Que sait-on sur la première communauté chrétienne ?
Comment s’organisent les disciples après la mort de leur maître ? Pourquoi ces Galiléens itinérants s’établissent-ils à Jérusalem ? Quelles pratiques adoptent-ils ? Enquête sur la plus ancienne communauté du mouvement chrétien.
A la mort de Jésus, son entreprise semble avoir abouti à un échec. Après son exécution, voire dès son arrestation, les disciples paraissent s’être dispersés hors de Jérusalem. Toutefois, dans un second temps, on les retrouve réunis dans la ville sainte avec quelques femmes et des membres de la famille du prophète de Nazareth. Ils y proclament que le crucifié a été ressuscité. Pourquoi ces Galiléens, infatigables itinérants du temps de Jésus, décident-ils soudain de se sédentariser ? Pourquoi viennent-ils irrésistiblement là où ils courent le plus de risques d’être inquiétés ? Est-ce parce que, convaincus de la proximité de la Fin des temps, ils estiment que ce grand événement ne peut avoir lieu que dans la ville du Temple, centre religieux et politique d’Israël ? Ou parce qu’une communauté y avait déjà été fondée par Jésus, comme le postule l’historien Simon Claude Mimouni ?
Le groupe des » saints »
Les disciples annoncent un temps nouveau et l’imminence du retour de Jésus (la parousie). A l’image de leur maître, ils guérissent les malades et expulsent les démons. Peu homogène, la communauté de Jérusalem compte des juifs de culture et de langue araméenne (appelés » hébreux » dans les Actes des apôtres) et des juifs de culture et de langue grecque (les » hellénistes « ). Les membres du groupe se donnent un nom : les » saints « . Les nouveaux adeptes sont admis par une initiation, un baptême » au nom de Jésus-Christ « . Par après, la légende attribuera cette pratique à un ordre du Ressuscité, alors que les disciples l’ont connue dans l’entourage de Jean-Baptiste.
Combien sont-ils, ces nouveaux adeptes ? Les Actes donnent le chiffre invraisemblable de 3 000 nouveaux croyants dès la Pentecôte. Ils sont 5 000 quelques jours plus tard, dont des prêtres, des pharisiens et des juifs d’expression grecque. L’ampleur des ralliements a sûrement été plus modeste.
Egalité, fraternité
L’enseignement, la prière, les repas pris en commun rythment les jours, une organisation qui rappelle un peu celle des Esséniens, mouvement du judaïsme dont les Evangiles ne parlent jamais, mais qui est attesté au Ier siècle. Les règles des communautés esséniennes sont toutefois plus rigoristes : elles pratiquent l’immersion quotidienne et l’abstinence des plaisirs du monde, rapporte l’historien judéen Flavius Josèphe. Pour l’exégète américain John P. Meier, auteur de la monumentale étude A Marginal Jew (Un certain juif Jésus), Jésus avait donné à ses disciples les règles de vie qui préparaient l’avenir : la prière filiale (le Pater), la minimisation du jeûne, la participation joyeuse aux repas de communauté, l’assistance mutuelle.
L’Eglise primitive adopte la mise en commun des biens, lesquels sont » vendus pour satisfaire aux besoins de tous » (Ac 4, 34-35). Pourquoi ce proto-communisme – pas de riches, pas de nécessiteux -, cette vie d’égalité et de fraternité ? Est-ce une anticipation du Royaume à la Fin des temps ? Plus probablement, le récit des Actes des apôtres, rédigé un demi-siècle environ après les faits, cache les différences, les difficultés, les tensions au sein de la première génération chrétienne au profit d’une unité idéalisée, objet de fascination depuis deux millénaires.
Première cassure
La communauté semble avoir comme centre une synagogue du mont Sion, là même où Jésus a pris son dernier repas avec ses disciples les plus proches, désignés par le terme d' » apôtres » (envoyés). Une partie du groupe fréquente le Temple de Jérusalem avec assiduité. C’est le cas de Jacques le Juste, chef de la communauté judéo-chrétienne après la dispersion des Douze, qualifié de » frère du Seigneur » par Paul et de » frère de Jésus appelé Christ » par Flavius Josèphe. C’est également celui de Saul de Tarse, le pharisien converti, plus connu sous le nom de Paul.
