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7 mesures contre le burnout et le mal-être au boulot

Thierry Fiorilli
Thierry Fiorilli Journaliste

L’absentéisme pour burnout et problèmes de santé mentale ne cesse d’augmenter. Comment inverser la tendance? Chez Realco, une PME de Louvain-la-Neuve, une «développeuse des richesses humaines» a été engagée. Elle dévoile sept de ses secrets.

Sandrine Antoniou est DRH. Pour «développeuse des richesses humaines». C’est à ce titre qu’elle a rejoint il y a trois ans Realco, biotech de chimie verte à Louvain-la-Neuve. Le 7 novembre dernier, la PME de 55 collaborateurs organisait une table ronde consacrée au bien-être et à la santé mentale en entreprise, en présence de la reine Mathilde. Le choix du lieu ne relevait pas du hasard: le taux d’absentéisme y est de 4%, alors qu’il s’élève à 7%, en moyenne, en Belgique et que le contexte est défavorable. Securex, spécialiste des ressources humaines, révélait ainsi en avril 2023 que les absences dues à des problèmes de santé mentale ont augmenté de 18,5% en trois ans, représentant 32,7% de l’absentéisme au long cours en 2022, contre 27,6% en 2019. Quant au coût pour les entreprises, il a augmenté de 40% entre 2021 et 2022. Pour inverser ces tendances, Sandrine Antoniou, qui a elle aussi traversé cet effondrement intérieur, préconise sept mesures.

1. Faire du bien-être et de la santé mentale une priorité

«Le bien-être et la santé mentale relèvent d’abord d’une démarche personnelle: prendre soin de soi et de son propre équilibre. C’est dans le cadre du travail que l’entreprise a son rôle à jouer. Donc, faisons-en un vrai sujet et développons-y l’expertise nécessaire. Premiers pas: être à l’écoute, ouvrir le dialogue à tous les niveaux, mesurer le ressenti régulièrement, informer un maximum, par exemple via la médecine du travail. Avoir aussi un réseau de « petites antennes » bien formées, des personnes de confiance –au groupe de les définir–, s’appuyer sur celles avec une sensibilité hors du commun pour sentir ce qui vibre au sein du groupe, prendre le temps de s’intéresser aux autres et de savoir comment ils vont « vraiment ». Ces retours et ressentis peuvent alors être transformés en actions concrètes soutenues par les décideurs. Avec une personne (pas forcément à temps plein en PME) qui accompagne les changements et en garantit la pérennité, sachant qu’il faut au moins trois ans pour qu’ils s’opèrent.»

2. Instaurer une culture de l’authenticité et de la confiance

«Au-delà des valeurs de l’entreprise, il s’agit d’installer petit à petit une culture de l’authenticité et de la confiance et un cadre de travail clair (rôles, responsabilités, pouvoir, priorités…). Chacun peut alors se sentir réellement considéré et suffisamment en sécurité pour être pleinement « soi », exprimer ses craintes et faiblesses, ses attentes et besoins, donner le meilleur de ses idées et talents, sans risque de représailles ni jugement. C’est le chemin de l’autonomisation. Quelle énergie dès qu’un collectif est capable de cela! Bien se connaître et respecter la diversité et la dynamique des groupes est essentiel pour les faire fonctionner durablement. En soutenant le développement des compétences et des outils du vivre-ensemble et en cultivant le désir, la joie d’être et de faire ensemble. Autrement dit, en prenant soin de l’humain et de ses richesses, de son unicité et en permettant de tisser des liens. Et lorsque la santé mentale est menacée ou atteinte pour des raisons relatives à la vie privée, conjugale ou familiale, en priorisant le dialogue, la patience, la compassion, avec le soutien de l’équipe.»

«Mieux vaut un manager altruiste avec du potentiel qu’un manager expérimenté à l’ego potentiellement toxique.»

3. Codéfinir les règles de base du vivre-ensemble

«C’est le principe de participation. L’établissement collectif du mode de vie commun, puis sa formalisation. Un contrat moral qui définit les intentions derrière cet engagement mutuel: du temps et des compétences au service d’une raison d’être et, en échange, la reconnaissance, l’appréciation, les liens, le relationnel, le sens du temps consacré, la joie, le partage, l’entraide, le fait de grandir et d’évoluer en tant que personne… Ça signifie codéfinir des libertés relatives, comme le droit de donner la priorité à sa santé et à sa vie de famille lorsque l’équilibre est rompu, de prendre des initiatives, de déprioriser si nécessaire, d’accorder le droit à l’erreur, à l’expression, y compris celle de ses émotions et ressentis, le droit de mettre des limites, d’avoir son propre rythme, d’aller moins bien parfois… A côté, il y a les responsabilités individuelles et collectives, au-delà de celles liées à la fonction, qui peuvent se traduire en engagement de prendre soin de soi, de faire de son mieux dans le cadre donné, de développer ses compétences, faire preuve d’une certaine flexibilité et être ouvert au dialogue, écouter et soutenir les collègues qui demandent de l’aide, ne pas verser dans une culture de compétition permanente ou faire le pas de quitter l’entreprise en bonne entente si l’alignement des valeurs et de la culture n’est plus présent. Un cadre clair permet aussi de naviguer au mieux dans un environnement technologique qui peut augmenter le niveau de stress.»

4. Dresser un bilan régulier

«Cela peut facilement être intégré dans une mise au point annuelle, par des questions assez simples. En utilisant par exemple le Copsoq (Copenhagen Psychosocial Questionnaire), qui évalue les facteurs psychosociaux de l’environnement au travail. Il existe une offre sur le marché pour soutenir ce type de bilan, certaines assurances offrant aussi des bilans de santé mentale gratuits. Il y a évidemment l’analyse officielle des risques psychosociaux, généralement obligatoires tous les cinq ans et réalisée par la médecine du travail.»

Sandrine Antoniou, DRH, pour «développeuse des richesses humaines». © DR
«Faire de notre mieux n’est pas tous les jours identique.»

5. Mettre en place des mesures simples à l’impact essentiel

«Il est tout à fait possible d’intégrer des pratiques simples dans un quotidien professionnel. Donner de la place à la douceur, à l’écoute, à la vulnérabilité et à une certaine lenteur lorsque le sujet mérite du temps. Encourager les personnes qui n’osent pas à faire entendre leur voix. Utiliser les pratiques d’intelligence collective, comme celle du cercle, où tout le monde peut s’exprimer et où chacun passe plus de temps à écouter qu’à parler. Laisser tous les jours de la place au corps et au mouvement, s’oxygéner, un peu de méditation, de yoga, d’exercices de respiration, de cohérence cardiaque, faire des réunions en marchant… Prévoir aussi des périodes et endroits de « temps calme », sans réunions, e-mails, coups de téléphone, pour laisser de l’espace à la concentration, au travail de fond, à l’avancement des projets. Donner un maximum de clarté et de stabilité dans la priorisation des tâches parce que le sentiment d’avancer et finir certaines tâches procure satisfaction et apaisement. Privilégier les réunions très courtes, pour définir les prochains petits pas, et les réunions de travail pour les choses qui doivent avancer dans le contenu, l’opérationnel. Utiliser les différents canaux de communication avec parcimonie. Accepter d’être parfois patient, que les autres n’ont pas les mêmes priorités que soi et que « faire de notre mieux » n’est pas tous les jours identique.»

6. Bien choisir et former les managers

«Il est important de consacrer le temps et les ressources nécessaires à la mise en place d’une culture du management humain et bienveillant. Je prône des ego sains, d’effectuer un travail sur l’argent et les symboles de pouvoir, de la transparence et de l’équité. Cela commence par nommer des managers drivés par la connaissance de soi, de l’humain et par le bien-être et le développement des individus, pas forcément grands stratèges du business –c’est un autre set de compétences et vouloir combiner les deux à tout prix est une chimère. Mieux vaut une personne altruiste, d’une grande humanité et pleine de potentiel qu’un manager avec de l’expérience mais un ego potentiellement toxique ou dont la soif de promotion lui fait confondre ambition et talent. Un leader est avant tout responsable des humains de son équipe, des personnes qui fournissent les résultats de l’entreprise; sa mission est donc d’offrir un environnement sain et adapté aux besoins du groupe et des personnes afin que chacun puisse s’épanouir, au bénéfice tous. Pouvoir reconnaître et développer ces compétences de leader est donc essentiel: bienveillance et exigence, sens de l’anticipation et de la planification, capacité à donner des repères, connaissances en psychologie et des modes de fonctionnement de l’humain, connaissance de soi, sens de l’accueil, flexibilité mentale, communication non violente, écoute, remise en question, gratitude, coopération, principes et outils de gouvernance partagée, coordination, exemplarité dans la gestion de projets et l’approche du changement…»

7. Donner du sens

«C’est réfléchir collectivement à la culture du travail souhaitée et la faire évoluer en même temps que le monde. Laisser chaque génération s’exprimer pleinement et sans jugement. Quelle place a le travail dans ma vie? Qu’est-ce qui donne du sens à nos actions quotidiennes? Comment contribuer à un monde meilleur? Si l’on remplit ces conditions, l’impact est ultrapositif pour l’entreprise, en engagement, rétention et motivation. Il y a moins d’absentéisme, moins de départs, moins de coûts. Aussi vrai qu’on quitte le plus souvent son manager que son entreprise

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