L’art de la négociation (ou comment en sortir vainqueur)
Négocier est au coeur de nos relations sociales, tant dans la sphère privée que dans la sphère professionnelle. Mais quelles vérités révèle la recherche en psychologie au sujet de la négociation et des négociateurs ?
De chacun d’entre nous, on pourrait affirmer qu’il est en permanence en négociation. Un contrat, le choix d’une destination pour les vacances, un délai de paiement, qui descendra les poubelles… : nous négocions continuellement. À la maison, au travail, partout !
Toutefois, il serait erroné d’assimiler toute discussion à une négociation. Ou de croire que la négociation est indissociable d’un conflit. Non, elle a souvent pour finalité de gérer des intérêts divergents, mais non conflictuels. Comme lorsque deux personnes ont un projet en commun, tel que la création d’une entreprise, mais doivent s’entendre sur l’orientation exacte à lui donner.
Entre deux pôles
La forme que revêtent les négociations varie fortement selon les cultures et les époques. Ainsi, on ne mène pas une négociation de la même façon aux États-Unis qu’en Asie. « Outre-Atlantique, exprimer de la colère fait partie des normes et n’est donc pas de nature à bloquer la relation, indique Stéphanie Demoulin, professeur de psychologie sociale à l’Université catholique de Louvain (UCL) et auteur de Psychologie de la négociation (Éditions Mardaga). En Asie, par contre, prévaut une culture de la déférence, de sorte que la colère risque d’être interprétée comme un manque de respect. Elle conduirait la négociation dans une impasse et pourrait même susciter un rejet total de toute discussion ultérieure. »
Dans les ouvrages théoriques, on oppose deux grands types de négociations : les négociations distributives ou sur position, axées sur la compétition, et les négociations intégratives ou raisonnées, où l’accent est mis sur la coopération. Comme le fait remarquer la psychologue de l’UCL, il s’agit de cas d’école. La quasi-totalité des négociations se situent en réalité entre ces deux pôles extrêmes que sont la compétition pure et la coopération pure.
Ouvrir de nouvelles pistes
« Plus on s’oriente vers une négociation coopérative, plus on arrive à répondre aux intérêts de chacun », dit-elle. Dans la négociation distributive, par contre, ce que l’un gagne, l’autre le perd. Les négociations de vente et d’achat ont souvent cette coloration : les négociateurs ont la conviction qu’il est impossible de répondre simultanément aux intérêts des deux parties.
« Il y a pourtant moyen de faire évoluer la négociation vers un mode plus coopératif, assure Stéphanie Demoulin. Comment ? Par exemple, en accroissant le nombre de thématiques de discussion. Prenons le cas de la vente d’un appartement. Les deux parties vont généralement se braquer sur la question du prix. Mais on peut très bien imaginer d’introduire d’autres éléments dans la discussion, tels que le moment où le bien sera disponible, le fait de savoir si l’ancien propriétaire laissera la cuisine équipée à l’acheteur, etc. »
L’idée d’accroître les sujets de discussion permet de ne pas se focaliser sur une seule motivation, mais de mettre à profit le fait que les négociateurs ont des motivations multiples et qu’un aspect de la discussion ne revêt pas nécessairement la même importance pour chacun d’eux.
Au-delà des mots
Pour la chercheuse, une négociation essentiellement compétitive débouche au mieux sur un gagnant et un perdant. Mais dans le pire des cas, sur deux perdants… ou une rupture. Ainsi, dans le cadre d’une négociation pécuniaire, les personnes qui se révèlent trop compétitives gagnent parfois moins que lorsque les parties coopèrent. « Dans cette seconde hypothèse, les négociateurs peuvent envisager des solutions plus créatives qui rapportent davantage », explique Stéphanie Demoulin.
La négociation intégrative (coopération) présente de nombreux avantages. Néanmoins, elle n’est pas exempte de risques pour autant. Il n’y a d’ailleurs rien de pire pour un négociateur que de coopérer avec quelqu’un qui s’inscrit dans une logique de compétition et va exploiter à son avantage les informations que lui fournit son interlocuteur.
Attention au non-verbal
La part du non-verbal est prépondérante dans une négociation. Un des écueils dans lequel tombent la plupart des négociateurs est de focaliser leur attention sur le verbal, sur les propositions formulées. Or, les émotions de satisfaction, de déception, de colère, etc. que reflètent les mimiques faciales, par exemple, influent fondamentalement sur le cours de la négociation. Si nous sourions de plaisir parce que nous trouvons une maison à notre goût, nous placerons le vendeur en position de force : il pourra alors accroître son prix suite à l’émotion que nous avons laissé transparaître.
Même si le verbal polarise généralement son attention, tout négociateur essaie, à des degrés divers, de contrôler certains aspects non verbaux. Y compris au cours d’une négociation se déroulant dans une optique coopérative. Stéphanie Demoulin estime qu’on ne peut pas parler pour autant de manipulation, même si elle admet que celle-ci est bien présente dans certains cas.
Le poids des stéréotypes
Existe-t-il des différences marquées entre hommes et femmes dans les situations de négociation ? Même si l’écart de performance n’est pas très net, les femmes n’obtiennent pas, globalement, d’aussi bons résultats que les hommes lorsqu’elles participent à des négociations. Selon de premières études relatives au genre, l’homme aurait tendance à adopter une attitude plus compétitive que la femme, laquelle se montrerait habituellement plus coopérative. Les femmes seraient également plus réticentes à entrer en négociation. « Des études plus récentes ont mis en évidence tout le poids des stéréotypes, explique Stéphanie Demoulin. La négociation étant considérée à la base comme une activité masculine, les femmes ont l’impression qu’elles seront mal perçues par leur interlocuteur si elles y prennent part. Et si elles le font, elles seront confrontées aux stéréotypes culturellement partagés dans la société selon lesquels les hommes sont généralement compétents mais assez peu sociables, tandis que les femmes sont très sociables mais manquent de compétence. »
Dès lors, la personne qui négocie avec une femme lui soumettra généralement une offre moins intéressante qu’à un homme. Quant aux femmes, elles auront tendance à se comporter conformément à ce que l’on attend d’elles, sous peine d’être rejetées.
Stéphanie Demoulin précise cependant que, selon des données récentes, on accepte qu’une femme soit assertive – c’est-à-dire sûre d’elle et de ses arguments, voire agressive – si elle n’agit pas dans son propre intérêt, mais dans celui d’un groupe. Imaginons qu’elle dirige un syndicat, par exemple. Il semblerait par ailleurs que les femmes qui parviennent à concilier assertivité et féminité soient bien acceptées comme négociatrices.
Par Philippe Lambert
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