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Lobotomies au XXe siècle: une tendance sexiste cautionnée par le milieu psychiatrique

Une étude récente menée par trois neurochirurgiens a démontré qu’entre 1935 et 1985, 84% des lobotomies pratiquées en Belgique, en France et en Suisse ont été réalisées sur des femmes.

Le constat des trois neurochirurgiens se base sur près de 80 articles et 3 thèses, publiés ces cinquante dernières années et provenant des archives de la bibliothèque interuniversitaire de santé de Paris.

Comment une méthode si brutale a-t-elle pu être aussi populaire le siècle dernier? C’est pour répondre à cette question qu’Aymeric Amelot, Marc Levêque et Louis-Marie Terrier ont enquêté sur l’historique sombre de la psychiatrie. Bien que l’étude n’a toujours pas encore été publiée, quelques lignes sont disponibles dans la revue scientifique britannique Nature. Les trois médecins ont également répondu aux questions des Terriennes, auxquelles Louis-Marie Terrier précise que tous les milieux sociaux étaient touchés par cette pratique. Le neurochirurgien ajoute que des patients de 2 à 85 ans ont subi des lobotomies durant la période analysée, et que, au total, 20 enfants ont été lobotomisés.

Un contexte historique accablant

L’inventeur de la lobotomie, Egas Moniz, est un neurologue et homme politique portugais. En 1949, il reçoit d’ailleurs le prix Nobel de médecine pour son apport inoubliable fourni au domaine médical.

La première lobotomie de l’histoire s’est pratiquée le 12 novembre 1935 par Egas Moniz, lui-même. La patiente était une ancienne prostituée de 63 ans souffrant de mélancolie et d’idées paranoïaques. Après l’opération, le médecin conclut que le processus s’est déroulé avec succès, la femme étant devenue plus « docile ».

Au début de la lobotomie, des débats aux propos négatifs se manifestent un peu partout. L’URSS bannit d’ailleurs ce procédé en 1950, qualifié « d’anti scientifique et inefficace ». Mais après la guerre, le procédé devient rapidement célèbre en Europe, et va d’ailleurs se développer aux États-Unis, via deux médecins (Walter Freeman et James Watts) qui vont exercer de la lobotomie de masse.

Il faut savoir que la plupart des interventions ont été expérimentées entre 1946 et 1950. L’environnement d’après-guerre et le douloureux souvenir de la Seconde Guerre mondiale sont intensivement présents dans la majorité des esprits. « Il régnait un chaos psychologique énorme et les psychiatres étaient complètement démunis », explique Louis-Marie Terrier. Les médecins n’avaient alors qu’à disposition des « traitements de choc » passablement inefficaces.

Considération des femmes au XXe siècle

Louis-Marie Terrier rapporte aux Terriennes qu’aucune explication n’a été recensée dans les publications concernant le nombre hautement élevé de femmes lobotomisées. Les maladies psychiatriques indiquées (schizophrénie, dépression, etc.) ne s’appliquent d’ailleurs pas plus aux femmes qu’aux hommes. Il y a cependant d’autres raisons sociétales durant ce siècle qui peuvent indiquer le pourquoi du comment.

À l’époque, la société patriarcale bat son plein. Les femmes n’ont pas de statut complet de citoyenne, elles ne sont pas autonomes et dépendent de leur père ou de leur mari. Bref, la liberté féminine est moindre au début du XXe siècle.

Ajoutons à cela qu’au tout début du XXe siècle, une « progressive médicalisation de la déviance juvénile féminine » se propage un peu partout. Les femmes considérées alors comme « malades » ou encore « hystériques », se voient plus sévèrement diagnostiquées que les hommes, et doivent subir des hospitalisations et des traitements lourds, souvent contre leur volonté. Pour la lobotomie, l’homme pouvait demander à pratiquer cette intervention sur sa femme, même si il y avait une absence de consentement venant de la part de la concernée.

Les femmes étant devenues les patientes d’un monde dominé par les hommes, ceux-ci ont inventé toute une série de mythes à propos d’elles et tout en considérant le corps féminin comme disponible à l’expérimentation.

En effet, pour garder les femmes à leur place, des maladies mentales réservées exclusivement à la gent féminine ont vu le jour. Celles-ci qualifiaient les femmes de folles, hystériques, ou encore névrosées, et permettaient aux médecins d’hospitaliser les femmes pour des raisons insensées.

La lobotomie de nos jours

Aujourd’hui, avec l’avènement des « camisoles chimiques », la plupart des pays ne font plus subir de lobotomies à leurs citoyens. Cependant, en France par exemple, aucune loi n’interdit formellement cette méthode.

Un rapport de l’Inserm datant de 2012 montre que les médicaments psychotropes sont plus souvent prescrits aux femmes qu’aux hommes. L’unique réponse à la souffrance des femmes provenant du corps médical est donc la médication. D’après certains médecins, les antipsychotiques sont devenus de vraies camisoles de force, pouvant aboutir aux mêmes effets qu’une lobotomie classique. Un grand nombre de féministes affirment que cette technique est utilisée pour faire taire la détresse des femmes, sachant que c’est également à celles-ci que les électrochocs sont le plus prescrit.

Marine Payez

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