Tunisie : Pourquoi le pays est-il si souvent la cible de l’Etat islamique ?
Le dernier attentat en date en Tunisie, qui a eu lieu lundi matin à la frontière libyenne, constitue la quatrième attaque terroriste en moins d’un an sur le sol tunisien, après le musée du Bardo en mars 2015, la plage de Sousse en juin de la même année et l’attaque fin novembre d’un bus de la garde présidentielle à Tunis. Pourquoi la Tunisie est-elle devenue une des cibles importantes de Daech ?
Lundi matin, la Tunisie a été une nouvelle fois le théâtre d’un attentat perpétré par l’Organisation Etat islamique, à la frontière avec la Libye, dans la ville de Ben Guerdane. Les 50 à 60 assaillants djihadistes ont attaqué à l’aube de manière coordonnée, une caserne de l’armée, un poste de police et un quartier général de la garde nationale. Le bilan définitif fait état de 54 morts : 36 parmi les assaillants, 12 personnes des forces de l’ordre et 7 victimes civiles.
« L’EI a attaqué la ville de Ben Guerdane dans le but de créer un émirat islamique, comme ils l’ont fait à Raqqa (Syrie), Mossoul (Irak) et Syrte (Libye). L’objectif, c’est hisser le drapeau noir et enlever le drapeau tunisien. C’est symbolique. L’EI a pensé que cette ville, située aux confins de la Tunisie et proche de la Libye, pourrait être facile à rallier à sa cause. Que du contraire. Les habitants n’ont pas été dupes et des vidéos montrent même des jeunes aider les services de sécurité », avance Riadh Sidaoui, politologue tunisien, spécialiste du terrorisme et directeur du Centre arabe de recherches et d’analyses politiques et sociales (CARAPS) de Genève.
Ce bilan est le plus lourd jamais enregistré dans le pays depuis l’émergence d’un mouvement islamiste dans les années 2000 (dont l’ampleur a été décuplée depuis la révolution de 2011). Le Président Beji Caïd Essebsi a fermement condamné cet attentat : « Le peuple tunisien est, dans son immense majorité, en guerre contre cette barbarie et ces rats que nous allons exterminer ». La frontière a souvent été traversée par de nombreux jeunes Tunisiens partis se former au djihad en Libye, pour ensuite revenir dans leur pays d’origine avec le projet de commettre un attentat.
Pourquoi attaquer la Tunisie ?
Selon M. Sidaoui, il existe plusieurs conditions qui ont permis l’émergence de telles atrocités en Tunisie. Une des raisons importantes est le trafic d’armes. Elles circulent partout et très facilement via la frontière libyenne.
« Ensuite, à l’époque où le parti islamiste Ennahdha était au pouvoir (ce qu’on appelait la Troïka, une coalition dont faisait partie Ennahdha, entre novembre 2011 et novembre 2014), certains de leurs dirigeants (il existe une aile du parti proche du salafisme) ont publiquement incité les jeunes à se rendre en Syrie pour y faire le djihad », enchaîne-t-il.
Il dénonce aussi la banalisation du discours terroriste et enfin le démantèlement des services secrets tunisiens après la révolution (qui était alors un peu la police
secrète de Ben Ali), rendant le pays plus vulnérable.
Frapper là où ça fait mal
« Les terroristes ont toujours une stratégie. Dans ce cas-ci, ils veulent terroriser la société et l’économie. C’est pour cette raison qu’ils déclenchent un attentat très spectaculaire presque tous les trois mois », nous apprend M. Sidaoui.
Les terroristes ont souvent plusieurs objectifs :
« Premièrement, ils s’en prendront à tout ce qui symbolise les représentants de l’Etat (police, gendarmerie, armée), comme à Ben Guerdane. Ces forces de l’ordre demeurent encore à l’heure actuelle les victimes les plus nombreuses des attaques« , nous dit-il.
Il poursuit : « Ensuite, ils s’attaqueront à des personnalités politiques influentes, notamment celles qui tiennent des discours allant à l’encontre de leur propagande. Et qui ont une capacité d’influence élargie ».
Ce que les terroristes visent aussi particulièrement, et c’est très visible en Tunisie, c’est l’économie, via le tourisme. Comme il n’y a pas de pétrole ni de gaz, contrairement en Libye, l’EI cible les lieux touristiques, comme en témoignent les attaques au musée du Bardo ou sur les plages de Sousse.
Tunisie, symbole du Printemps arabe
La Tunisie est le premier pays à avoir connu les révolutions du Printemps arabe à la fin de l’année 2010. Cette révolte a conduit à la chute du Président Ben Ali. C’est là que le mouvement démocratique « post Printemps arabe » a le mieux réussi. C’est un pays qu’il faut, pour les terroristes, déstabiliser.
« L’EI attaque aussi la Tunisie car c’est le symbole le plus fort des révolutions et des printemps arabes. C’est le seul pays arabe laïc, où la démocratie laïque a fonctionné. Et à travers les urnes, le peuple a choisi d’élire un autre parti que le parti islamiste (Ennahdah, NDLR). Ce dernier a perdu les élections de 2014. C’était une toute nouvelle donne. Ça a été un choc pour l’internationale islamiste. Et leurs représentants ont peur que, si la démocratie fonctionne donc bien en Tunisie, qu’elle fasse tache d’huile et « contamine » les autres pays arabes, qui ne vivent pas la modernité, qui ne vivent pas dans la laïcité et où les droits des femmes ne sont pas respectés. Or, en Tunisie, les femmes ont énormément de droits, parfois plus que dans certains pays d’Europe », nous dit M. Sidaoui.
Le tourisme, victime directe du terrorisme
Le tourisme en Tunisie est une des principales ressources économiques du pays. Dotée de nombreuses plages et de complexe de vacances, ainsi que d’un patrimoine historique important, la Tunisie constitue une des destinations favorites des Européens. Selon « l’Obs », le secteur génère environ 400.000 emplois.
Selon un article du Figaro, le tourisme en Tunisie représente environ 7,5% du PIB du pays. Sur les 8 premiers mois de l’année 2015, il avait attiré 4 millions de personnes, soit 1 million de moins que l’année précédente à même période.
Selon un article de France 24 cette fois, les chiffres les plus récents font état d’un recul de 2 millions de touristes en 2015 par rapport à l’année précédente.
Deux jours à peine après l’attaque de Sousse, ce sont plus de 4500 touristes qui ont fui le pays. Chez nous, Jetair avait même annulé tous ses vols en direction de la Tunisie jusqu’au 31 juillet. La ministre tunisienne du Tourisme avait estimé à l’époque que l’attentat avait causé environ 450 millions d’euros de pertes.
Riadh Sidaoui, conclut : « Nous allons sûrement encore connaître des épisodes noirs, mais contrairement à la Syrie ou l’Irak, ici l’Etat est toujours présent. La police est certes en restructuration, mais devient de plus en plus efficace. De plus, lentement certes, mais l’armée s’est aussi adaptée à la lutte contre le terrorisme ».
Maxime Defays
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