De Wever et Van Grieken
Photo d'archive : Bart De Wever (N-VA) et Tom Van Grieken (Vlaams Belang) se rencontrent au siège du parti N-VA le 15 octobre 2018 après les élections locales. © BELGA BELGA PHOTO DIRK WAEM

Comment Bart De Wever va-t-il tenter de faire passer une réforme de l’Etat? « En coulisses, il devra discuter avec le Vlaams Belang »

Bart De Wever (N-VA) ne dirigera pas de cabinet d’affaires. Les nationalistes flamands n’ont donc plus de moyen de pression pour faire passer une réforme de l’Etat. D’autres scénarios se profilent, avec le Vlaams Belang, l’Open VLD et le PS qui entrent à nouveau en jeu.

Le préformateur Bart De Wever (N-VA) ne vise plus la tête d’un cabinet d’affaires, une sorte de structure limitée qui aurait uniquement travaillé sur le budget et les réformes socio-économiques: il négocie en vue d’un gouvernement fédéral à part entière. Cela signifie que sa promesse électorale, qui avait pour but de maintenir la pression pour une réforme de l’État, est abandonnée. Au bout de deux ans, Bart De Wever comptait dissoudre ce « mini-cabinet » aux compétences limitées s’il n’y avait pas eu de réforme de l’État.

Quelles sont les possibilités de faire un pas vers le confédéralisme sans la majorité des deux tiers nécessaire pour modifier la constitution ?

Bart Maddens (politologue à la KU Leuven): Je vois deux scénarios. Dans le premier, vous installez un conseil des ministres confédéral informel composé de l’ensemble des gouvernements flamand et wallon. Le « vrai gouvernement fédéral » est alors une sorte de gouvernement d’approbation (NDLR: une institution dotée d’un pouvoir juridique considérable mais de peu de pouvoir réel) qui ne fait que ratifier et mettre en œuvre ce que les entités fédérées conviennent entre elles. Les premiers ministres flamand et wallon définissent alors l’agenda fédéral. Il s’agit d’un véritable confédéralisme sans modification de la constitution. Une réforme fiscale pourrait par exemple être élaborée de cette manière, car elle a également un impact sur le financement des entités fédérées.

Un deuxième scénario est celui d’un fédéralisme bicéphale. Le gouvernement fédéral établirait alors des règles différentes pour les Régions flamande et wallonne, par exemple en matière d’allocations de chômage. Il pourrait également s’agir d’un fédéralisme tricéphale, si des règles différentes étaient également introduites pour la Région de Bruxelles-Capitale. Cela pourrait toutefois se heurter à des limites constitutionnelles. Peut-on permettre qu’une personne qui habite en Wallonie bénéficie de plus ou moins de droits sociaux qu’une personne qui habite en Flandre ? Le principe d’égalité serait alors mis à l’épreuve.

Les Flamands ne seront pas très enclins à l’idée de refinancer à nouveau Bruxelles s’ils n’obtiennent rien de substantiel en retour.

Les transferts d’argent servent souvent de lubrifiant pour une réforme de l’État. L’échec du budget bruxellois pourrait-il offrir une opportunité ?

Bart Maddens: La situation dramatique à Bruxelles peut constituer un petit levier, oui. La demande d’argent fédéral pour achever le chantier de la ligne 3 du métro sera inévitable. Pourquoi un petit effet de levier et pas un grand ? Parce que Bruxelles reste une question très complexe. Les Flamands ne seront pas très enclins à l’idée de refinancer à nouveau Bruxelles s’ils n’obtiennent rien de substantiel en retour. Et avec les demandes institutionnelles viennent également les listes électorales séparées par langue et tout l’équilibre bruxellois.

Le PS pourrait entrer dans le gouvernement bruxellois, mais il ne joue pas le jeu au fédéral et en Wallonie. Cela réduit-il les chances d’une réforme classique de l’État avec une majorité des deux tiers ?

