À moins de deux mois des élections fédérales, régionales et européennes, les enseignants veulent marquer le coup

Taille des classes, paperasse, sanctions: 5.000 «enseignants asphyxiés» manifestent ce mardi

Nathan Scheirlinckx
Nathan Scheirlinckx Journaliste au Vif

À moins de deux mois des élections fédérales, régionales et européennes, les enseignants veulent marquer le coup. Ce mardi 23 avril, ils sont 5.000 à répondre à l’appel de la grande manifestation nationale, organisée par neuf instances syndicales, nord et sud du pays compris. Voici leurs revendications.

«L’enseignement, au cœur des préoccupations!» est le slogan de cette action en front commun, qui vise à peser sur la campagne électorale. Dès 9h30, les enseignants se sont rassemblés à la gare de Bruxelles-Central, pour se diriger ensuite vers la place Surlet de Chokier (près de l’arrêt de métro Madou). Objectif de cette manif’ qui unit flamands et francophones: faire entendre la voix des titulaires de classe devant le siège de la Fédération Wallonie-Bruxelles et du Parlement flamand.

Pourquoi les enseignants manifestent-ils?

«En discutant avec nos collègues flamands, nous nous sommes rendus compte que plusieurs revendications ne connaissaient pas de frontière linguistique, explique Joseph Thonon, président communautaire de la CGSP-Enseignement. Aussi, nous estimons que la thématique de l’enseignement est absente des débats électoraux, alors que le secteur est en grande difficulté.»

Le refinancement de l’enseignement est demandé depuis plusieurs années par les enseignants.

© BELGA PHOTO LAURENT CAVENATI

«À l’aube des élections, le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles n’est plus notre interlocuteur, lance Roland Lahaye, à la tête de la CSC-Enseignement. Comme il est en affaires courantes, on s’adresse plutôt aux futurs responsables politiques. Une fois que les futures coalitions connaitront notre menu, que vont-elles faire pour transformer nos demandes en avancées positives?»

«Les partis doivent prendre conscience que l’enseignement francophone ne va pas bien, déclare la cheffe de file de la SLFP-Enseignement Masanka Tshimanga. Les réformes engagées sous cette législature ne solutionnent pas les problèmes des établissements, malgré nos nombreuses demandes. Il est temps pour la classe politique de nous écouter enfin

1. Réduire la taille des classes

«Des petites classes favorisent l’apprentissage, reprend Roland Lahaye. Mais on constate un nombre croissant d’élèves à besoins spécifiques, qui demandent des aménagements raisonnables. Inclure ces élèves dans l’enseignement ordinaire est crucial, mais le phénomène a pris une telle ampleur que cela devient des aménagements déraisonnables pour les enseignants.» © BELGAIMAGE

La mesure la plus urgente pour les syndicats – celle dont le prochain gouvernement de la FWB devrait selon eux s’occuper en priorité – est la réduction de la taille des classes. Sous cette législature, un plafond de 24 enfants a été introduit pour le niveau maternel. «Sur ce point, la ministre de l’Education (Caroline Désir, NDLR) nous a entendus», concède Joseph Thonon. Un nombre maximal d’élèves par classe existait déjà pour le primaire (24 en 1e-2e et 28 de la 3e à la 6e) et le secondaire (24 en 1e-2e, et puis de 22 à 32 selon les années et les filières).

“Des petites classes favorisent l’apprentissage, mais on constate un nombre croissant d’élèves à besoins spécifiques, qui demandent des aménagements raisonnables”

Roland Lahaye

Si les syndicats saluent l’avancée obtenue pour les classes de maternelle, ils estiment qu’il faut aller plus loin. «Des petites classes favorisent l’apprentissage, reprend Roland Lahaye. Mais on constate un nombre croissant d’élèves à besoins spécifiques, qui demandent des aménagements raisonnables. Inclure ces élèves dans l’enseignement ordinaire est crucial, mais le phénomène a pris une telle ampleur que cela devient des aménagements déraisonnables pour les enseignants.»

