Frank Vandenbroucke, ministre de la Santé publique (Vooruit), est confronté à plusieurs enquêtes judiciaires concernant la gestion de la crise covid par le SPF Santé publique. © BELGA

Nouveau front judiciaire dans «l’affaire Medista», la pression s’intensifie sur le SPF Santé publique et Frank Vandenbroucke (Info Le Vif)

Clément Boileau
Clément Boileau Journaliste

Un audit interne embarrassant pour le SPF Santé publique a déclenché une enquête menée par le parquet de Bruxelles. Une autre plainte, déposée par l’ONG Transparencia l’an passé, suscite également l’intérêt de la justice. Medista, l’entreprise qui crie au marché truqué, envisage aussi de porter plainte.

«Ce qui est certain, c’est qu’au Conseil d’État, la fonctionnaire du SPF Santé publique a menti. Et ça, ça remet tout en cause.» Cette petite phrase d’un interlocuteur impliqué dans la gestion de la crise covid du côté de l’État belge donne la mesure de l’incendie qui couve actuellement au sein du SPF Santé publique, où consigne a été donnée de ne pas s’exprimer dans les médias sur le cas «Medista».

Il faut dire que l’administration est sous haute pression, elle qui se montre visiblement trop peu prudente sur la conduite des marchés publics, selon les conclusions d’un récent audit fédéral. Voire défaillante en ce qui concerne l’ancien prestataire du fédéral pour le stockage et la distribution de vaccins et matériel anti-covid, Medista, écarté au profit de l’entreprise Movianto voilà presque deux ans. Montant du contrat: 50 millions d’euros. L’audit en question a été transmis à la justice par le ministre de la Santé Franck Vandenbroucke (Vooruit) fin mars dernier et a déclenché l’ouverture d’une enquête du parquet de Bruxelles, a appris Le Vif.

Un an et demi d’enquête

Pour rappel, à l’été 2022, la société Medista avait contesté sans succès le résultat du marché public devant le Conseil d’Etat, l’estimant truqué. Mais pourtant, selon elle, la partialité, voire les mensonges de «V.H.», une fonctionnaire du SPF propulsée aux premières loges dans ce dossier, et qui avait témoigné sous serment auprès de la juridiction, étaient flagrants.

Un an et demi plus tard, après une rocambolesque séquence d’espionnage montée par Medista afin de confondre «V.H», un cadre de Movianto et divers consultants du SPF, voilà que le rapport d’audit, consulté par Le Vif, pointe effectivement des largesses déontologiques et un «conflit d’intérêts» patent dans le chef de la fonctionnaire et d’un avocat de l’État estampillé Deloitte Legal, la branche juridique du cabinet de conseil.

C’est le plus grand dossier de fraude sous cette législature.

Kathleen Depoorter, députée N-VA, en Commission Santé

Concrètement, tous deux ont collaboré en vue de prodiguer des conseils juridiques à Movianto avant que l’entreprise ne soumette son offre. Un constat qui bat en brèche les déclarations faites par «V.H» au Conseil d’État à l’été 2022. Mais qui ne remettent pas en cause l’obtention du marché par Movianto, selon le ministre de la Santé publique Frank Vandenbroucke (Vooruit).

Le vent du boulet

Le ministre a donc transmis les conclusions de cette enquête préliminaire à la justice, comme le lui ont préconisé les auditeurs fédéraux qui ne pouvaient pas, légalement, pousser plus loin leurs investigations. Le ministre fait déjà face aux interrogations du parquet de Bruxelles suite à une plainte de l’ONG Transparencia datant de l’été dernier qui lui reproche son opacité dans la gestion de la crise covid alors que les débats faisaient rage sur une loi censée fluidifier la transparence administrative, et sa partialité sur le volet «Medista». Selon les informations du Vif, la PME envisage de déposer plainte à son tour.

De son côté, Frank Vandenbroucke avait annoncé que plainte serait déposée, pour extorsion, contre ceux qui ont fait espionner «V.H». À savoir Medista, et potentiellement l’entreprise à laquelle la PME a fait appel pour décortiquer les relations entre le SPF, Movianto et Deloitte (NDLR: la sulfureuse firme Black Cube, formée par d’anciens espions israéliens, spécialisée en «intelligence économique»).

Les retombées de cette vaste affaire d’espionnage soulèvent une question lancinante: le SPF a-t-il été le théâtre de «la plus grande fraude sous cette législature», comme le tonne la députée d’opposition Kathleen Depoorter (N-VA)? Et cette fraude potentielle implique-t-elle également des consultants extérieurs et représentants juridiques du SPF Sante publique, comme le suggère l’audit fédéral qui n’a pas pu interroger tous les protagonistes, l’avocat incriminé ayant fait valoir le secret professionnel?

Des partenaires qui s’interrogent

En tout cas, l’affaire agite désormais certains partenaires de la majorité, lesquels ne voient pas d’un bon œil les développements d’une saga qui engage «la déontologie du gouvernement», pour reprendre les mots de la députée Marianne Verhaert (Open VLD) en Commission Santé début avril.

«On parle d’un marché public que Movianto a gagné sans avoir aucune autorisation en main (NDLR: pour stocker les vaccins)», s’étonne cet autre acteur également impliqué dans la gestion sanitaire de la crise covid, éberlué par le tour judiciaire que prend l’affaire. Sans parler des consultants externes, essentiellement rémunérés par Deloitte, qui ont expliqué (à leur insu) aux espions de «Black Cube» comment le marché public a été réécrit pour écarter Medista, comme le révélait l’Avenir en février dernier. «Moi j’appelle ça un marché dirigé», tranche, tout net, notre interlocuteur.

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