Sexe en maison de retraite: le plus vieux des tabous
Les personnes âgées ont aussi envie de faire l’amour. Sauf que dans les maisons de retraite, on ne leur facilite pas souvent les choses. « La nouvelle génération de séniors ne se laisse plus faire : elle exige d’avoir une vie privée et une sexualité ».
Depuis 20 ans, Maria (70 ans) était veuve. Elle n’avait plus jamais fréquenté quelqu’un depuis la mort de son mari. Jusqu’à ce qu’elle souffre d’Alzheimer et rejoigne une maison de retraite. Là, elle rencontre Pol (73 ans). Très vite, ils deviennent inséparables et, main dans la main, arpentent les couloirs. Comme des Bonnie et Clyde d’un certain âge, ils volent parfois des bonbons et des biscuits chez les autres occupants de la maison de retraite. La famille de Maria est ravie de la voir à nouveau si rayonnante. Mais le personnel soignant est beaucoup moins enthousiaste. Surtout quand le couple fait savoir qu’il souhaite partager la même chambre. Soir après soir, le personnel arrache Pol de la chambre Maria. Au point que Pol, furieux, en devienne parfois agressif.
Leur romance va durer près de quatre mois. Jusqu’à ce que le personnel les retrouve, à moitié dénudés, en train de se caresser. C’en est trop. On décide de séparer les amoureux. Pol mange désormais dans sa chambre et sa porte est fermée à clé tous les soirs à 16h. On l’entend parfois taper sur les murs de désespoir. Quelque mois plus tard, Pol meurt. Et Maria a définitivement sombré.
Cette histoire n’est pas si exceptionnelle. Beaucoup de personnes trouvent que l’érotisme entre personnes âgées est quelque chose de sale et d’inapproprié. On attend de celles-ci qu’elles soient totalement asexuées dit le professeur Chris Gastmans, directeur du centre de bioéthique de la KU Leuven. « S’ils montrent encore des pulsions sexuelles, ils sont encore trop souvent considérés comme déviants. » En contre-pied, les médias et les publicités montrent des séniors sexy qui veulent faire l’amour jusqu’à leur lit de mort. La réalité est cependant plus nuancée que cela, selon Gastmans. « Les personnes âgées ne sont certainement pas asexuées, mais c’est vrai que tous ne souhaitent pas être sexuellement actifs. »
Selon une étude sur la population flamande, intitulée Sexpert et réalisée par l’UGent, UZ Gent et la KU Leuven, il ressort que 60 % des hommes et 40% des femmes de plus de 65 ans ont eu une relation sexuelle lors des 6 derniers mois. Une autre étude, anglaise cette fois-ci, montre que 25% des hommes de plus de 85 ans et 10 % des femmes étaient encore sexuellement actifs.
« Il est vrai que l’âge amène quelques problèmes sexuels comme un trouble de l’érection pour les hommes et des sécheresses pour les femmes » dit la gérontologue Els Messelis. « Mais rien d’insurmontable ou de définitif ». Et si vraiment, l’acte sexuel devient trop compliqué, « il y a encore d’autres façons d’exprimer son amour physiquement ».
Paternalisme
Dans les maisons de retraite, il y a donc ceux qui n’ont plus aucune envie et d’autres qui éprouvent encore certains besoins. Une chose que le personnel soignant préfère pourtant ignorer.
La plupart souhaiteraient que les habitants ne fricotent pas entre eux et dorment les deux mains au-dessus des draps, comme les enfants. » Il y a donc encore beaucoup de paternalisme dans ce domaine. C’est le personnel soignant qui décide ce qui est possible ou non. Sauf qu’ils oublient souvent qu’ils ont des adultes en face d’eux. On ne leur a jamais appris comment gérer ce genre de situation » dit Peter Degadt de Zorgnet-Icuro, un réseau de maison de repos. « Si nous voulons que ça change, nous devons donc mieux former le personnel » dit encore Gastmans.