Bart Maddens: Oui, car en tant que parti d’opposition en Région wallonne et en Fédération Wallonie-Bruxelles, le PS ne va pas faire plaisir aux partis de la majorité, à savoir le MR et Les Engagés. Un apport supplémentaire d’argent, dans le cadre d’une réforme plus large de l’État, n’est pas envisageable pour le PS à l’heure actuelle.

De plus, la coalition Arizona (NLDR: MR, Les Engagés, Vooruit, CD&V et N-VA) et le PS totalisent 97 sièges (en supposant qu’Alexia Bertrand opte pour le groupe linguistique néerlandais): il leur manque donc encore trois sièges pour atteindre la majorité des deux tiers (NDLR: 100 sièges sur 150 à la Chambre). Pour une réforme classique de l’État, il faut donc aussi inclure l’Open VLD ou Groen. Ce n’est pas impossible, mais pas évident non plus.

Existe-t-il un autre moyen d’obtenir une majorité des deux tiers ?

Bart Maddens : Si suffisamment de partis s’abstiennent, c’est possible. Si le Vlaams Belang (20 sièges) et l’Open VLD (8 sièges) s’abstiennent, il en reste 122. La coalition Arizona se rapproche alors d’une majorité des deux tiers (81 sièges sur 122). Cette option implique une coopération implicite du Vlaams Belang. Cela sera sensible du côté francophone. Une telle réforme de l’État devra alors ne comporter aucune concession flamande, sinon le Vlaams Belang ne l’acceptera pas.

En tant que principal parti au sein du gouvernement et avec De Wever comme Premier ministre, la N-VA sera bien sûr en mesure de déterminer l’agenda.

En ce qui concerne la suppression du Sénat, les partis de l’Arizona se mettraient d’accord à la table de négociation de De Wever. Cela nécessiterait également une majorité des deux tiers.

Bart Maddens: Oui, par exemple, l’abolition du Sénat pourrait être proposée par le nouveau gouvernement dans un projet de révision de la Constitution, et par miracle être approuvée parce que l’Open VLD et le Vlaams Belang s’abstiennent. Ainsi, un symbole important de la Belgique pourrait être sacrifié. Mais cela suscitera également de la résistance.

Pour supprimer le Sénat, De Wever devra donc négocier avec le Vlaams Belang ?

Bart Maddens: Oui, en coulisses, De Wever discutera probablement avec le Vlaams Belang à ce sujet. Sans concertation préalable, espérer que le Vlaams Belang s’abstienne miraculeusement ne me semble pas réaliste. De Wever et Tom Van Grieken se sont rencontrés dans le cadre de la formation du gouvernement flamand. Il est tout à fait possible que De Wever ait déjà évoqué cette possibilité lors de ces entretiens.

C’est bien sûr très délicat, car si Tom Van Grieken laisse fuiter l’info, c’est fichu. À la lecture du titre « De Wever demande au Vlaams Belang de collaborer à la réforme de l’État », les francophones et les autres partis flamands se cabreront.

Pour conclure, De Wever pourrait-il finir par faire tomber son gouvernement s’il n’y a pas suffisamment d’avancées sur le plan communautaire à son goût ?

Bart Maddens: C’est un dilemme difficile pour la N-VA. Lorsqu’elle a fait tomber le gouvernement à cause du pacte de Marrakech en 2018, cela a mal tourné. Généralement, le parti qui débranche la prise perd les élections. Bien sûr, en tant que plus grand parti du gouvernement et avec De Wever comme Premier ministre, la N-VA sera en mesure de fixer l’agenda.

L’accord de coalition de la Vivaldi contenait de nombreux éléments concrets sur la réforme de l’État, mais rien n’en est sorti. D’une part parce que le CD&V n’a jamais vraiment tapé du poing sur la table, d’autre part parce que le Premier ministre Alexander De Croo (Open VLD) a laissé traîner les choses. Cela ne se passera pas ainsi avec la N-VA.

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