Turquie: la liberté de la presse n’a jamais autant souffert
La liberté de la presse déjà bafouée est à son plus bas niveau historique en Turquie. Le placement en détention préventive du journaliste Can Dundar passible de prison à vie pour « espionnage » et les perquisitions menées dans les locaux de différents journaux n’ont fait qu’empirer la situation, rapporte Slate.
Depuis l’arrivée d’Erdogan à la présidence, la situation semble avoir empiré pour la presse nationale. Les journalistes et militants de la liberté de parole sont de plus en plus réprimés. Particulièrement en ce qui concerne les questions kurde et arménienne, le scandale de corruption ainsi que les critiques envers le président et ses politiques. Et notamment sur l’intervention de la Turquie en Syrie.
Début septembre dernier, un groupe d’éminents intellectuels turcs exprimaient dans une déclaration commune leur crainte de voir la Turquie suivre le chemin de l’Allemagne nazie, rapporte Slate. Celui d’un gouvernement démocratique se changeant en dictature impitoyable. Les signataires de ce texte réagissent aux perquisitions menées dans les locaux du groupe Koza Ipek Holding et à l’inculpation du directeur de la publication, Can Dundar. Pour motifs d’espionnage, de divulgation de secrets d’Etat et de propagande en faveur d’une organisation terroriste. Le groupe était soupçonné de financer l’organisation d’un ancien allié d’Erdoğan, devenu son ennemi.
En octobre, la situation s’est encore assombrie. La police est intervenue pour prendre possession des studios de Bugün TV et Kanaltürk. A quelques jours des élections législatives (remportées par l’AKP) et sur fond de réactivation du conflit kurde, ces administrateurs ont procédé au licenciement de plus de soixante journalistes. Fin novembre, la mort de Tahir Elçi est venue encore noircir un peu plus le tableau. Cet homme était le leader de la lutte pour les droits de l’homme dans le Kurdistan kurde. Il aurait été une victime collatérale ou la victime d’une exécution maquillée pour avoir affirmé que le groupe armé kurde PKK n’était pas une organisation terroriste.
Liberté d’expression au plus bas
Pour les défenseurs de la liberté d’expression, la Turquie à clairement atteint son niveau le plus bas en terme de liberté d’expression et d’opinion. Cette fois, ce sont les grands médias qui sont marginalisés, les journalistes qui sont visés et la prison est une possibilité bien réelle pour eux. Cette politique vaut à la Turquie de figurer à la 149ème place sur 1480 dans le classement RSF de la liberté de la presse dans le monde, selon Slate.
La plupart des journaux ont abandonné leur sens critique à l’égard des dirigeants du pays, de peur de représailles. Mais pour ceux qui résistent, la pression monte. Depuis leur prison, deux journalistes turcs ont adressé un appel à l’aide aux dirigeants européens, à la veille du sommet EU-Turquie. Ils encourageaient les chefs d’Etat à ne pas sacrifier leurs propres principes dans la poursuite de gains précaires concernant la gestion du flux des réfugiés syriens vers l’Europe. Bien que le sommet se soit achevé sur un accord concernant l’octroi de trois milliards de dollars par l’Europe à la Turquie, les questions des droits de l’homme et de la liberté d’expression ont à peine été évoquées.
Pour Reporters sans Frontières, la censure gagne rapidement du terrain en Turquie, où la situation ne cesse de se dégrader sur fond de crise politique majeure. En deux semaines, la censure a frappé des médias proches de la plupart des forces d’opposition : des titres kémalistes, gülenistes, pro-kurdes et de gauche ont tour à tour été pris pour cibles.
Pourtant, Reporters sans Frontières souligne le rôle crucial des médias pour témoigner de la situation et permettre le débat démocratique. Ouvrir l’espace du débat démocratique est une condition indispensable à la paix. Seule la fin du conflit permettrait à l’Etat de développer une culture de la transparence et du respect des médias.
De son côté, Amnesty International lutte depuis une dizaine d’années pour la suppression de l’article 301 du Code pénal turc interdisant « le dénigrement de l’identité turque, de la République et de la Grande Assemblée nationale de Turquie ». Cet article est une violation directe de la liberté d’expression. Il a souvent été utilisé pour entamer des poursuites à l’encontre de journalistes exprimant des opinions différentes de celles prônées par le gouvernement. Dans son rapport Amnesty plaidait pour une abolition complète de cet article.
En 2009, cet article a été modifié par le Parlement mais il constituait toujours une restriction injuste à la liberté d’expression. Les tribunaux turcs ont rendu de nombreux jugements disproportionnés et arbitraires, comme la fermeture de site internet en raison d’articles publiés. Exprimer des opinions dissidentes était déjà dangereux à cette époque. Les personnes qui s’y risquaient étaient menacées de violentes représailles.
Un exemple récent de censure est celle exercée par Erdogan sur les réseaux sociaux en 2014. Facebook, Twitter et Youtube ont été censurés suite à la diffusion de propos remettant en cause le président turc.
Dans les années qui ont suivi, la situation ne s’est pas améliorée. De nombreuses lois permettaient de limiter cette liberté d’expression, entre autres avec ce fameux article 301 du code Pénal. Des actions en justice ont également été intentées, en vertu de la législation antiterroriste contre des personnes qui avaient fait usage de la liberté d’expression, au sujet de la question kurde en Turquie. Pratiquement rien n’avait été fait pour remédier aux restrictions qui pesaient sur la liberté d’expression dans les médias et la société civile.
Malgré l’adoption de modifications visant à améliorer la situation, depuis 2013, les journalistes connus pour faire preuve d’indépendance d’esprit continuent de faire l’objet de poursuites pénales. L’indépendance des médias est toujours compromise par les relations étroites entre ces entreprises et les pouvoirs publics. La dénonciation d’un scandale de corruption en 2013 a particulièrement déplu au Chef de l’État Erdoğan. Le gouvernement a estimé qu’il s’agissait d’un complot visant à ébranler le gouvernement.
E.D
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