« Hélas ce n’est que lorsque les choses tournent mal, comme lorsqu’un homme se masturbe en plein lobby, que les maisons de retraite appellent à l’aide », selon Steven De Weirdt de Aditi, une organisation qui donne des conseils autour de l’intimité et la vie sexuelle des personnes âgées, et qui met en contact des personnes âgées ou handicapées avec des professionnelles du sexe.
Il y a des maisons de retraite qui ne le tolèrent absolument pas et d’autres qui permettent les visites de ces professionnels du sexe. Même si les prostitués du circuit classiques sont beaucoup, beaucoup, plus rares.
Souvent, les besoins sexuels des patients sont simplement passés sous silence. Aussi parce que c’est plus confortable pour leurs enfants. Personne n’aime être confronté à la vie sexuelle de ses parents. Surtout s’ils sont très âgés. Seuls les couples mariés ont droit à une certaine intimité. Et encore. Pas facile pour un couple qui a dormi dans les bras l’un de l’autre depuis plus de cinquante ans de se retrouver dans deux lits séparés. Même si c’est souvent parce qu’une des deux personnes a besoin d’un lit adapté.
Au-delà des couples mariés, de nouvelles relations se forment aussi dans la maison de retraite. Très souvent même. Et eux ont plus à surmonter qu’un écart entre deux matelas. Si ces nouveaux couples sont surveillés, c’est « pour être sûr qu’il s’agit bien d’un consentement mutuel et pour éviter qu’ils se blessent. Le personnel cherche souvent à leur faire éviter tous les risques » dit une soignante. Sauf que, comme le précise Chris Gastmans, « ce sont justement les risques qui rendent la vie intéressante et nous devons accorder ça à ces personnes. D’autant plus que cette nouvelle relation leur redonne souvent le goût de vivre. »
Manque d’intimité
Le plus gros frein à un amour charnel en maison de retraite est le manque total d’intimité. Les portes sont la plupart du temps toujours grandes ouvertes. On rentre aussi dans les chambres à toutes heures du jour. Pour apporter à manger, des soins ou encore proposer des activités.
Une plus grande place pour la vie privée dans ces institutions est donc primordiale. « Une maison de retraite n’est pas un hôpital. On devrait pouvoir considérer sa chambre comme son chez soi où on devrait toquer avant d’entrer » dit Peter Degadt.
Le cas est encore plus problématique pour les personnes en institut spécialisé pour cause de démence. Ils sont surveillés en permanence et tous signes d’intérêt sexuel est vu comme faisant partie de leur démence et le manque de consentement rationnel qui en découle.
Il est vrai que certains habitants montrent leur envie très ouvertement, comme Karel qui tripote ses cohabitantes et les infirmières, ou Jenny qui embrasse tous les hommes qu’elle voit. Souvent ces personnes qui montrent leur frustration de manière très démonstrative sont enfermées dans leur chambre ou mises très tôt au lit. Ils reçoivent aussi des médicaments qui inhibent la libido.
Cela ne signifie pas que le personnel soignant doit tout laisser faire. Se masturber en public ne peut être toléré. Mais enfermer cette personne et le bourrer d’antipsychotique n’est pas non plus une solution. S’intéresser aux frustrations qui se cachent derrière de tels comportements serait bien plus salutaire. Ces personnes n’ont peut-être même pas envie de sexe, mais juste de contact humain. On devrait pouvoir en parler plus librement.
« Aujourd’hui il y a encore quelques centenaires parmi les résidents, des gens pour qui le sexe était fonctionnel. Ce n’est déjà plus le cas pour ceux qui ont 70 ans aujourd’hui. Dans 20 ans, plus personne n’acceptera que sa sexualité soit mise en veilleuse. Et ça, les maisons de retraite feraient mieux de s’y préparer » dit encore Steven De Weirdt.
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