Science, gloire et retombées
Il y a quelques années, ils bossaient seuls dans leur laboratoire. Aujourd’hui, ils sont devenus des chercheurs vedettes, multipliant les publications prestigieuses et les attentions médiatiques. Une renommée qui leur permet d’obtenir des fonds, des collaborations internationales, des équipes multiculturelles. Mais qui attise les jalousies.
A son retour de vacances, deux lettres l’attendaient. Cachet du Kansas sur la première, écriture manuscrite et petits dessins. Un Américain désireux d’ouvrir un restaurant sur le lieu d’un supposé crash extraterrestre. Michaël Gillon le soutiendrait-il ? Dans la seconde enveloppe, des photos de lui griffonnées de quelques mots en allemand. Un fan, sans doute. Le chercheur liégeois ne comprend rien à la langue de Goethe. Il rigole. Et s’étonne. Comme de ces jeunes filles en pleurs venant solliciter un selfie, lors de son marathon médiatique aux Etats-Unis. Trois jours et deux nuits à se relayer, avec deux collègues, pour répondre aux journalistes. Elles provoquent ces effets-là, les conférences de presse de la Nasa. » Ils avaient fait tout un teasing, on aurait dit un épisode de Game of Thrones ! » Niveau séries, sa découverte de sept exoplanètes, publiée en février dernier dans la revue Nature, collerait plus à du X-Files. Des traces de vie existent peut-être ailleurs dans l’univers, quelque part à 39 années-lumière de la Terre, là où ces planètes (belgement nommées Trappist) orbitent autour d’une même étoile.
Qu’ont-ils donc, nos chercheurs, à multiplier les premières mondiales ces derniers temps ? Entre un Cédric Blanpain (ULB) qui enchaîne les publications prestigieuses sur les cellules souches et le cancer en moins de temps qu’il ne faut pour remplir une boîte de Pétri, un Stéphane De Wit (CHU Saint-Pierre) et une Carine Van Lint (ULB) qui tentent d’éradiquer le virus du sida, un Pierre Sonveaux (UCL) qui compte bien bloquer les métastases chez les personnes atteintes d’un cancer… L’article dédié à cette recherche néolouvaniste, dévoilée en 2014 dans la réputée revue Cell Reports, reste le plus lu sur le site de la RTBF et le plus commenté sur le compte Facebook de l’institution, même trois ans plus tard.
Comme Michaël Gillon, Pierre Sonveaux a reçu des tas de lettres et coups de fil. Tellement que le standard des cliniques universitaires Saint-Luc, où se situe son bureau, a fini par saturer. Mais ces appels-là n’avaient rien de cocasse. » Les patients voulaient savoir si je pouvais les sauver « , raconte le maître de recherches FNRS et professeur de pharmacologie. Sauf que ses travaux n’en sont même pas encore au stade de l’étude clinique. Il doit d’abord déterminer si les deux molécules analysées par son équipe (l’une baptisée MitoQ, l’autre au nom tenu secret) possèdent bel et bien la capacité d’empêcher le cancer de se généraliser. Un traitement éventuel n’aboutira pas avant cinq, sept, dix ans… Ou jamais.
Patrice Cani a lui aussi dû décevoir. Des personnes atteintes d’obésité ou de diabète de type 2, rêvant d’être soignées grâce à la bactérie qu’il a mise au jour. Elle s’appelle Akkermansia muciniphila, elle vit dans nos flores intestinales et permet aux souris nourries grassement de grossir deux fois moins vite que celles qui en sont dépourvues. Peut-être n’aura-t-elle aucun effet chez l’homme. Une étude de sécurité est en cours, première étape d’un long processus. » J’espère un jour pouvoir aider les gens. Mais on ne va pas supprimer l’obésité. Si on parvient à faire baisser le taux de sucre dans le sang, diminuer le taux de cholestérol ou faire perdre deux tours de ceinture, ce sera déjà beaucoup « , recadre le professeur et maître de recherches FNRS-Welbio.
« De l’ésotérisme, pas de la science »
A ses débuts en 2006, Patrice Cani était considéré comme un excentrique. Croire que le macrobiote pouvait avoir un impact sur la santé ? » De l’ésotérisme, pas de la science « , le recadra un jour un professeur. Plus personne n’oserait, désormais. Surtout depuis sa publication sur l’Akkermansia dans la revue américaine PNAS, en 2013. » Ils avaient envoyé un communiqué de presse mondial, alors que moi je n’avais même pas prévenu le service de presse de l’université, se souvient-il. J’ai été contacté de France, du Canada, des Etats-Unis… » Depuis, beaucoup d’autres articles se sont succédé, dont un dans Nature Medicine en novembre 2016.
Mais celui dans PNAS restera fondateur. Comme celui dans Cell Reports pour Pierre Sonveaux et dans Nature pour Michaël Gillon. Pas seulement parce que ces publications ont assis leur renommée respective. Pas uniquement parce qu’ils sont tellement sollicités pour des conférences qu’ils n’ont pas le temps de tout accepter. Pas juste parce qu’ils se retrouvent officiers du Mérite wallon, entre autres distinctions. Pierre Sonveaux a encadré dans son bureau une photo de lui entouré de deux ministres. Michaël Gillon n’en revient toujours pas que Trappist ait donné lieu à une pancarte vantant le savoir-faire belge dans le hall d’arrivée de Brussels Airport.
Lorsque les fonds commencent à tomber, débutent alors les jalousies. » Tu sollicites encore le FNRS ? T’es assez riche !
Fierté. Reconnaissance. Sollicitations par les plus grandes revues pour relire les travaux d’autres confrères, un must scientifique. Surtout, opportunité inédite de dénicher des fonds. Le nerf de la guerre. Avant 2013, les recherches de Patrice Cani sur l’Akkermansia relevaient du bricolage financier. Quelques deniers puisés à gauche, à droite. Un crédit de recherche de 30 000 euros du FNRS. L’espoir de décrocher bien plus, via une bourse européenne ERC. Hasard du calendrier, son passage devant le comité d’attribution tomba le lendemain du » boom médiatique mondial « . » Je pense que cela a été déterminant. Ça m’a donné du crédit « , estime-t-il. Idem pour l’obtention d’un subside wallon » first spin-off « , qui lui permet d’envisager la création d’une société. Sa notoriété a-t-elle aussi favorisé l’attribution du fonds Baillet-Latour, en 2015 ? » Je ne pense pas, mais je ne le saurai jamais « . Les 450 000 euros reçus sur trois ans furent en tout cas décisifs. Le salaire annuel d’un chercheur représente à lui seul entre 90 000 et 100 000 euros brut… Un jour, un médecin lui téléphone : son patient, atteint de diabète de type 1, souhaiterait le rencontrer. » Je lui ai expliqué mes travaux et je lui ai demandé de ne rien attendre de moi. Il en était conscient, il m’a dit qu’il avait de l’argent et qu’il estimait pouvoir contribuer à un projet auquel il croyait. » Identité et montant tenus secrets.
« T’es assez riche ! »
Pierre Sonveaux a, lui aussi, reçu deux appels déterminants. Le premier d’un mécène, qui a décidé de faire un don de 300 000 à 400 000 euros par an pendant cinq ans, afin de continuer à explorer le potentiel de MitoQ. Le deuxième d’un industriel. » Professeur Sonveaux, nous avons la molécule qu’il vous faut ! » Et de proposer de financer le travail de son laboratoire. Un tel coup de fil, Michaël Gillon en rêve… Comme celui qu’a reçu son partenaire de Cambridge de la part d’une fondation de milliardaires américains. Ou celui passé à un confrère saoudien, de la part d’un sponsor qui a contribué – à hauteur d’un million d’euros – à l’acquisition d’un télescope. Mais peu de chances que son téléphone sonne. Question de culture. Peut-être aussi de thématique : l’espace sensibilise moins que les maladies. Il aurait besoin d’un à deux millions d’euros sur cinq ans. » En Belgique, c’est juste impossible, juge- t-il. Mais au niveau européen, c’est envisageable. » Il a introduit une demande de bourse ERC. » J’espère que le succès de Trappist aidera à l’obtenir. Il est nécessaire de sortir de gros résultats pour recevoir des financements. »
Lorsque les fonds commencent à tomber, débutent alors les jalousies. » Il n’y a pas de conflit interne. Peut-être quelques frustrations, reconnaît pudiquement Michaël Gillon. Ceux qui travaillent sur d’autres thématiques se demandent pourquoi on parle tout le temps des exoplanètes et non d’autre chose. » Patrice Cani y va plus franchement. Il a entendu son lot de » pourquoi lui et pas moi, j’ai toujours bien bossé « , » c’est parce que son sujet a le vent en poupe » ou encore » pourquoi tu sollicites encore le FNRS ? T’es assez riche ! » Au fond de lui, une pointe de regret de n’avoir pu accepter cette chaire offerte par une université canadienne, qui lui garantissait des millions de financement. » Je n’aurais plus eu à me tracasser pour 30 000 euros… L’UCL m’avait dit « bon vent, on ne peut rien faire ». Sans ma femme et mes enfants, je ne serais plus ici. »
Dans la même cour que Harvard
Cette Belgique francophone aux poches vides… » Les autorités nous disent que, quand on n’a rien en main, on se montre innovant, on ne gaspille pas. C’est vrai. Mais le temps passé à courir après l’argent pourrait être mis à profit autrement ! » lance Patrice Cani. Les trois scientifiques ont construit leurs laboratoires avec des bouts de ficelle. Alors, forcément, ils ne cachent pas leur contentement d’attirer désormais des doctorants étrangers. » Récemment, pour une offre d’emploi, j’ai reçu 105 lettres, relate Pierre Sonveaux. Avant, c’était plutôt une vingtaine. » Et souvent en provenance du sud. Italie, Espagne, Maghreb… » Désormais, je suis aussi contacté par des gens du nord. Pays anglo-saxons, Allemagne, Suède… Ce n’est pas qu’ils soient meilleurs. Mais cela signifie qu’ils nous choisissent pour l’intérêt scientifique et non pour le salaire. »
La renommée facilite également les collaborations internationales, même si la compétition reste rude. Michaël Gillon est occupé à négocier du temps d’observation sur le futur observatoire spatial James Webb de la Nasa, qui devrait remplacer Hubble courant 2018. » Beaucoup d’équipes espèrent décrocher les meilleurs créneaux. Nous essayons de mettre en place une dynamique communautaire, j’espère qu’elle va tenir. Mais c’est clair que nous envoyer balader ne serait plus une option raisonnable ! » Ou comment la petite université de Liège joue désormais dans la même cour que Harvard.
Reste un autre type de retombées : celles qui profitent aux universités. Impossible de déterminer si le nombre d’étudiants augmente, si leur réputation s’améliore, si leur place progresse dans les classements internationaux. Sans doute l’espèrent-elles, sans quoi elles ne mettraient pas un point d’honneur à enseigner à leurs chercheurs à ne point oublier de mentionner leur nom lors d’interviews…
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