Quand le monde de la high tech s’adapte aux exigences des ultra-orthodoxes
Ouvert et lumineux, l’espace de travail de la société Comax est à première vue semblable à celui d’autres entreprises israéliennes high-tech, sauf que son design et une partie de son fonctionnement ont été adaptés aux exigences des juives ultra-orthodoxes qui y ont été engagées en nombre ces dernières années.
Une vingtaine de femmes ultra-orthodoxes sont employées dans cette entreprise spécialisée dans la fourniture de programmes informatiques aux grandes surfaces, à Holon près de Tel-Aviv. Elles représentent près d’un tiers de la main-d’oeuvre de Comax et 90% de ses programmateurs informatiques.
Diplômées d’écoles de programmation de Bnei Brak, la banlieue en grande majorité peuplée d’ultra-orthodoxes près de Holon, ces employées conçoivent la presque totalité des programmes proposés par l’entreprise.
Représentant 11% de la population israélienne, la population ultra-orthodoxe ou haredit (« craignant Dieu ») souffre d’une pauvreté endémique. Par tradition, les hommes se consacrent à l’étude des textes sacrés. La plupart du temps, les femmes travaillent pour subvenir aux besoins de la famille, généralement nombreuse, lorsque celle-ci ne se contente pas des subsides de l’Etat.
Ces 15 dernières années, les femmes ultra-orthodoxes ont fait une entrée en force dans le monde du travail. En 2015, selon le bureau central des statistiques, environ 75% travaillaient, un pourcentage comparable à celui de l’ensemble de la population féminine d’Israël.
Depuis 2000, leur participation à la population active a progressé de 30%.
‘Division anormale’
Meirav, une mère de deux enfants de 4 ans et 9 mois, est responsable du service clients de Comax.
Souriante et maquillée sous sa perruque, que portent traditionnellement les ultra-orthodoxes, elle explique avec volubilité comment elle a gravi les échelons de l’entreprise où elle a débuté il y a six ans comme comptable.
« Mon mari m’aide beaucoup, il s’occupe des enfants, il fait la cuisine. Il emmène les enfants à la crèche et à l’école maternelle », affirme-t-elle, en disant espérer qu’il pourra, « aussi longtemps que possible », continuer à étudier la Torah à plein temps.
Ces femmes ont toujours travaillé et en même temps élevé leurs enfants pour permettre à leurs époux d’étudier selon une « division anormale » des rôles dans la famille, souligne Menahem Friedman, professeur de sociologie spécialiste du monde ultra-orthodoxe.
Mais en raison de la saturation des emplois d’assistantes maternelles et d’institutrices dans les établissements religieux, secteur dans lequel elles travaillaient massivement jusque-là, les ultra-orthodoxes se sont tournées vers des entreprises du monde non-religieux, explique-t-il.
« Même si elles prétendent le contraire, il est impossible que ces femmes travaillant dans un environnement non-religieux ne soient pas influencées, à plus ou moins long terme », estime cet universitaire.
Chez Comax, la grande majorité des employés, jeunes et non religieux, s’habillent de manière décontractée. A l’heure des repas, les plaisanteries fusent entre hommes et femmes attablés ensemble à la cuisine.
A l’inverse, dans le monde haredi, les femmes sont tenues, vis-à-vis des hommes étrangers, à une grande réserve: tête couverte, manches et jupes longues, couleurs discrètes. Et une femme ne doit théoriquement pas se retrouver seule avec un autre homme que son époux dans un espace clos.
Portes vitrées
Ces femmes « défendent l’idéal imposé par leur communauté de l’étude de la Torah par les hommes, mais cela ne veut pas dire qu’elles adhèrent réellement à ce narratif, surtout quand elles travaillent dans un environnement non religieux et prennent conscience de l’anormalité de la division des tâches au foyer », ajoute M. Friedman.
Un nombre significatif d’entreprises high-tech ont fait le choix de les embaucher, stimulées par des aides de l’Etat et des salaires faibles, que ces femmes acceptent en échange de conditions de travail adaptées à leur mode de vie.
Chez Comax, les deux co-directeurs ont dû adapter l’environnement de travail.
L’un d’eux, Yitzhak Bier, un religieux portant une kippa et observant les lois juives sans pour autant adhérer à une interprétation aussi stricte que ses employées harediot, est l’interlocuteur privilégié de celles-ci.
« Un rabbin est venu et a tout inspecté, notamment pour vérifier que toutes les portes étaient vitrées pour qu’une femme ne puisse pas se retrouver isolée avec un homme », explique Moti Frankel, fondateur de Comax.
Les règles de la loi juive relatives à la nourriture casher sont aussi appliquées lorsque des repas en commun sont organisés, ajoute-t-il.
Et en raison de la fréquence des congés maternité, un nombre plus élevé d’employées a été embauché.
« Ils sont très accommodants et c’est ce qui me permet de travailler », se félicite Talia, une mère de 27 ans, la tête recouverte d’un foulard. « Ils comprennent la nourriture casher, les fêtes, ils ont accepté de réduire la journée de travail de 9 à 8 heures. Quand on a besoin de temps pour les enfants, ils le comprennent aussi ».
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