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« Pourquoi nous sommes tous des djihadistes »

D’origine palestinienne, le chercheur flamand Montasser Alde’emeh a connu le sentiment d’injustice et le besoin de se battre. A l’égard des jeunes salafistes, il préconise l’empathie et la reconnaissance de leur islamité. Et publie Pourquoi nous sommes tous des djihadistes.

Adolescent, il a usé ses poings sur les arbres du petit bois près de chez lui, dans la campagne de Baardegem (Alost). Il est devenu fort. A 16 ans, il voulait se battre pour la Palestine, le pays de la famille Alde’emeh, de nobles paysans chassés de leur village, Sabbarin (près de Haïfa), en 1948, après la création de l’Etat d’Israël. Comme ses neuf frères et soeurs aînés, il a grandi en exil. Son père, réfugié politique en Belgique, a voulu mettre sa famille à l’abri des « mauvaises influences » de Bruxelles, en l’installant dans un petit village flamand de Flandre orientale. Enseignement catholique pour le jeune Montasser, encouragé dans sa religion par une « soeur » directrice et un professeur de sciences. Il a une douzaine d’année quand le 11-Septembre, puis l’Intifada, lui renvoient des images d’horreur qui l’obligent, par loyauté palestinienne, à se positionner dans le camp de Ben Laden. Cet état d’entre-deux, d’identité conflictuelle, il l’a reconnu chez les « djihadistes syriens », très majoritairement des Belgo-Marocains imbibés d’une idéologie salafiste à deux sous, réduite à quelques concepts affûtés comme des armes: al-wala’ wa l-bara (la vision binaire qui oppose les croyants aux incroyants), djihad (guerre sainte), takfir (excommunication des mauvais musulmans), tawhid (unicité de Dieu dans l’autorité politique), charia (loi divine).

En juillet 2014, Montasser Alde’emeh est passé de l’autre côté du miroir. Il est allé voir sur le terrain, en Syrie, à l’ouest d’Alep, ce que de jeunes Flamands faisaient aux côtés de Jabhat Al-Nosra. Cette filiale d’Al-Qaïda veut renverser le président Bachar el-Assad et installer un émirat islamique en Syrie. Pendant une quinzaine de jours, il a eu quelques grosses frayeurs : des bombes ennemies, un enlèvement qui s’est bien terminé, une exfiltration dangereuse à la frontière turque. Cette expérience lui paraît, aujourd’hui, nimbée d’irréalité. Etait-ce bien lui ce « bel Arabe » à la barbe noire qui, Palestinien, polyglotte et bien formé, aurait sûrement pris du galon dans la hiérarchie locale ? Il a tenu le journal de ses rencontres, sans porter de jugement, sur les sites knack.be et levif.be. Ses deux livres ont fait de lui un « Bekende Vlaming », heureux de se mouvoir en paix dans Bruxelles, choyé par les médias, préparant un doctorat en sciences politiques. « La connaissance protège de l’intolérance, dit-il. Plus on connaît sa religion et plus on connait les autres, moins on est enclin à voir les choses en blanc ou noir. »

A 26 ans, Montasser Alde’emeh a converti en amour la haine qui brûlait en lui. Parce qu’il en avait assez de ce sentiment négatif et qu’il a fait la bonne rencontre au bon moment: un juif érudit, le Pr Julien Klener, avec une souffrance d’ « enfant caché » qui est entrée en résonance avec la sienne. Cette évolution apparaît dans son premier récit, Pourquoi nous sommes tous des djihadistes (La Boîte à Pandore) dont Le Vif/L’Express publie des extraits en primeur. Il a aussi créé De Weg Naar (« le chemin vers »), un endroit où de jeunes musulmans rejetés par leur propre communauté et qui ne trouvent pas leur place dans la société pourront exprimer leurs difficultés dans une atmosphère de confiance et de dialogue. « Mon année de recherches a été entièrement consacrée à l’étude de l’idéologie du djihad, explique-t-il. Je peux à présent me « déplacer » dans l’esprit et dans le monde turbulent de jeunes extrémistes qui focalisent leur identité islamique dans une union avec leurs pairs sunnites. »

Montasser Alde’emeh, Pourquoi nous sommes tous des djihadistes, éditions La Boîte à Pandore, 282 pages.

Dans Le Vif/L’Express de cette semaine, les nombreux extraits du livre, en primeur.

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