Comment alors réduire la taille des classes? «Il n’y a pas de méthode miracle, avoue Masanka Tshimanga. Mais les autorités n’en font pas une priorité, donc l’accompagnement personnalisé retombe sur le dos des profs, alors que le secteur manque de personnel…»

2. Réduire la charge de travail pour rendre le métier plus attractif

« Les enseignants sont au bout du rouleau, reporte Masanka Tshimanga. Et les nombreux départs pour cause de maladie ne sont pas remplacés.» © BELGA PHOTO THIERRY ROGE

Le constat n’est pas neuf: le métier d’enseignant n’attire plus. Au contraire, il pousse de plus en plus de profs à jeter l’éponge, provoquant une pénurie de main d’œuvre partout en Belgique. «La charge de travail qui pèse sur le corps enseignant est de plus en plus lourde, au vu de tout le travail administratif à effectuer», répercute Joseph Thonon. «Les profs sont complètement asphyxiés par la réunionite aiguë qui s’est installée depuis qu’ils passent plus de temps à remplir la paperasse qu’avec les élèves», complète Roland Lahaye. Depuis la mise en place du plan de pilotage dans les écoles, les tâches des enseignants se sont multipliées: plateformes numériques, remplissage des dossiers, suivi des élèves en décrochage… «Ils sont au bout du rouleau, reporte Masanka Tshimanga. Et les nombreux départs pour cause de maladie ne sont pas remplacés.»

“Les enseignants sont au bout du rouleau. Et les nombreux départs pour cause de maladie ne sont pas remplacés.”

Masanka Tshimanga, présidente de la SLFP-Enseignement

3. En finir avec l’évaluation des enseignants

Joseph Thonon, président communautaire de la CGSP-Enseignement, veut attirer l’attention du politique sur l’évaluation des enseignants. © BELGA PHOTO THIERRY ROGE

Le troisième point sur lequel les syndicats veulent attirer l’attention du politique est celui de l’évaluation des enseignants. L’annonce de la mesure avait provoqué un tollé l’été dernier. Dès la rentrée 2026, les enseignants pourront – après une période de formation – être évalués, puis licenciés si leur bilan est jugé négatif. Le premier volet de ce plan, celui des compétences que doivent acquérir les profs, a été mis en application. L’entrée en vigueur du second volet, qui porte donc sur l’évaluation et les sanctions éventuelles, a été reporté de deux ans sous la pression des syndicats. «Le lien établi entre formation et évaluation nous dérange, justifie Joseph Thonon. Il y a d’autres moyens de sanctionner les enseignants qui ne conviendraient plus, et même ceux qui sont nommés.»

“Il y a d’autres moyens de sanctionner les enseignants qui ne conviendraient plus, et même ceux qui sont nommés.”

Joseph Thonon, président de la CGSP-Enseignement

4. Les centres PMS, l’enseignement qualifiant et le refinancement

Les neuf organisations syndicales de cette alliance nord-sud assez rare portent trois autres demandes dans leur cartable. Premièrement, elles expriment leurs craintes quant à la réforme des centres PMS, qui sera pour la prochaine législature. «Avec la volonté de mutualiser les compétences, le risque pour l’emploi est bien réel», juge Masanka Tshimanga. «Les centres psycho-médicosociaux doivent être renforcés, ajoute Roland Lahaye. La crise covid a laissé des traces indélébiles sur beaucoup de jeunes, qui aujourd’hui se sentent abandonnés.»

Deuxièmement, les trois interlocuteurs s’interrogent sur l’offre réduite dans l’enseignement qualifiant, dévalorisé selon eux avec l’instauration d’un tronc commun à tous les élèves depuis septembre 2023.

Troisièmement (et traditionnellement), CGSP-, CSC- et SLFP-Enseignement plaident pour un refinancement du secteur. «C’est là le vrai problème, confirme Joseph Thonon. Surtout pour l’enseignement supérieur, qui travaille en enveloppe fermée.»

Pas de perturbation à prévoir dans les écoles

Malgré la manifestation nationale, les syndicats estiment qu’aucune répercussion n’est à prévoir pour les écoles, qui devraient fonctionner normalement ce mardi 23 avril. Les enseignants du sud du pays qui souhaitent participer à l’événement bénéficient en outre d’une couverture de grève, et ne seront donc pas pénalisés sur le plan financier.

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