Lors d'un coup de foudre, différentes molécules chimiques sont libérées dans le cerveau.

Comment la chimie explique que l’on tombe amoureux d’une personne et pas d’une autre

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

Aimer, à perdre la raison? Lors d’un coup de foudre, différentes molécules chimiques sont libérées dans le cerveau. Des neurotransmetteurs qui induisent des réponses physiologiques – cœur qui bat, rougissement – mais aussi comportementales. Explications.

C’est un sentiment universel. De New York à Manille, l’amour rythme nos vies. Il influence l’humeur, dicte les interactions, pousse parfois à agir de manière déraisonnée. Malgré son rôle central, le coup de foudre reste pourtant mystérieux et relativement incompris. Depuis de longues années, les chercheurs s’échinent à décrypter ces émotions sur le plan physique, chimique ou biologique. Pour l’heure, la science n’a pas encore réussi à élucider exhaustivement l’énigme amoureuse. « L’amour, c’est une science molle, tranche d’emblée Armand Lequeux, gynécologue, sexologue et professeur émérite de médecine sexuelle à l’UCLouvain. Il n’existe pas de déterminisme biologique du choix amoureux. »

Les neurotransmetteurs de l’amour

S’il est impossible d’objectiver pourquoi un individu X s’éprend d’un individu Y – les paramètres culturels, socio-économiques, physionomiques et mnésiques pesant largement dans la balance – les réactions physiologiques et comportementales induites par un coup de foudre peuvent s’expliquer chimiquement. « Le cœur qui palpite, le pouls qui s’accélère, les joues qui rougissent… Toutes ces réactions sont causées par des neurotransmetteurs, des substances chimiques sécrétées dans le noyau caudé du cerveau lorsqu’on voit ‘l’âme sœur’ », indique Normand Voyer, professeur de chimie à l’Université Laval à Québec. L’expert liste quatre neurotransmetteurs principaux libérés dans le cas du coup de foudre :

  • La phényléthylamine : cette petite molécule est une amphétamine naturelle, qui agit comme une drogue. Quand elle est sécrétée, elle procure un sentiment de confort et de bien-être inégalé. « Il n’y a plus rien qui compte, illustre Normand Voyer. Vous laissez tomber votre téléphone portable sous un bus ? Vous marchez dans une crotte de chien ? Ce n’est pas grave, car vous êtes sur un petit nuage. »
  • La dopamine : ce neurotransmetteur est un stimulant, qui, lorsqu’il est relâché à très grande dose dans notre cerveau, active notre système nerveux au grand complet. « La dopamine stimule l’humeur et l’enthousiasme. C’est elle qui fait que, quand on voit quelqu’un pour qui on a le béguin, on devient gaga, on est souriants et on rigole sans raison », résume le chimiste.  
  • La norépinéphrine : cette molécule, qui appartient au même groupe que la dopamine et l’adrénaline, joue un rôle d’euphorisant. « Elle peut nous faire faire les pires stupidités, avertit Normand Voyer. Quand quelqu’un dit : ‘Je ne sais pas ce qui m’a pris, je n’étais pas dans mon état normal’, c’est notamment à cause de la norépinéphrine. »
  • L’adrénaline : cette molécule dite « de l’urgence » entraîne de nombreux effets biologiques, tels que l’augmentation du rythme cardiaque, de la pression artérielle ou de la température corporelle. Elle donne de l’énergie supplémentaire au corps et peut pousser à accomplir certaines actions.  

Ces neurotransmetteurs, libérés lors du coup de foudre, le sont de manière universelle. « Les études scientifiques l’ont démontré : que l’on soit homme ou femme, hétéro ou homosexuel, ce sont les mêmes molécules qui sont activées, aux mêmes endroits et avec les mêmes effets, insiste Normand Voyer. Le coup de foudre, c’est chimique, et il est quasi impossible d’en limiter les réactions. »

Si le taux de certains neurotransmetteurs augmente lors du coup de foudre, celui d’autres diminuent. C’est notamment le cas de la sérotonine, qui est pourtant chargée de modérer nos excès et de contrôler certains comportements (parfois exagérés par la norépinéphrine). Notre esprit critique peut ainsi s’en voir altéré.

L’amour dure trois ans: mythe ou réalité?

Toutefois, les effets du coup de foudre, comme ceux d’une drogue, sont limités dans le temps. Ces réponses chimiques induites par un stimuli – la vision ou la rencontre de l’être aimé – vont s’estomper avec l’habitude. « Il y a une accoutumance, un épuisement de l’excitation au fil du temps, détaille Armand Lequeux. Mais c’est le cas pour beaucoup de choses. Par exemple, quand vous achetez un nouveau tableau et que vous l’accrochez au mur, vous jubilez durant les premières semaines. Votre cœur bat en voyant que vous avez un Klimt dans votre salon, mais après six mois, vous le regardez à peine. »

De quoi donner raison à l’adage qui assure que « l’amour dure trois ans » ? Normand Voyer nuance : ce n’est pas l’amour, mais bien la sensation de coup de foudre qui est éphémère. « Les études scientifiques ont montré qu’à partir de dix-huit mois, la vision de l’être aimé induit toujours la sécrétion de neurotransmetteurs, mais dans une moindre mesure, indique le chimiste. Au bout de trois ans, ces molécules deviennent quasi inexistantes. » Mais l’amour ne disparaît pas totalement : il se transforme. « Une autre substance chimique va prendre la relève. Il s’agit cette fois d’une hormone, et non pas de neurotransmetteurs : l’ocytocine. » Également appelée « hormone de l’attachement », l’ocytocine, libérée à petite dose, est un puissant relaxant musculaire. « Lorsque vous revenez à la maison après une longue journée et que vous voyez votre amoureux, une petite dose d’ocytocine va être sécrétée. Elle va libérer toutes les tensions musculaires et procurer un sentiment de confort et de bien-être. A la longue, elle peut créer un sentiment d’attachement extrêmement puissant. »

« Les études scientifiques ont montré qu’à partir de dix-huit mois, la vision de l’être aimé induit toujours la sécrétion de neurotransmetteurs, mais dans une moindre mesure. Au bout de trois ans, ces molécules deviennent quasi inexistantes. »

L’ocytocine est également secrétée chez la mère lors de l’allaitement, lors de la succion du mamelon par le bébé, renforçant dès lors ce sentiment d’attachement. A noter que cette hormone est également libérée lors de l’orgasme.  

Normand Voyer, chimiste et professeur de chimie à l’Université Laval à Québec, auteur de la conférence « La Chimie de l’Amour ». Crédit: L. Leblanc.

« Un phénomène extrêmement complexe »

Et les phéromones, dans tout ça ? Ces substances chimiques et odorantes, sécrétées par la sueur, la salive ou l’urine, influent-elles sur le désir amoureux, voire la compatibilité entre deux individus ? Scientifiquement, rien ne le prouve. D’une part, l’être humain, bien qu’il ait un sens olfactif, voit aujourd’hui son organe voméronasal – qui permet de dépister les phéromones – complètement atrophié. D’autre part, l’omniprésence de substances odorantes – savon, shampoing, lessive – dans notre société actuelle camoufle les odeurs corporelles et les rend d’autant plus indistinguibles. « Les phéromones ne jouent donc qu’un rôle minime, résume Armand Lequeux. Et puis là encore, les facteurs culturels entrent en ligne de compte. Une odeur plaira à un Coréen, mais pas à un Sénégalais ou à un Danois. De manière générale, dans les rapports amoureux humains, l’aspect culturel joue un rôle bien plus important que l’aspect hormonal, contrairement aux rapports entre animaux. »

« Les scientifiques tentent toujours de rationaliser les phénomènes sociaux ou naturels en utilisant les lois de la chimie, de la physique ou de l’univers, reconnaît Normand Voyer. Mais il faut quand même rappeler que l’amour, cela se passe entre des êtres humains, qui sont influencés par leur vécu, leur éducation, leur religion ou leur culture, qui eux, sont difficilement rationalisables. » Ce bagage, ainsi que les circonstances d’une rencontre, vont largement peser dans l’évolution du sentiment amoureux. « L’amour est un phénomène extrêmement complexe, conclut le chimiste. La science a réussi à en déchiffrer quelques petites bribes, mais elle ne pourra jamais en percer tous les mystères. »  

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