans.»

Bouli Lanners aborde le cinéma à partir de lui, sans se prendre au sérieux. Son cinéma se nourrit de ses failles. «Il peut parfaitement en rire, assure Delphine Noels. Je ne suis pas sûre qu’il cherche à se débarrasser de ses blessures. Il perdrait d’ailleurs à en guérir.»

Ses failles? Un sentiment d’illégitimité, qu’il traîne moins qu’avant. «Par le passé, il a morflé, résume Vincent Solheid. Mais il se répare.» Bouli sait mieux qui il est aujourd’hui et quels sont ses points forts. Son parcours, il l’a franchi échelon après échelon. Et il mesure plus qu’un autre ce que cela représente, dès lors que le succès et la reconnaissance ne sont pas tombés tout cuits du ciel. Il redoute aussi le moindre virus, une hypocondrie assumée. Comme il assume un rapport difficile au corps, ce corps dont il joue, à la fois trésor et contrainte. Il tente désormais d’en prendre soin. Par vagues. Passant du whisky qu’il vénère aux bières sans alcool ou des andouillettes et boulets aux salades de son jardin.

«Par le passé, il a morflé. Mais il se répare.»

Surtout, il aime qu’on l’aime. Pari gagné. Sur les plateaux de ce fédérateur, la vie est plus importante que le cinéma. L’ambiance est presque celle d’une colonie de vacances, même si on y bosse. Bouli veille, en chef de clan doublé d’un gestionnaire des ressources humaines. «Il communique de manière à ne heurter personne, relate Ewin Ryckaert. Il fait tout pour que ça se passe bien.» «Sur ses tournages, confirme l’acteur et réalisateur Albert Dupontel, il règne un mélange d’amusement et de concentration. Les scènes « fortes » le mettent dans une vraie émotion, alors sa concentration est totale et impressionnante.» Ce qui n’empêche pas l’humour. Bouli n’avait-il pas promis de filer un jambon à celui qui trouverait le bon titre pour le film Eldorado? «L’important, avait-il dit, c’est que ma mère s’en souvienne.»

Curieux, à l’écoute, Bouli Lanners est un observateur-né, jusque dans les petits bars où il bavarde. Même si le café est mauvais. Ou les halls des gares menacées de fermeture où ce marcheur fou, collectionneur de cartes d’état-major, s’arrête. Influencé par Wim Wenders, maître du cinéma de l’errance, et adepte d’un cinéma photographique, il filme sans relâche des paysages improbables, tourmentés par les éléments comme par les humains. Et l’eau.

«Sa psychologie est malicieuse, faite de tact et de délicatesse.»

Il peut aller très vite pour écrire un scénario, comme s’il s’était imbibé de son sujet durant les mois qui précèdent. «Son travail est très ouvert, résume son monteur. Il se met à tourner sur la base d’un scénario, puis il change tout pendant le tournage. Pareil en postproduction. C’est un homme qui travaille sans certitudes ni dogmes, il reste créatif tout le temps.» Capable de troquer une scène en piscine contre un plongeon filmé dans un lac croisé par hasard en voiture, Bouli Lanners se laisse inspirer par la dynamique entre les comédiens et les décors. Il n’est ni autoritaire ni dirigiste. «Il laisse l’acteur proposer puis construit en fonction de cette proposition, illustre Albert Dupontel. Sa psychologie est malicieuse, faite de tact et de délicatesse.»

«On veut toujours parler de Bouli-notre-ami, mais c’est un cinéaste qui a apporté beaucoup au cinéma belge, insiste Dany Habran. Il a osé une approche du réel décontractée, avec poésie et authenticité, une sorte de vibration du réel, autour de la bonhommie et de la douleur de personnages blessés. Son cinéma, né dans un mélange de campagnes et d’urbanité, devrait être plus réévalué. Le cinéma belge avait besoin de sa respiration

Les récompenses venues colorer la carrière de Bouli Lanners, notamment un César du meilleur acteur dans un second rôle pour sa prestation dans La Nuit du 12, lui ont fait du bien. Evidemment. Pour autant, il n’aime pas les paillettes. Il lui est arrivé de se faufiler à quatre pattes entre des rangées de fauteuils pour quitter au plus vite une cérémonie des Magritte.

Un César qui donne confiance. © Getty Images

La vie sur la peau

A 58 ans, voilà Bouli Lanners, connu, reconnu et assez fort pour laisser retomber temporairement le rideau du cinéma sur son corps couvert de tatouages, d’une bouteille de whisky à la carte de l’Ecosse, en passant par le prénom de son amoureuse. «Une vraie tapisserie de Bayeux», glisse Sophie Casse, directrice de production. «Une manière de cacher mon corps», corrige-t-il.

Lorsque les représentations de son Théâtre transmissionnaire de la couverture chauffante s’arrêteront pour quelques mois, ce siffleur invétéré disposera d’un peu plus de temps pour se rendre chez Fabrizzio, son disquaire, auquel il glissera, comme toujours: «Surprends-moi», au-delà des songwriters qu’il affectionne. Pour passer du temps en famille – sa terre et son ciel –, ses deux border terriers compris. Sa maman, Madeleine Genin-Lanners, figure d’ailleurs au générique de chacun de ses films comme observatrice météo, elle qui prie pour que les éléments soient cléments lors du tournage. Il ira marcher ou naviguer sur des rivières méconnues. Il rira encore du fauteuil piqué jadis à Alain Delon sur un tournage d’Astérix. Et si, ma foi, l’envie de jouer dans un film le reprend, il n’hésitera pas. Ses bottines sont prêtes. Puisque respirer, ce n’est pas que vivre.

(1) Extrait du film de Bouli Lanners, Les Premiers, les derniers, sorti en 2016.

Bio express

1965

Naissance, à Moresnet-Chapelle.

1999

Premier court métrage, Travellinckx.

2008

Tourne Eldorado.

2012

Magritte du meilleur film et de la meilleure réalisation pour Les Géants.

2013

Magritte du meilleur acteur pour un second rôle (De rouille et d’os, de Jacques Audiard).

2017

Magritte du meilleur film et de la meilleure réalisation (Les Premiers, les derniers).

2023

César du meilleur acteur dans un second rôle (La Nuit du 12) et Magritte de la meilleure réalisation (Nobody Has to Know).

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire