MR's Daniel Bacquelaine pictured during a plenary session of the Chamber at the Federal Parliament in Brussels, on Wednesday 10 July 2024. BELGA PHOTO NICOLAS MAETERLINCK © BELGA

Le MR est au fédéral depuis 25 ans: «Moi président du MR, la réforme de l’Etat aurait sans doute été un peu différente»

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

L’essentiel

• Le MR fête ses 25 ans au pouvoir au fédéral. Daniel Bacquelaine, député fédéral depuis 1995, revient sur le bilan de son parti.
• Les libéraux, selon lui, ont participé à transformer la Belgique sur le plan philosophique (euthanasie, mariage pour les personnes de même sexe, recherches sur les embryons) et socio-économique (réforme fiscale majeure, réforme des polices, réforme des pensions).
• Daniel Bacquelaine regrette la rupture du MR avec le FDF et pense que la sixième réforme de l’État aurait été différente s’il avait été président du parti.

Fiscalité, police, éthique, indépendants, etc. : Daniel Bacquelaine, député fédéral depuis 1995, est fier du bilan de son parti, qui a fêté ses 25 ans de pouvoir au fédéral le 12 juillet dernier.

Les libéraux belges sont revenus au pouvoir le 12 juillet 1999, il y a 25 ans jour pour jour. C’était historique après douze ans d’opposition, et depuis lors les libéraux francophones n’ont plus quitté le gouvernement de la Belgique, qu’ils ont donc transformée. Qui de mieux placé que Daniel Bacquelaine pour en témoigner? Le bourgmestre de Chaudfontaine est député fédéral depuis 1994. A la Chambre et au gouvernement, il a tout fait. Il a été chef de groupe, ministre des Pensions, et c’est lui, en tant qu’ainé de l’assemblée, qui a présidé la séance d’installation de la nouvelle Chambre des Représentants, le mercredi 10 juillet. Comme chez tous ses camarades, son coeur est à la fête en ce jour d’anniversaire. Mais pas spécialement parce qu’il y a vingt-cinq ans que les libéraux dirigent la Belgique. «On peut en être fier, dit-il. Mais ce que l’on fête, surtout, c’est le basculement opéré après les élections du 9 juin.»

L’installation des gouvernements wallon et de la Fédération Wallonie-Bruxelles dirigés par des libéraux, comme le sera probablement aussi bientôt la Région bruxelloise, est-ce un tournant aussi important selon vous?

Oui, je pense. Ca me rappelle un peu ça. En juillet 1999, ça a aussi été un basculement. La mise dans l’opposition de la famille sociale-chrétienne, en particulier du CVP, c’était quand même une rareté. Il y a eu un effet contextuel, la crise de la dioxine, qui a mené Ecolo et Agalev à faire un score important, et puis à ce gouvernement arc-en-ciel dirigé par Guy Verhofstadt. On a alors introduit un concept idéologiquement intéressant, celui d’Etat social actif, dans la mouvance de Tony Blair au Royaume-Uni. A partir de là, on a considéré qu’il fallait davantage de responsabilisation, que l’Etat ne devait pas seulement être un assistant, passif, mais qu’il devait activer… On a toujours été très exigeants sur la valeur travail, ça a toujours été notre leitmotiv. Et ça a été une des clés de notre victoire du 9 juin. Ca avait déjà été le cas en 2007, sous Didier Reynders, quand on a dépassé les 30%. A ce moment-là déjà, on aurait pu faire un tournant majeur sur la revalorisation du travail, comme on s’apprête à le faire aujourd’hui. Mais à l’époque le CDH était en cheville avec le PS, et il a empêché un basculement vers des gouvernements dans lesquels les libéraux auraient davantage de poids.

A cet égard-là, alors, peut-on dire que la Belgique de 2024 est-elle plus libérale que celle de 1999? Comment les libéraux l’ont transformée en vingt-cinq ans?

Ah, elle est plus libérale sur le plan philosophique, clairement! Le gouvernement Verhofstadt, c’est celui qui a permis la loi sur l’euthanasie, la loi sur le mariage pour les personnes de même sexe, la loi sur les recherches sur les embryons, c’est phénoménal le travail qui a été fait, et qui a transformé la société belge…

Et au niveau socio-économique, moins?

C’était une période, je parle de 1999, où sur le plan budgétaire la Belgique était plutôt en bonne santé, et ça nous a permis de faire une réforme fiscale majeure. Majeure! La réforme fiscale de Didier Reynders, je ne sais pas si on s’en souvient bien, mais c’était la suppression de tous les taux supérieurs à 50%, on a revu complètement les barèmes fiscaux, les tranches imposables, l’augmentation du revenu minimum imposable, etc. C’était énorme, plusieurs milliards d’euros…

Mais le ratio entre les dépenses publiques et le PIB est passé de 49% en 1999 à 55% aujourd’hui…

C’est ce qui explique aussi le déficit public: on a fait des réformes fiscales, mais comme il n’y a pas eu suffisamment de plans d’économies pendant de nombreuses années, les dépenses ont continué à augmenter. Sans compter les crises, bien sûr. Celle financière de 2009, pour commencer. Encore une crise jugulée par un ministre libéral, Didier Reynders, qui a su éviter des catastrophes pour les épargnants. Donc, oui, la présence des libéraux a été décisive, sur tous les plans! Sur le plan de l’éthique, sur la fiscalité… Antoine Duquesne a porté une autre grande réforme, celle des polices. Et puis, la dernière grande réforme en date, autant que je le dise moi-même, c’est quand même ma réforme de pensions, à laquelle personne n’a osé toucher et qui permet de recoller à la réalité démographique et de sauvegarder notre système. Même si ce n’est pas encore suffisant et qu’on n’a pas pu tout à fait tout terminé. Ca sera pour le prochain gouvernement fédéral.

Comment on explique alors que ce travail de réformes n’ait pas pu être terminé en 25 ans ? Simplement par le jeu des coalitions et des compromis?

C’est une erreur conceptuelle de penser que des réformes se terminent. Les réformes font évoluer la société, et on n’est pas dans une société de type révolutionnaire. On est dans une société de type évolutionnaire, qui évolue constamment en fonction des réalités sociologiques et des contraintes économiques, et donc on n’a jamais terminé le travail! Et puis, c’est vrai qu’on est au pouvoir au fédéral depuis 25 ans, mais il y a eu la régionalisation, depuis les années quatre-vingt, et que là, on a eu quarante ans de ministre-présidence socialiste. En Wallonie, on n’a été au pouvoir qu’entre 1999 et 2004, puis entre 2017 et 2024. Et l’Etat fédéral a beaucoup souffert du retard de la Wallonie et d’une gestion qui a été relativement apathique au niveau wallon pendant toutes ces années… Et aujourd’hui, on a l’occasion de mener des politiques libérales en Wallonie aussi, et c’est une grande nouveauté, en fait.

C’est quoi pour vous la plus grande victoire libérale ?

Pour moi, ce sont les deux grandes réformes du gouvernement arc-en-ciel, sur le plan fiscal, et sur le plan éthique. Nous, libéraux, on n’était pas les seuls sur les dossiers éthiques, donc on ne peut pas s’arroger l’intégralité de ces avancées extraordinaires, mais on y a grandement participé. Moi, Philippe Monfils, Jacques Brotchi, on a été des acteurs très engagés…

Il faut dire, en passant, que quand on a formé les gouvernements arc-en-ciel avec les écologistes en 1999, Ecolo était un parti écologiste, mais n’était pas nécessairement un parti très à gauche, comme il l’est devenu ces dernières années…

Daniel Bacquelaine

Vous avez été engagés aussi à l’intérieur du parti, qui était divisé, et qui s’est même majoritairement opposé à l’adoption par des personnes du même sexe…

Oui, il y avait une liberté de vote, et elle existe toujours, sur les dossiers éthiques. Mais globalement ceux qui ont porté les grandes réformes bioéthiques, c’est quand même Philippe Monfils, et Jacques Brotchi, avec d’autres bien sûr. Moi j’ai porté la loi sur l’euthanasie à la Chambre. On a été particulièrement actifs sur l’évolution de la société. Et puis le sauvetage des épargnants, c’est aussi un acquis libéral. Mais bien entendu les gouvernements qu’on a formés au fédéral étaient des gouvernements pluriels, souvent avec les socialistes ou les écologistes… Il faut dire, en passant, que quand on a formé les gouvernements arc-en-ciel avec les écologistes en 1999, Ecolo était un parti écologiste, mais n’était pas nécessairement un parti très à gauche, comme il l’est devenu ces dernières années…

Et la défaite ou la concession la plus coûteuse?

