Radicalisation: Entre opportunisme et pression
Johan Leman, docteur en anthropologie sociale et culturelle, se penche dans un article publié lundi dans la revue Justice & Sécurité, sur le processus menant des jeunes à partir faire le djihad. « Un processus qui, en fin de compte, entretient moins de relations qu’on ne pourrait le penser avec les structures de l’islam de Belgique et avec la religion elle-même. »
Le professeur émérite à la KU Leuven s’appuie entre autres sur des interviews de parents ou amis de 20 jeunes partis, ou sur le point de le faire, menées d’octobre 2014 à janvier 2015, ainsi que sur des articles littéraires.
L’auteur mentionne notamment un livre de T. Fraihi publié en 2015. Ce dernier, qui travaille pour l’Ocam, évoque comme motifs possibles de départ vers la Syrie les idées salafistes, l’image de la Syrie véhiculée par les médias (sociaux), l’opportunisme ainsi que la pression.
L’absence d’autorité sur le plan familial ou des problèmes financiers peuvent aussi motiver le choix d’un « djihadisme militaire militant ». Mais « pour autant, on ne peut pas affirmer que ces jeunes gens ont rejoint le djihad à cause de conflits familiaux », selon M. Van San, cité par J. Leman.
L’auteur de l’article identifie quatre « générations » chez les jeunes radicalisés ces dernières années: la génération « Sharia4Belgium », en 2012, composée « de quelques petits délinquants », une génération en 2013 de « jeunes sans doctrine attirés par l’aventure », un autre qui compte de plus en plus de femmes « à la recherche d’une vie dans le califat » (2014), puis, plus récemment, celle de personnes qui « souhaitent visiblement une mort héroïque ».
« Ces jeunes vivent une rupture avec l’islam de leurs parents et des mosquées traditionnelles. Ils ne trouvent pas leur place dans la société, mais sont imprégnés de sa culture de violence, ce qui stimule leur imagination. »
« La sécularisation trop poussée et, pour beaucoup, trop abrupte de l’Occident et son manque de ‘sacré’ définissent le contexte », tout comme le vide politique, ajoute l’ancien directeur du Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme, citant un autre auteur.
Pour Olivier Roy, politologue français spécialiste de l’islam, « ce n’est pas d’idéologie mais de récits qu’il est question au début d’un processus de conversion ». Ces récits amènent le jeune musulman à s’intéresser « au grand récit islamiste, et finalement à la doctrine islamiste ».
« A un moment donné, mon neveu s’est tourné, en tant que musulman, vers une expérience plus intense de l’islam. (…) Au début d’une telle conversion, le risque est alors de voir, en toute personne, un incroyant », raconte une des personnes interrogées. « Lors de cette conversion, il découvre comment il faut voir le véritable islam, un islam auquel ses parents et sa famille sont restés étrangers. Il voit alors tout par le petit bout de la lorgnette », poursuit Johan Leman. Mais la radicalisation ne résulte pas systématiquement d’une telle intensification de la conversion.
Pour celui qui se laisse séduire, « commence (…) un processus d'(auto)isolement mental et physique ». Puis des contacts se nouent avec des personnes de tendance djihadiste, avant l’arrivée du recruteur. Celui-ci « fait remarquer que l’Islam demande un véritable engagement et présente un modèle de préparation au départ pour la Syrie ». Viennent ensuite de messages enjoignant à rompre tout contact avec l’entourage. « Les liens émotionnels avec la famille et surtout la mère sont coupés. C’est un deuxième moment déclencheur. » Les dernières instructions pour le départ en Syrie arrivent, elles, de manière codée. La Belgique ne fait dès lors « plus partie de leur vie. Après la Syrie, ils veulent se rendre ailleurs pour le djihad ».
Lors de ses interviews, l’auteur a par ailleurs demandé si les jeunes partis en Syrie que ses interlocuteurs connaissaient éprouvaient de la haine envers la Belgique. « Ils m’ont répondu qu’ils éprouvaient de la haine, non contre la Belgique, mais contre l’inaction de l’Occident face à Bashar Al-Assad. »
« En attendant, on ne sait pas avec quelle efficacité le djihad territorial deviendra un djihad global. Ni pendant combien de temps les grandes puissances laisseront faire », conclut Johan Leman.
Plus de 450 Belges sont à un moment ou un autre partis combattre en Syrie – ou ont voulu le faire -, dont 117 en sont revenus, avait indiqué en février dernier le ministre de l’Intérieur, Jan Jambon, en citant des chiffres arrêtés à la fin du mois de janvier.