Nicolas De Decker

La certaine idée de Nicolas De Decker | Bart De Wever face à ses histoires

Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Bart De Wever s’est, toute sa carrière, fait passer pour une victime. Le fera-t-il encore quand il sera Premier ministre, concentrant plus de pouvoir entre ses mains qu’aucun Belge avant lui?

Bart De Wever est à la manière de notre temps un génie. Il a en lui ce génie nécessaire qui appuie des impressions fausses sur des frustrations sincères, et c’est ce don politique qui l’a toujours autorisé à dépasser le mur de la réalité sans que personne, jamais, ne s’en aperçoive, ou alors trop tard pour qu’on ne regrette pas de s’en être aperçu. C’est ce talent unique qu’a Bart De Wever de se faire passer pour un rationnel froid et calculateur alors que tous ses succès n’ont jamais reposé que sur d’émotionnelles hystérisations.

Bart De Wever tout craché, c’est le type qui, le 9 juin, perd encore un siège par rapport à sa grosse défaite de 2019 mais qui, le soir même, dit avoir gagné les élections. C’est faux, tous les présidents le font plus ou moins le soir des élections, mais quand c’est le président de la N-VA, ça fonctionne. Toute la presse flamande, puis toute la Flandre, puis toute la Belgique, donc, le croient. L’histoire est toujours écrite par les vainqueurs, y compris lorsqu’ils ne sont pas gagnants, et y compris lorsque les vainqueurs disent être les victimes.

Aujourd’hui, un mois après cette fausse impression, induite par un soulagement, celui de n’avoir pas vu le Vlaams Belang s’imposer en plus grand parti du pays, l’histoire politique reste telle qu’elle a été écrite par Bart De Wever. Elle le restera longtemps et l’imprudent observateur qui ferait remarquer que la N-VA n’a pas gagné les élections terminerait aussitôt sa carrière en méchant faussaire ou en candide idiot.

Bart De Wever est désormais le Premier ministre le plus probable de Belgique parce qu’il a dit avoir gagné des élections qu’il n’a pas remportées, et jamais son génie narratif n’aura été si triomphant sur la Belgique.

Depuis 20 ans, le président de la N-VA raconte une Flandre opprimée par les francophones. La Flandre n’a pourtant jamais été aussi puissante. Mais aucun obstacle n’a pu atténuer le succès moral de ces raconteries fantasmagoriques et victimaires d’indépendantiste flamand, seul rempart contre l’indépendance flamande. Mais, bientôt Premier ministre pour cinq ans, Bart De Wever pourra-t-il encore longtemps se peindre en victime d’un pouvoir injuste, celui du sud sur le nord, de la gauche sur la droite, des pauvres sur les riches, des allochtones sur les autochtones?

Bart De Wever dirige depuis douze ans la plus influente métropole de la région qui domine notre royaume, région que le parti qu’il préside depuis 20 ans dirige depuis dix ans. Rarement dans l’histoire de la Belgique les mains d’un homme auront concentré autant de pouvoir.

Mais dans ses mains, il y a aussi une plume.

Cette plume est parvenue à convaincre tout le monde, du nord au sud, de la droite vers la gauche, des riches vers les pauvres et des autochtones vers les allochtones, qu’il n’était qu’un outsider relégué aux marges d’un système politique qui l’écrasait. Dans cinq ans normalement, Bart De Wever l’antibelge aura été le Belge le plus puissant de tous les temps. Et lorsqu’il sortira de ce quinquennat de pouvoir conté comme cinq années d’oppression, il donnera, alors, la mesure de son génie de raconteur d’histoires. Ce sera quelque chose comme la mesure d’un absolu.

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