Alors, il y a eu la fameuse loi sur la sortie du nucléaire, qu’on a négociée avec les écologistes en 1999 pour pouvoir faire la réforme fiscale…

Mais vous avez jusqu’à 2019 intégré cet objectif de sortie du nucléaire à tous vos programmes électoraux…

Oui, mais avec des possibilités de revenir sur cette sortie. Et quand la réalité a rattrapé tout le monde, on a permis de maintenir deux réacteurs. Et le gouvernement fédéral prochain ira sans doute plus loin. Si on n’avait pas été là, personne ne l’aurait obtenu! Cela dit, cette réforme fiscale qu’on a négociée avec les écolos contre la sortie du nucléaire, on n’aurait d’ailleurs jamais obtenue avec les écolos d’aujourd’hui. Il y a eu progressivement un glissement à gauche, sous l’effet du PTB pour les socialistes, et sous l’effet d’une espèce d’endoctrinement culturel chez les écolos, qui ont opéré un virage identitaire d’extrême gauche qui n’était pas du tout la ligne de Magda Alvoet ou de Jacky Morael à l’époque. Et ça, c’est une énorme différence.

Justement, si socialistes et écologistes se sont tant gauchisés, que vous ont-ils imposé de si imbuvable?

En général on a eu une très bonne capacité de résistance, je trouve. On n’a jamais accepté des choses qui allaient radicalement à l’opposé de ce que nous pensions, ce qui n’a pas été le cas des socialistes hein, rappelez-vous le coeur qui saigne d’Elio Di Rupo.

Ce qui a beaucoup changé, dans une matière qui est très chère aux libéraux, c’est la protection sociale des indépendants. Elle est bien meilleure aujourd’hui qu’elle ne l’était à l’époque, et c’est à mettre à l’actif des ministres libéraux de ces vingt-cinq dernières années. Est-ce qu’on peut vous accuser d’avoir favorisé votre clientèle électorale, là-dessus?

Ah non, non, non. On peut nous taxer de partisans de l’égalité des droits et des devoirs. Parce que oui, j’oubliais, ce sont de grandes réformes, de Sabine Laruelle notamment, qui ont considérablement amélioré le statut des indépendants. Moi, comme ministre des Pensions, j’ai poursuivi cette ligne. Avec Willy Borsus on a fait passer l’égalité des pensions minimum pour les indépendants par rapport aux salariés. Ca aussi, c’est une grande réforme des libéraux! Donc, notre présence a été très positive sur toute une série de domaines. Mais nous n’avons jamais eu les coudées aussi franches que dans les gouvernements qu’on est en train de composer aujourd’hui!

Je crois que si j’avais été président, il n’y aurait pas eu la rupture du MR avec le FDF…

Daniel Bacquelaine

Le MR a la tutelle sur certains départements fédéraux, comme les Affaires étrangères ou la Régie des Bâtiments depuis des années, presque sans discontinuer. Est-ce qu’il n’y a pas là des petits morceaux d’un Etat MR, comme on a pu parler d’un Etat CVP en Belgique ou d’un Etat PS en Wallonie?

Non, je ne pense pas. On n’a pas toujours gardé les mêmes compétences, regardez les finances: on ne les a plus depuis que Didier Reynders est devenu ministre des Affaires étrangères. Alors, on a souvent les Affaires étrangères, c’est vrai, parce que les libéraux sont toujours très attentifs aux questions régaliennes…

Auriez-vous posé d’autres choix politiques si vous aviez présidé le parti?

Je crois que si j’avais été président, il n’y aurait pas eu la rupture du MR avec le FDF…

Ca veut dire qu’il n’y aurait pas eu de sixième réforme de l’Etat, dans ce cas? Parce que c’est sur ce désaccord que le FDF a quitté le MR en 2011.

Ah, elle aurait été sans doute un peu différente, je pense. C’est très difficile de le dire a posteriori, bien sûr. Mais un des enjeux de la campagne présidentielle, entre Charles Michel et moi, c’était ma plus grande proximité avec le FDF, et le fait que j’entretenais ce lien PRL-FDF que Jean Gol avait fondé avec Antoinette Spaak. C’était dans ma tradition…

C’était une erreur, alors, de participer à cette sixième réforme de l’Etat?

Je ne dirais pas ça, parce qu’une réforme était inévitable. Et puis, il y a eu des éléments de cette réforme qui étaient extrêmement difficiles pour notre partenaire de l’époque, oui. Mais je pense que plus que la réforme elle-même, c’est l’ambiance générale au sein du parti, après l’élection présidentielle, qui a fait que le FDF ne s’y est plus retrouvé.

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