En revanche, d’autres adeptes de la » Voie « , dont Stephanos (Etienne), l’un des sept diacres chargés d’assister les apôtres, se livrent à une violente critique du sanctuaire et de ses sacrifices. Accusé vers 36-37 par des juifs de la Diaspora de blasphème » contre Moïse et contre Dieu « , le prédicateur judéen hellénophone est conduit au Sanhédrin, puis jeté dehors et lapidé, selon l’auteur des Actes. D’autres hellénistes fuient les persécutions, ce qui les conduit à diffuser le message du Royaume de Dieu en Samarie et au-delà. Les apôtres, eux, ne sont pas inquiétés, ce qui laisse entrevoir, moins de dix ans après la mort de Jésus, une première cassure au sein de la communauté.
La Samarie, première terre d’évangélisation
Philippe est l’un des hellénistes qui propagent la » Bonne Nouvelle » en Samarie. Il y obtient des succès foudroyants, assurent les Actes. D’autres disciples judéens de langue grecque poussent jusqu’en Syrie, en Phénicie et à Chypre (Ac 11,9). Vers 37-38, ils créent une communauté à Antioche, troisième ville de l’empire romain après Rome et Alexandrie. C’est dans cette cité syrienne que les croyants auraient reçu, pour la première fois, le nom de » chrétiens « , au sens de » messianistes « .
Plus tard, l’Eglise de Jérusalem envoie Pierre et Jean en Samarie, où les deux apôtres officialisent les conversions accomplies par Philippe. De son côté, Pierre devient, selon les Actes, le premier missionnaire à faire entrer parmi les » saints » un incirconcis, le centurion romain Corneille, et toute sa maison. Mais l’apôtre doit justifier longuement sa conduite à son retour à Jérusalem. Car, à Césarée, il a bravé un interdit du judaïsme en entrant dans la demeure d’un non-juif.
Des chrétiens de langue araméenne sont alors persécutés dans la ville sainte : en 43 ou 44, sur ordre d’Hérode Agrippa Ier, dernier » roi des juifs » reconnu par les Romains, l’apôtre Jacques de Zébédée est exécuté par décapitation, une pratique » noble » par rapport à la crucifixion, exécution infamante liée à une condamnation pour sédition. » Son frère, Jean, subit sans doute le même sort, estime l’historien Jean-Christian Petitfil. Arrêté lui aussi, Pierre échappe à ses fers et trouve refuge dans une des maisons chrétiennes de la ville, chez une certaine Marie, mère de Marc, le futur évangéliste. » Contraint à la fuite, Pierre aurait diffusé la croyance messianique en Jésus à Rome, à Corinthe et à Antioche. Seule certitude : il s’est beaucoup déplacé, comme Paul, et n’est revenu à Jérusalem qu’en 49-50, pour le » concile » de la communauté consacré aux obligations que doivent suivre les chrétiens venus du polythéisme.
En 58, Paul, de retour à Jérusalem, est accueilli froidement par Jacques le Juste et les Anciens : on le suspecte d’encourager les juifs de la diaspora à rejeter la Loi de Moïse. Une émeute provoquée par des juifs d’Asie entraîne l’arrestation de Paul par des soldats romains. Il comparaît devant le procurateur Félix, puis, en 60, devant son successeur, Festus, à Césarée Maritime. En tant que » citoyen romain « , il est envoyé à Rome pour y être jugé. En 62, à Jérusalem, Jacques le Juste est exécuté par lapidation sur ordre du grand prêtre, lors d’une vacance de la procuratèle romaine. Six ans plus tard, la révolte juive gronde, la ville sainte est assiégée par les légions romaines et la communauté judéo-chrétienne, dite » nazôréenne « , se réfugie à Pella, en Transjordanie. Selon des traditions locales, elle serait revenue à Jérusalem en 73 ou 74, sous la conduite d’un certain Siméon, cousin et successeur de Jacques le Juste. Mais la ville où Jésus est mort cesse alors d’être l’un des centres de gravité du christianisme.
Le dossier de 18 pages « Après Jésus. Comment est né le christianisme », dans Le Vif/L’Express de cette semaine
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