Le Sens de la fête, la chronique irrésistible d'un riche mariage bourgeois. © QUAD TEN FILMS - GAUMONT - TF1

La résistance par la joie

Le Sens de la fête confirme avec éclat le talent pour la comédie sociale d’Eric Toledano et Olivier Nakache. Rencontre avec une moitié du duo, déjà responsable d’Intouchables et Samba.

Le duo Toledano – Nakache est au top depuis le triomphe d’Intouchables. Une évidence que leur nouvelle comédie sociale épatante, Le Sens de la fête, ne va pas démentir (lire la critique dans Focus/Vif, en p. 36). Pour évoquer cette chronique irrésistible d’un riche mariage bourgeois vu depuis les coulisses où s’activent maîtres d’hôtel, serveurs, plongeurs et cuisiniers, c’est le premier cité qui s’est livré à nous. Nous avons choisi Eric Toledano pour son petit supplément de faconde, et l’humanité qui émane de ce réalisateur et scénariste bien dans sa démarche d’artiste visant le divertissement tout en y développant des thèmes propres à faire réfléchir…

Féru d’actualité (il avoue lire trop les nouvelles, au risque de déprimer…), le quadragénaire barbu aura par exemple apprécié la déclaration de son confrère Guillermo del Toro, tout juste couronné au festival de Venise (1) la veille de notre interview.  » L’acte d’amour suprême entre deux êtres, c’est de se regarder « , disait le Mexicain. Et le Français d’approuver :  » On peut se voir sans regarder. Regarder l’autre, vraiment le regarder pour qui il est, c’est lui donner du poids. C’est ce qu’on essaie de raconter au cinéma depuis pas mal de temps, Olivier et moi. Nous avons toujours évolué dans des groupes, nous nous sommes connus dans celui d’une colonie de vacances (2), et le cinéma est peut-être -inconsciemment – une prolongation de cette vie de groupe. On a toujours cette passion de manger à 80 à table… Le groupe, c’est l’endroit où on se trompe facilement sur le compte des uns et des autres, au premier regard.  » Lui c’est le chiant, elle c’est la chieuse, lui c’est l’intello…  » Mais le groupe, c’est aussi le temps passé ensemble et mis à profit pour possiblement modifier ce premier regard. C’est entre autres ce que raconte Le Sens de la fête, l’espace de 24 heures. Mais déjà Intouchables et Samba parlaient de ça, de passer du  » se voir  » au  » se regarder « . Je crois que le cinéma a vocation à ouvrir les regards. Parce qu’une fois assis dans la salle, on est  » obligé  » de vivre des vies qu’on n’a pas vécues, de ressentir pour des personnages une empathie qui permet de comprendre et ressentir des choses que l’on n’aurait pas ressenties ou comprises sans cette identification.  »

Souci de réalité

Nakache et Toledano font un cinéma qui pense, mais où la pensée passe par le plaisir partagé du spectateur.  » En France, surtout, on oppose trop souvent ces deux choses : éprouver du plaisir et réfléchir seraient incompatibles. Il faudrait souffrir au cinéma, un peu au moins… En ce qui nous concerne, la comédie n’était pas ce qui nous intéressait le plus au départ. Nous avions vraiment envie de nous exprimer, et sur des sujets sérieux. Mais nous n’avions pas assez confiance en nous pour y aller carrément. Alors, la comédie est intervenue comme le sucre qu’on met sur le gâteau : pour faire passer. La comédie évite la prétention d’avoir un « message à délivrer au monde ». Dans le mélange entre drame et comédie, nous nous sommes épanouis. Au risque d’être pris pour des rigolos. Le choix d’un grand réalisme répond chez nous à ce risque. Nous nous efforçons d’inscrire nos films dans une réalité observée dans les moindres détails. Et dans le choix des acteurs. Chacun d’entre eux doit être dans l’incarnation de quelqu’un qui existe dans la société.  »

Tout en riant d’abondance aux nombreux rebondissements d’une folle journée de mariage qui flirte plus d’une fois avec la catastrophe, on ne peut s’empêcher d’apercevoir effectivement du politique dans Le Sens de la fête. Notamment et surtout dans une scène où tous les participants s’unissent dans une sorte d’after party musicale où s’effacent, un moment au moins, différences sociales et d’origine. Une petite bulle d’utopie dont Eric Toledano ne masque pas l’intention profonde.  » C’est politique à 100 % et j’assume ça totalement, déclare-t-il. J’ai l’impression que le modèle du non-fonctionnement est aujourd’hui érigé en modèle universel. On va toujours essayer de nous montrer ce qui ne marche pas, ce qui ne fonctionne pas, et qui va nous déprimer. Moi je suis déjà au courant que le monde est chaotique, que rien n’est réjouissant et que, quand j’allume la télé, j’ai envie de me pendre. Tout va mal, et celui qui n’est pas au courant de ça, soit il vit chez Walt Disney, soit il n’est pas équipé des quelques neurones qui permettent de voir le chaos autour de nous. Mais comme dit un des personnages du film en citant Beaumarchais :  » Je me presse de rire de tout, de peur d’être obligé d’en pleurer.  » L’optimisme est un choix de vie, l’utopie est un devoir à nos yeux. Une forme de résistance par la joie. Nous espérons, nous voulons espérer, qu’il est encore possible d’être ému, même fugacement, par la beauté de ce monde…  »

Mosaïque

Une fois de plus, le tandem réussit avec naturel ce que tant d’autres réalisateurs et scénaristes font avec lourdeur et insistance : montrer la mosaïque des genres et des origines.  » C’est juste comme ça que nous voyons les choses et que nous les retranscrivons. La vie réelle est faite de cette coexistence entre les uns et les autres, il nous revient de montrer ce qui peut nous unir. Olivier et moi, on a grandi comme ça, à une époque où ça fonctionnait mieux que maintenant, avec moins de communautarisme, moins de mise en avant de la religion. Je trouve que le rôle de la religion s’est déplacé. Plutôt que d’y voir de l’amour, j’y vois aujourd’hui plus d’ego, plus de bêtise, plus de soi-disant vérités qui s’affrontent. Heureusement, il y a encore des gens avec assez d’intelligence et d’abnégation pour ne pas brandir de drapeau et vouloir vivre ensemble. Notre prochain film parlera d’eux.  »

Toledano et Nakache n’entendent pas de sitôt sacrifier  » cette liberté que nous a donnée l’aventure d’Intouchables. Elle aurait pu nous tétaniser. On a plutôt décidé d’en user pour continuer, mais en nous fixant nos propres contraintes. Dont celle de garder le cap de l’humour. Lequel est une forme de tristesse déguisée et élégante.  » Et Toledano de conclure :  » Avec Le Sens de la fête, nous avons voulu créer un petit monde parallèle, avec de l’espoir, à côté de celui, si terrible et anxiogène, qui nous entoure aujourd’hui.  »

(1) Lion d’Or pour The Shape of Water.

(2) Milieu choisi pour leur premier long métrage, Nos jours heureux, en 2006.

PAR LOUIS DANVERS

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