Goele Janssen
« Sans discours convaincant ou sans vision pour l’Europe, l’UE n’est qu’une boîte vide pour les citoyens »
‘Quo Vadis Europa’ c’est la question qui a été posée par le président de la Commission Européenne Jean-Claude Juncker ce mercredi au Parlement européen. Cela peut se résumer en ces termes : ‘Europe : quel futur’?
Après plusieurs initiatives et propositions proposées par le Parlement européen, entre autres par Guy Verhofstadt, la Commission européenne a également présenté ses propositions pour le futur de l’Europe. Bien entendu, il ne s’agit encore que de ‘propositions’ parce que la Commission souhaite en débattre avec le Parlement, les gouvernements des États membres et les citoyens européens plutôt que de choisir elle-même l’option la plus favorable.
Juncker envisage cinq options potentielles : continuer simplement, faire moins de choses ensemble, choisir ce que nous souhaitons faire ensemble, construire une Europe fédérale avec tous ceux qui le souhaitent.
Rien de plus qu’un marché unique
‘Rien de plus qu’un marché unique’ pourrait sembler l’option la plus modeste, alors qu’elle met en question tout le projet européen. Le commerce et la coopération économique ont toujours été utilisés comme moyens pour la réalisation d’un but et d’un idéal politiques. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, réaliser la paix et la reconstruction était l’objectif pour lequel les industries du charbon et de l’acier, cruciales à la construction d’une armée, ont été mises sous une autorité supranationale.
Si l’on considère l’UE aujourd’hui, l’argument de la coopération économique demeure pertinent. En revanche, l’objectif politique de la paix sur le continent européen est victime de son propre succès. La chute du mur de Berlin et du rideau de fer date d’il y a longtemps pour la plupart des gens. Une guerre sur le continent européen semble presque impossible. Toutefois, à la place des murs qui sont tombés, de plus en plus d’Européens veulent en construire de nouveaux.
Cela a créé un fossé entre le citoyen européen et le projet européen. Ni le renforcement du contrôle parlementaire européen, ni des instruments de participation citoyenne tels que l’initiative citoyenne européenne, bien qu’ils soient importants, ne vont suffire à résoudre ce problème. Les avantages d’un marché unique ou des échanges Erasmus ne semblent pas plus intéressants aux yeux du citoyen moyen. Même la réglementation sur la durée de travail maximale ou sur le congé de maternité obligatoire ou des réalisations telles que les droits des passagers ou la suppression des charges »roaming » ne sont pas prises en considération. En outre, l’UE ne peut faire oublier son souci persistant, en tout cas en apparence, de vouloir tout réglementer, et pas seulement parmi ceux qui ont voté pour un Brexit au Royaume?Uni.
Sans discours convaincant ou sans vision pour l’Europe, l’UE n’est qu’une boîte vide pour les citoyens
Sans discours convaincant ou sans vision pour l’Europe, l’UE n’est qu’une boîte vide pour les citoyens ou encore pire, un projet économique et bureaucratique géré secrètement dans les coulisses. Nous avons donc besoin d’une nouvelle histoire européenne, une histoire qui doit être écrite pour nous tous. Si l’on s’en tient à cet objectif, l’idée avancée par Juncker de laisser le choix à nous, les citoyens, n’est peu?être pas sans intérêt. Qu’est-?ce que nous voulons faire de l’Europe ? Qu’est-?ce qui constitue notre histoire européenne ? Pourquoi se soucier de l’Europe ?
Si l’on en croit l’évolution de l’Eurobaromètre ou le taux limité de participation aux élections européennes de 2014, peu de citoyens se soucient de l’Europe. Malheureusement, le niveau national ne peut pas davantage se réjouir du soutien populaire et de la participation des électeurs. Le discours national populaire a même tendance à blâmer l’UE et à l’accabler de tous les maux. La victoire du leave à 51,9% lors du référendum britannique a ouvert à nouveau le débat sur ce fossé entre la politique européenne et les citoyens.
L’opinion populaire affirme parfois que l’UE est un projet réservé à une élite. Selon cette perception, l’UE aurait été établie par et pour l’élite socio?économique des grandes entreprises et les eurocrates ou par l’élite intellectuelle des universitaires. En plus d’une crise de légitimité, il y a également le sentiment que l’Europe est impuissante ou manque de pertinence. Il est difficile de promouvoir la nécessité d’une approche internationale face à une menace internationale telle que la crise des réfugiés ; cette approche s’avère le plus souvent faible ou nulle. Les blocages fréquents au sein du Conseil européen ne plaident pas en faveur d’un besoin d’Europe. Bien que ce soient les États membres qui ne parviennent pas à se mettre en accord, la réputation de l’Union européenne en pâtit.
Plus compliqué qu’un simple ‘oui ou non’
Les référendums semblent être des outils politiques populaires dans l’histoire récente de l’Europe. Tout se réduit souvent à répondre « oui » ou « non » à la question posée. Ainsi en a-t-il été de la Constitution européenne, renvoyée aux archives et même du Traité de Lisbonne qui a subi des difficultés. Plus récemment, nous avons assisté au référendum grec à propos du « plan Troïka » qui avait pour but de sauver le pays de la faillite, le référendum néerlandais sur l’accord d’association avec l’Ukraine, l’ultime référendum sur le Brexit, le référendum italien sur le changement constitutionnel ou encore le référendum hongrois sur le plan européen de répartition des réfugiés.
Chaque fois, on posait une question qui requiert un simple « oui » ou « non » comme réponse. Non seulement cela nous amène à des discussions en noir et blanc, mais en plus un grand nombre d’autres questions ne sont pas incluses dans le débat. Cela révèle un problème sous-?jacent : les citoyens ne voient plus la différence entre le projet européen et sa mise en oeuvre. Un débat dans lequel l’UE est à prendre ou à laisser fait oublier la notion d’un projet européen qui puisse être amélioré selon les besoins et les convictions des citoyens. Lorsque les activités de l’UE sont insatisfaisantes, il semble que la seule option soit de voter ‘non’.
Voici venu le temps d’un vrai débat
Elle n’est donc peut-être pas mal l’idée du président de la Commission européenne de laisser le choix aux citoyens entre ces cinq larges options vu qu’on risque autrement que le débat public sur l’Europe se limite à une histoire oui/non. Bref, il est bien temps pour nous tous de nous mouiller et d’exprimer quelle Europe nous souhaitons. En tant que Mouvement européen nous avons déjà suscité ce débat à l’échelle européenne ensemble avec d’autres ONG. L’Europe, elle peut et elle doit s’améliorer. À la question « Comment l’Europe doit-?elle être améliorée », chacun peut avancer sa propre réponse ou sa proposition. En Belgique aussi nous voulons maintenant susciter ce genre de débat plutôt que d’attendre jusqu’aux élections. Voilà la raison de notre appel d’aujourd’hui. L’Europe est à nous tous et c’est à nous d’exprimer ce que nous voulons en faire. Certains choix sont simplement trop importants pour les laisser à la seule initiative des politiciens.
Version néerlandophone parue sur Knack.be, en remerciant Aurore Dupuis et Pierre Dehalu pour la traduction.
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