Pourquoi des fondamentalistes s’en prennent-ils à l’art?
Dans un entretien à l’AFP, l’historien François Boespflug analyse les ressorts de ces attaques plus ou moins violentes contre des images considérées comme idolâtres ou blasphématoires.
Quel est le point commun entre les destructions des bouddhas géants de Bâmiyân (Afghanistan) par les taliban en 2001, des mausolées de Tombouctou (Mali) par le groupe Ansar Dine en 2012 et de vestiges antiques de Palmyre (Syrie) par l’organisation Etat islamique l’an dernier?
Quand une image est considérée comme véhiculant du mépris ou est l’objet d’un culte jugé fétichiste par des extrémistes, ils réagissent comme s’ils avaient été insultés. Détruire des reliefs à Mossoul devrait être le cadet des soucis stratégiques des jihadistes. Ils le font parce qu’ils veulent cultiver leur réputation de musulmans ultra-pieux, fidèles au Coran – la condamnation des idoles y est presque un leitmotiv. Coup double, ils adressent aussi un pied de nez à l’Occident, à tous ceux qui aiment l’art pour l’art.
Si l’interdit de la représentation est inscrit dans les Ecritures saintes, comment expliquer que le christianisme ait pu susciter une création artistique aussi riche, des églises aux musées?
Il a pourtant commencé sans aucune image, pendant deux siècles, fidèle en cela à la tradition juive. Le judaïsme, parce qu’il s’est moins retrouvé en position de pouvoir politique dominant, a au demeurant été très peu iconoclaste; les deux religions qui l’ont le plus été sont l’islam et le christianisme, ce dernier contre les effigies des dieux païens. Mais les chrétiens se sont ensuite sentis libres vis-à-vis de l’interdit gravé dans le Décalogue: dans la mesure où Dieu s’est fait homme, il paraissait presque contraire à l’incarnation de ne jamais le représenter.
Cette relative tolérance de l’Eglise n’a pas empêché des intégristes catholiques de rejeter violemment des oeuvres d’art. Quel est le moteur de ce refus?
La plupart des extrémistes chrétiens qui agissent ainsi brandissent l’accusation de blasphème. Mais ce concept de blasphème a été progressivement gommé du droit pénal de la plupart des nations européennes.
Il y a dans la religion chrétienne une sorte de hiérarchie des images à respecter: Dieu le Père et Jésus au sommet, la Vierge à l’enfant ensuite… Alors que les images du film de Jean-Luc Godard « Je vous salue, Marie » étaient plutôt pudiques, ceux qui ont mis le feu à un cinéma (en 1985 à Tours, NDLR) ont exprimé une sorte de « pas touche à ma Marie ». D’autres ont manifesté à Paris en 2011 contre le spectacle de Romeo Castellucci « Sur le concept du visage du fils de Dieu »: il montrait pourtant une sainte face d’Antonello de Messine très digne, dont la présence faisait sens car le Christ était ainsi pris à témoin de la dégradation physique d’un homme.
A contrario, des groupes fondamentalistes peuvent-ils être tentés de transformer l’art en instrument de rayonnement voire de propagande?
Beaucoup de ces mouvements le font en adoptant une forme de diffusion pieuse du message chrétien, à l’aide de représentations qui n’ont même pas la prétention d’être artistiques: ce sont des images sulpiciennes, un peu kitsch. On le retrouve aux Etats-Unis du côté de mouvements pentecôtistes ou chez les mormons, dont l’iconographie peut être jugée dégoulinante de bons sentiments. L’abstraction, comme dans la chapelle Rothko au Texas avec ses grands aplats quintessenciés, les met plutôt mal à l’aise. Il faut comprendre que l’art religieux a une fonction qui n’est pas d’abord de transgression, mais d’instruction, d’émotion, de remémoration. Si notre époque a voulu croire que le sacré pouvait faire très bon ménage avec le décalage voire la provocation, la plupart des chrétiens n’éprouvent aucun intérêt pour beaucoup des courants d’art contemporain!
Quant aux islamistes ultra, l’idée-même d’un art subversif dont la société pourrait se réjouir, en tant que manifestation de liberté et de créativité, leur est étrangère. Le message est plutôt « nous allons installer la charia sur la surface de la Terre »… Il faut lire dans leurs actes de destruction autre chose que ce que commettent quelques extrémistes parisiens en s’opposant à une pièce de théâtre sur les Champs-Elysées: ce n’est pas tout à fait du même ordre.
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